D’ordinaire discret et prudent, Khalifa Sall a bravé l’avis du Parti socialiste en appelant à voter non au référendum constitutionnel du 20 mars. Serait-ce la perspective de la présidentielle de 2019 ? Khalifa Sall a bravé l’avis du Parti socialiste en appelant à voter non au référendum constitutionnel du 20 mars. Serait-ce la perspective de la présidentielle de 2019 ?
«À trop vouloir s’asseoir entre deux chaises, on finit par se retrouver le cul par terre. » À l’instar d’un ministre influent qui moquait, par cette métaphore triviale, « le positionnement flou » du maire de Dakar, la garde rapprochée du président sénégalais n’était pas avare de sarcasmes envers Khalifa Sall au lendemain de l’adoption, le 20 mars, de la révision constitutionnelle voulue par Macky Sall.
« Les principaux présidentiables ont voulu se servir de ce référendum comme d’un baromètre pour mesurer leur popularité, mais l’inconsistance de leur base politique a été mise à nu », se gargarisait la même source.
De fait, l’édile a misé gros en militant pour le non, allant à l’encontre de l’avis du bureau politique de sa propre formation, le Parti socialiste (PS), allié à Macky Sall au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY). Or le oui l’a emporté avec près de 63 % des suffrages, y compris à Dakar. Khalifa Sall ne sera pas même parvenu à faire triompher le non dans son fief de Grand Yoff, une commune de la capitale.
Un homme politique réputé pour sa discrétion
« C’est une question de principe », avait-il plaidé à la veille du scrutin. Selon lui, le « reniement » de Macky Sall – qui était revenu, en février, sur sa promesse de réduire de sept à cinq ans son mandat en cours – a été à l’origine de son appel à voter non. Une prise de position risquée pour cet homme qui avait plutôt l’habitude de se tenir à l’écart des polémiques.
Khalifa Sall semblait en effet avoir fait sienne la maxime du cardinal de Retz, qui, au XVIIe siècle, paya par la prison puis par l’exil son audace d’avoir rallié la Fronde et défié son rival, Mazarin : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son propre détriment. » « Il a l’habitude de tout cloisonner, personne ne peut prétendre avoir de lui une vue panoramique », assure l’un de ses proches.
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De longue date, cet homme politique atypique, qui a fêté ses 60 ans en janvier, fuit comme la peste les interviews, esquive le off et s’abstient d’alimenter toute controverse, dans un pays qui les affectionne. À se demander comment est né le mythe prêtant au secrétaire général de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) un possible destin présidentiel.
Tout comme ses états d’âme politiques, sa vie privée est hermétique. On sait seulement qu’il est né à Louga, dans le nord-ouest du Sénégal, qu’il a grandi à Grand Yoff, qu’il s’est marié à trois reprises et qu’il a eu dix enfants de ces unions successives. Qu’il partage depuis une quinzaine d’années la vie de l’éditrice franco-sénégalaise Gaëlle Samb.
Qu’il entretient sa forme physique tous les matins, surveille sa santé et son régime alimentaire. Qu’il est un fan du musicien Thione Seck. Et qu’il est un musulman à la fois pratiquant et tolérant. À l’inverse, glisse un membre de son cabinet, « lui-même raffole des médias people et est au courant de tous les potins » !
C’était un politicien précoce, qui avait pour atouts son expérience, une bonne connaissance du pays et une forme de clairvoyance, selon Ibrahima Sory Souaré
Cependant, il serait « absurde de prétendre que les Sénégalais ne le connaissent pas », insiste Moussa Taye, son conseiller politique, avant de rappeler que Khalifa Sall « est entré en politique à l’âge de 13 ans, [qu’] il a été successivement responsable des Jeunesses socialistes, député, ministre puis maire de la capitale, et [qu’] il appartient à l’un des principaux partis du pays ».
Titulaire d’une double maîtrise en histoire-géographie et en droit constitutionnel, le jeune enseignant du collège de Soumbédioune s’est engagé en politique comme on entre dans les ordres. « Chaque jour, après les cours, il rejoignait le siège du PS », se souvient Ali Koura Diop, un ami de longue date. En 1993, Abdou Diouf, qui apprécie sa maturité et son sang-froid, l’intègre à son équipe de campagne avant de le nommer ministre.
« C’était un politicien précoce, qui avait pour atouts son expérience, une bonne connaissance du pays et une forme de clairvoyance », estime Ibrahima Sory Souaré, un autre de ses proches. Sur une scène politique où la transhumance et l’enfantement compulsif de nouveaux partis sont une sorte de sport national, le maire de Dakar aura réussi un exploit : jamais il n’a quitté les rangs du PS.
En 2000, au lendemain de la défaite d’Abdou Diouf face à Abdoulaye Wade, Khalifa Sall ne baisse pas les bras. « Ce n’est pas la fin du monde, il faut continuer le combat », lance-t-il à ses camarades. En 2008, à quelques mois des élections locales, il se met en tête de conquérir Dakar. Nul n’y croit : jamais la capitale n’a échappé au parti au pouvoir, et le PS est financièrement moribond.
« Personne ne voulait y aller, témoigne un membre de son entourage. Khalifa a mené une campagne sans moyens, en faisant du porte-à-porte dans les quartiers pour présenter son projet. » En mars de l’année suivante, il inflige une cuisante défaite au camp présidentiel en s’imposant face à Pape Diop, du PDS.
Pourquoi, alors, ce « militant discipliné, soucieux de ne pas casser le parti, son outil de travail » – dixit un proche -, a-t-il choisi de passer à l’offensive en amont du référendum de mars ? Une chose est sûre : désormais, c’est sur deux fronts que Khalifa Sall va devoir livrer bataille. Avec Macky Sall, le divorce est consommé et, au sein du PS, les tensions avec le secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, ont atteint un seuil critique.
Des tensions intestines au PS
Début mars, ce dernier et le porte-parole du mouvement, Abdoulaye Vilane, ont été hués et violemment pris à partie par une foule de sympathisants du maire de Dakar. Quelques jours plus tard, le 17 mars, Khalifa Sall déclarait sur les ondes de la Radio Futurs Medias (RFM), sans s’embarrasser de fioritures : « Il n’y a plus de candidat naturel au Parti socialiste, la base doit choisir. » N’en déplaise à Tanor. « Inch Allah, le PS aura son candidat à la prochaine présidentielle », ajoutait-il, alors même que l’état-major du parti semble réticent à promouvoir une candidature autonome en 2019 face au président sortant.
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Jusque-là, ce politicien à l’allure débonnaire, adepte du consensus, avait évité de défier ouvertement le patron du PS. En 2014, il l’avait sagement laissé se faire réélire à la tête de la formation sur laquelle il règne sans partage depuis 1996.
Mais son entourage s’accorde à dire que le jeu de Tanor ne fait pas son affaire. « Il a été écarté de plusieurs projets, et on ne l’invite plus à certaines réunions, confie l’un de ses proches. Au sein du PS, on le voit comme une personnalité susceptible de rassembler davantage que Tanor, à qui il fait de l’ombre. »
Sa popularité ne dépasse pas la presqu’île du Cap-Vert, ironise un conseiller de Macky Sall
Dans ces conditions, on imagine le dilemme qui se pose à Khalifa Sall : une docilité partisane qui sonnerait le glas de ses ambitions présidentielles, ou un bras de fer avec Tanor et sa garde rapprochée. Cheikh Seck, le chef du groupe parlementaire socialiste, a déjà brandi la menace de le traduire devant une commission de discipline, voire de l’exclure. Mais pour l’heure, fort de la victoire du oui, Tanor a écarté la perspective de sanctions contre les frondeurs référendaires – tout en dénonçant leur « faute politique ».
Dans l’entourage de Khalifa Sall, on s’efforce de minimiser la portée de son incartade. « Contrairement à ce qu’on laisse croire, le PS n’avait pas donné de consigne de vote officielle, objecte l’un de ses familiers. Seul le Comité directeur, qui ne s’est pas prononcé sur la question, disposait de cette prérogative. » Selon la même source, son positionnement n’était « ni une marque de défiance envers Ousmane Tanor Dieng ni un signe d’hostilité envers Macky Sall », avec qui les différends « découlent seulement de certaines incompréhensions dans plusieurs dossiers liés à la ville de Dakar ».
SEYLLOU/AFP
Dans le camp présidentiel, en revanche, on savoure la revanche prise sur celui qui avait raflé seize communes sur dix-neuf en juin 2014 face à la liste de BBY conduite par Mimi Touré, l’ancienne Première ministre. « Sa popularité ne dépasse pas la presqu’île du Cap-Vert », ironise un conseiller de Macky Sall, même si dans l’entourage de ce dernier, on le considère comme le rival – virtuel – le plus menaçant en vue de la prochaine présidentielle.
Un durcissement probable de ses relations avec Tanor
Reste à savoir si la stratégie de l’attentisme, que cultive l’intéressé, peut porter ses fruits. « Je lui ai dit qu’il devait prendre le contrôle du PS, mais il manque de courage politique », lâche un proche du chef de l’État, résumant un travers régulièrement reproché à Khalifa Sall jusque dans son propre camp.
« Je l’ai entendu assurer, en 2012, que les socialistes auraient dû contraindre Tanor à lâcher les rênes du parti depuis la présidentielle de 2007 », raconte un ancien camarade. Le même souligne que, deux ans plus tard, Khalifa Sall a soutenu la réélection de l’inamovible héritier d’Abdou Diouf.
Sauf à lire dans les cauris, difficile de prédire si l’énigmatique maire de Dakar entrera en résistance au cours des prochains mois en vue de disputer son fauteuil à Macky Sall, en 2019. L’un des membres de son entourage semble en tout cas annoncer un durcissement probable de ses relations avec Tanor, alors que ce dernier laisse entendre que le PS restera arrimé au parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR), lors des législatives de 2017.
« Avec la victoire du oui, Tanor se croit tout permis ; il décide seul des choix du PS », enrage cet observateur. Avant d’ajouter, prophétique : « L’avenir de Khalifa se jouera désormais en dehors du PS. » Il pourrait aussi croiser celui de la députée Aïssata Tall Sall.
Si le Sphinx du Cap-Vert et la Lionne du Fouta peuvent sembler aussi différents que la glace et le feu, ils partagent, outre une certaine complicité, un objectif commun : soutenir, voire incarner eux-mêmes, une candidature socialiste à la prochaine élection présidentielle. Au risque d’être exclus de ce PS dont ils veulent tant défendre les couleurs.
?PALAIS CONTRE MUNICIPALITÉ
S’il n’est pas un opposant déclaré à Macky Sall, Khalifa Sall n’a jamais été favorable à la dissolution du Parti socialiste au sein de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY). « Il considérait que BBY avait pour but de faire élire Macky Sall en 2012 face à Abdoulaye Wade, mais que chacun devait ensuite s’en retourner à son propre parti et laisser le président travailler », témoigne l’un de ses proches. Aujourd’hui, Khalifa Sall plaide ouvertement pour une candidature socialiste à la prochaine présidentielle.
Au palais de la République, un familier du chef de l’État n’en fait pas mystère : « Khalifa Sall s’est positionné comme un opposant depuis les élections locales de 2014. » Ce dernier s’était en effet refusé à faire liste commune avec BBY, préférant constituer sa propre coalition, Taxawu Dakar.
Entre le gouvernement et l’Hôtel de Ville, les tensions se sont accrues au fil des mois sur divers dossiers, comme l’ambitieux emprunt obligataire que devait lancer la mairie et qui a été bloqué in extremis, en février 2015, par le ministre de l’Économie et des Finances. Début 2016, un conflit de compétences entre les élus municipaux et le ministère du Renouveau urbain a donné lieu à un nouveau bras de fer.
Selon l’entourage de Khalifa Sall, ces tracasseries ne sont pas le fruit du hasard : « Les ambitions présidentielles qu’on lui prête créent des interférences avec son mandat de maire », résume une collaboratrice.
Mehdi Ba
jeuneafrique.com