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Questions controversées de l’orthographe du wolof Par Arame Fall

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La chronique du Colonel Moumar Guèye intitulée « Les publicistes du ramadan massacrent le wolof ! » ainsi que l’article de Monsieur Youssoupha Babou, publié dans le Quotidien du 28 juin 2016 « Orthographe des mots wolofs : faut-il créer une police des langues nationales ? » me donnent l’occasion de donner mon point de vue sur certaines questions controversées.
1. Les polices de caractères. Avec les claviers des ordinateurs classiques on peut, sans adaptation, générer tous les caractères du wolof, à l’exception de ?, ?, À, É qui peuvent être obtenus à partir de la table des caractères spéciaux ou en tapant respectivement alt 0330, alt 0331, alt 0192, alt 0201. Pour ce qui concerne les autres langues nationales, en particulier le sereer et le pulaar qui ont plus de caractères spéciaux, des solutions existent, parmi lesquelles les polices de caractères mises au point par la Société internationale de Linguistique (SIL). C’est dire qu’au plan technologique, toutes les conditions sont réunies pour la prise en charge de l’écriture des langues nationales. Il s’y ajoute que des instruments de formation rapide et d’auto-formation existent dans les six langues de première génération au niveau de la Direction de l’Alphabétisation et des Langues nationales (DALN) et de certaines ONG qui s’occupent d’alphabétisation. Il faut savoir que pour une personne instruite en français, l’initiation à la lecture et à l’écriture peut se faire en une dizaine d’heures. Malgré toutes ces opportunités, les publicistes et les organes de presse restent indifférents aux appels pressants qui leur sont régulièrement adressés. Cela a commencé avec l’article de Madame Mariètou Diongue DIOP intitulé *mok pothie (mokk pooj) et publié dans le Soleil du 23 septembre 1991. Elle disait « une question légitime qu’on doit se poser c’est comment deux décennies d’alphabétisation ont pu n’avoir aucun impact sur nos journalistes nationaux …». Mais il serait injuste de s’en tenir seulement aux publicistes et à la presse. C’est un problème global qui relève d’un manque de volonté politique manifeste. En attendant des aménagements structurels, comme l’introduction de modules de langues nationales dans les écoles de formation de journalisme, ces dernières pourraient dans un premier temps, consacrer la première semaine de la scolarité à la maîtrise de l’orthographe, en tenant compte des choix des étudiants. De la même façon, pour les journalistes et animateurs en exercice, les rédactions pourraient organiser des séminaires de formation continue.
2. Yewwu leen, ou Yeewuleen ? Pour Monsieur Babou le titre de l’émission matinale de TFM devrait s’écrire Yewwu leen «réveillez-vous». Pour moi c’est Yeewuleen, avec ce découpage yee/w/u/leen. Je suis d’accord avec lui sur la forme de base qui est yee « réveiller, éveiller, sensibiliser (cf le dérivé yeete « sensibilisation »). Nous sommes en désaccord sur l’exigence de redoublement de ww avant le suffixe –u. De mon point de vue, le suffixe –u à valeur pronominale n’exige pas le redoublement de la consonne finale de la base, comme le montrent de nombreux exemples parmi lesquels yeew/yeewu « lier, attacher/ se lier, s’attacher », cité par Monsieur Babou, ainsi que diw/diwu « enduire de…, s’enduire de… », faj/faju « soigner/se soigner », wat/watu « raser, se raser» etc. L’apparition de la consonne /w/ dans yee/w/u « se réveiller » est un phénomène courant entre la finale vocalique d’une base et l’initiale vocalique d’un suffixe : ji/w/u « semences », fo/w/ukaay « jouet », àtte/w/aat « rejuger » etc. Il y a ensuite la marque leen de la deuxième personne du pluriel de l’impératif, il faut la coller, comme le stipule l’article 16 du décret n° 2005-992 du 21 octobre 2005 relatif à l’orthographe et à la séparation des mots en wolof. Donc à l’arrivée on a Yeewuleen.
3. « Soyez respectueux de la loi » et « éveillez-vous à la loi ». De mon point vue, ces formules sont traduites par deux expressions wolof qui, selon les considérations orthographiques développées plus haut, s’écrivent de la même façon – des homographes : Yeewuleen ci yoon. Mais elles n’ont ni la même base, ni le même découpage. La formule qui correspond à « Soyez respectueux de la loi » a pour base yeew « attacher », avec le découpage suivant yeew/u/leen. La correspondante de « éveillez-vous à la loi » a pour base yee « réveiller », avec le découpage : yee/w/u/leen. Les risques d’ambiguïté qui pourraient résulter de cette homographie sont minimes, car la formule « Soyez respectueux de la loi » a des concurrentes beaucoup plus fréquentes : tënkuleen ci yoon, ou sàmmoonteleen ak yoon, ce qui rend son emploi plutôt rare.
4. Yewwu yewwi ou Yeewu Yewwi ? S’agissant du mouvement féministe créé par Madame Marie-Angélique Savané, je ne connais pas l’orthographe qui figure sur le récépissé, ce que je peux dire c’est que la graphie Yeewu yewwi que je propose est également utilisée dans les documents figurant sur le net, avec toujours la mention « Prendre conscience pour se libérer ».
5. Le phonème /k/. Il est bien représenté à la finale avec ak « et, avec », on relève aussi kokam k/o/k/am dans « Pitax mu ndaw » de Serigne Adi Touré, (k et ñ étant le classificateur humain au singulier et au pluriel) ; ailleurs, on relève sama kok « la personne proche de moi », le pluriel samay ñoñ « mes proches » est beaucoup plus fréquent. Ak est à distinguer de ag « article indéfini pour les noms de la classe g-», ag garab, ag kër.
Puisque l’on parle d’orthographe, il faut signaler une correction sur le titre de la chronique du Colonel Moumar Guèye : faaxee au lieu de faaxe.
Arame Fall

3 Commentaires

  1. je trouve pertinente l’analyse : la recherche et la promotion d’un environnement lettré nous impose le respect des normes qui régissent nos langues nationales, codifiées. Une faute en français (exemple: LE (au lieu de LA) femme) fait de vous l’objet de rires et de moqueries. Le respect de l’autre se mesure à la considération qu’on a de soi, de ce qui nous est propre. Nos langues ne sont pas vernaculaires, elles possèdent des normes orthographiques et grammaticales.
    Cependant, je suis d’avis, pour ne prendre que cet exemple, que le mot YEEWU LEEN (du nom de l’émission de la TFM) reste mal orthographié. Tel que écrit, ça signifie « ATTACHEZ-VOUS »; ce qui traduirait exactement le contraire de l’idée de base qui est de s’éveiller. Il me semble plus correct d’écrire YEWWU LEEN (en géminant le W), le suffixe U, traduisant le forme pronominale, 1ére personne du singulier (sangU, sàngU, solU, jaayU etc.).
    L’idée de former les professionnels de presse aux langues nationales me semble d’autant plus pertinente qu’elle confirmerait l’option prise d’introduire ces mêmes langues dans le système éducatif formel en en faisant le medium pour les enseignements de base.
    Entre autres points, cette ébauche d’analyse pourrait contribuer à relancer la réflexion, pour la promotion de nos langues nationales.

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