La fistule obstétricale est une maladie peu connue aux conséquences dramatiques. Docteur Issa Labou, chirurgien urologue à l’hôpital général de Grand Yoff, revient dans cet entretien sur l’état de la maladie au Sénégal, ses conséquences et le combat pour en venir à bout.
La fistule est une maladie qui peut avoir des conséquences désastreuses. Qu’est-ce qui en est la cause principale ?
La cause de la fistule, c’est la pauvreté. Dans les villages où l’accès aux soins est difficile, c’est là où la proportion est assez importante de femmes atteintes. Elle est généralement causée par un travail prolongé et difficile, parfois de plusieurs jours, sans intervention obstétrique pratiquée en temps voulu. Durant ce travail prolongé, les tissus mous du bassin sont compressés contre la tête descendante du bébé et l’os pelvien de la mère.
Le manque d’écoulement de sang entraîne la mort des tissus, qui crée une fistule ou trou entre le vagin et la vessie de la mère, ou entre le rectum, ou les deux. Le résultat est une fuite chronique d’urine et/ou de matières fécales. Au-delà d’être une maladie des pauvres, la fistule appauvrit également ses victimes. La patiente s’appauvrit davantage, parce qu’étant isolée de la société. Elle ne peut plus avoir les maigres ressources que lui rapportait son travail.
Quels sont les différents types de fistules ?
Outre les fistules obstétricales, il y a des fistules rabiques. Ce sont des fistules qui surviennent chez des personnes qui sont porteuses de cancer et qui subissent la radiothérapie. Donc secondairement, cette radiothérapie peut créer une fistule. Le cancer lui-même, que ça soit celui de vessie ou le cancer du col de l’utérus, son évolution peut être émaillée de complications dont la communication anormale entre les voies génitales et les voies urinaires, occasionnant les fistules cancéreuses. Il peut y avoir aussi des fistules iatrogènes qui sont causées par la chirurgie. Certains types de chirurgie au niveau du petit bassin chez la femme peuvent occasionner des fistules. Mais les fistules pour lesquelles il y a une mobilisation mondiale, c’est la fistule obstétricale. Une fistule qui est secondaire à des accouchements difficiles qu’on appelle des accouchements dystociques et qui entraîne cette communication anormale entre les voies urinaires et des voies génitales ou parfois même entre les voies génitales et les voies digestives. C’est à dire les fistules recto-vaginales.
Combien de femmes sont touchées par cette fistule obstétricale au Sénégal ?
Il est difficile de donner aujourd’hui un chiffre exact. Mais des estimations ont été faites et on considère qu’il y a au moins 400 nouveaux cas de fistule par an au Sénégal. C’est juste des estimations, parce qu’une étude exhaustive n’a pas été faite pour qu’on puisse donner des chiffres exacts.
Y-a-t-il d’autres maladies qui découlent de la fistule ?
Oui. Il peut y avoir d’autres complications, si la fistule évolue. On a vu des femmes qui sont porteuses de fistules, depuis plusieurs années; comme elles sont assez pauvres pour se prendre en charge correctement, elles ne font que des couches de fortune. Et ces couches de fortune avec les urines qui s’écoulent vont irriter la peau, et ça donne souvent des lésions au niveau des parties génitales qui sont extrêmement douloureuses. Il peut y avoir des infections à répétions, parce que, quand on a une fistule, communication entre la partie génitale, la partie urinaire et ou la partie digestive, les matières fécales peuvent passer par la partie vaginale. Cela peut donner aussi des infections qui peuvent être souvent fatales. Il peut y avoir aussi, chez d’autres, des complications où ce sont des pierres qui se forment dans les voies naturelles ou dans les voies génitales. C’est ce qu’on appelle des calculs. C’est un impact qui doit être pris en charge, parce que plus tard, ça peut créer d’autres problèmes. D’autres, en fonction des lésions, peuvent même avoir une insuffisance rénale, parce qu’elles ont parfois des obstructions des voies urinaires qui entrainent des lésions.
Est-ce qu’il y a des conséquences sur le plan social ?
Elles sont énormes. D’abord, il y a le handicap. Parce que quand on ne peut pas contrôler ses urines et qu’elles s’écoulent en permanence, c’est un handicap. L’odeur urineuse de l’adulte est assez forte, ce qui fait que les femmes atteintes de fistule ne peuvent pas rester au sein de la société. Il y a aussi un handicap social parce que la plupart de ces femmes ont été abandonnées par leur mari ou par leur propre famille. Elles sont isolées du reste de la famille. Ensuite, il y a un handicap psychologique. Quand on est isolé, stigmatisé, ça peut donner des conséquences psychologiques qui peuvent aller de la dépression parfois au suicide. Donc, les conséquences sont énormes et ces femmes ne peuvent plus avoir une maternité normale. Elles ne connaissent plus la vie de couple.
Autrement dit, une femme atteinte de fistule ne peut donner naissance ?
Il peut arriver que des femmes porteuses de fistules et qui sont encore dans la vie conjugale fassent encore des grossesses. Il y a des femmes qu’on opère dans beaucoup de pays et qui arrivent à tomber enceinte. Mais la plupart du temps, avec l’abandon de la femme par son mari, la maternité est exclue.
Existe-t-il au Sénégal une politique de prise en charge des fistuleuses ?
Oui ! Il y a une politique gouvernementale qui a été élaborée, depuis plusieurs années, que d’ailleurs notre service est en train de piloter. Le traitement est entièrement gratuit. C’est de concert avec beaucoup d’Organisations non gouvernementales qui nous aident dans la sensibilisation, le dépistage, l’identification des femmes et l’orientation vers les centres de traitement. Ensuite, il y a des bailleurs de fonds qui, depuis plusieurs années, financent la prise en charge chirurgicale, la réinsertion sociale, mais aussi le volet prévention. Donc, le traitement est gratuit et accessible à tous. C’est juste un problème d’information pour certains. La fistule guérit avec la chirurgie, il faut que les gens le sachent. Elle guérit si on la prend en charge correctement.
Hormis la prise en charge médicale, que faites-vous pour aider ces femmes vivantes avec la maladie ?
C’est tout l’objet de la politique actuelle du gouvernement. La prise en charge n’est pas seulement chirurgicale. On opère les femmes, mais, il faut les aider à se réinsérer socialement ; d’abord dans le tissu conjugal, familial et ensuite dans la société. Il y a des formations qui ont été faites. D’ailleurs, il y a quelques mois, une formation a été organisée ici pour les femmes dans un nouveau centre qu’on va bientôt ouvrir.
Il est déjà officiellement inauguré, mais il reste juste quelques détails à régler. C’est un centre fonctionnel où les femmes vont être accueillies et vont être formées pour des activités génératrices de revenus et un financement s’ensuit. Aujourd’hui, plusieurs femmes ont été formées en gestion et activités professionnelles. Elles ont des activités génératrices de revenus. Donc la prise en charge est aussi sociale et économique pour donner à ces femmes la possibilité de se prendre en charge ultérieurement. Parce que la fistule obstétricale, le soubassement, c’est la pauvreté. Les femmes nanties n’ont jamais presque de fistules pour lesquelles on parle d’obstétricale, parce qu’elles peuvent se prendre en charge.
EnQuête
Tant qu’il y aura des filles excisées et « cousues » avant le mariage, on aura toujours des femmes avec une fistule ! Les femmes qui n’ont pas subies ces pratique, au Sénégal et de par le monde n’ont pas de fistule, quand bien même elles ont donné naissance difficilement à cause de leur âge et/ou de l’étroitesse de leur ouverture vaginale ! Ces pratiques moyenâgeuses devraient disparaître à jamais en Afrique !