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L’émotion ne fait pas la loi – Par Madiambal Diagne

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La proposition de loi préconisant le rétablissement de la peine de mort, déposée le 19 novembre 2013, par le député Boughazeli, n’avait presque pas retenu l’attention de l’opinion publique. Dans ces colonnes, nous nous étions insurgés contre une telle initiative qui, de notre point de vue, n’avait aucune chance d’aboutir dans un Sénégal qui a fini de régler ses indélicatesses avec les principes fondamentaux des droits de la personne humaine. Mais le débat vient de ressurgir autour de la question de l’opportunité de rétablir la peine capitale, supprimée des échelles des sanctions pénales en 2004, à l’initiative du Président Abdoulaye Wade.

C’est à cause notamment du meurtre ignoble dont a été victime Fatoumata Makhtar Ndiaye, vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese). L’émotion a gagné l’opinion publique du fait sans doute de la position sociale de la victime et de l’ignominie de l’acte perpétré par une personne qui lui était proche et qui lui serait redevable. Le meurtre revêt ainsi quelque part des allures de parricide. Il s’y ajoute que, comme répondant à une loi non écrite des séries de meurtres, plusieurs autres meurtres ont été enregistrés durant la même période. Le phénomène a pu faire peur, émouvoir de nombreux Sénégalais qui, il faut le dire, ne sont pas toujours habitués à un tel déferlement de violence. Ainsi, le chef de l’Etat, profondément affecté par l’assassinat d’une responsable politique d’une grande envergure dans son parti politique, une grande militante qui lui est donc assez proche, a préconisé le durcissement des peines applicables aux infractions criminelles comme le meurtre ou l’assassinat. On se rappelle que le même Macky Sall, quand il avait été pour présenter des condoléances au domicile du député Moustapha Diakhaté qui avait perdu alors son jeune frère dans un accident de la circulation, avait brandi son courroux contre les chauffards qui font de nombreuses victimes sur nos routes.
La réaction naturelle et normale d’un gouvernant devant une situation qui suscite l’émoi auprès de son opinion publique est d’apaiser et de rassurer. Cependant, l’on ne devrait pas se précipiter à parler de changer la législation. Il est question ici de changer de législation, car Macky Sall ne saurait se substituer aux juges pour appliquer des emprisonnements à perpétuité, par exemple, contre les personnes reconnues de meurtre, si la loi pénale n’enferme pas les magistrats dans un carcan. L’expérience renseigne que les lois, prises sous le coup de l’émotion et surtout de la colère, ne sont pas toujours les meilleures, tant du point de leur applicabilité que de la préservation des droits fondamentaux de la personne humaine. Il y a lieu de se demander si le dispositif répressif déjà existant ne serait pas suffisant ou ce qui clocherait pour que la répression pénale soit inefficace ? Il convient toutefois de souligner que les statistiques sur la criminalité et le ressenti du phénomène de criminalité ou d’insécurité au Sénégal feraient encore de ce pays l’un des endroits les plus sûrs au monde. Certes, tout meurtre est effroyable, mais force est de constater que l’on tue moins dans les rues de Dakar que dans les coupe-gorges de certaines grandes villes du monde. Pourtant, dans des pays où la criminalité est galopante, la législation sur la peine de mort est applicable et parfois même un permis de tirer à vue, de tuer gratuitement, est donné aux forces de sécurité dans le seul objectif de juguler la criminalité. En d’autres termes, l’instauration de la peine capitale n’est pas un facteur d’éradication de la criminalité. Les couloirs de la mort continuent de se remplir dans les prisons de pays où la peine de mort continue d’être appliquée.
La médiatisation des meurtres perpétrés ces derniers jours ne traduit pas forcément une recrudescence de la criminalité au Sénégal. Avant Fatoumata Makhtar Ndiaye, d’autres paisibles citoyens et citoyennes sénégalais ont été lâchement assassinés pour des mobiles crapuleux, passionnels ou politiques par des proches, des épouses, des époux, des amis, des rivaux, des concurrents, leurs fils ou filles ou des ennemis ou même de simples loubards. Il n’y a pas une société où l’homme ne se révèle pas être un loup pour l’homme. L’inclination au meurtre n’est pas tributaire de la grande ou petite éducation ni de la richesse sociale ou de la religiosité du criminel. Il suffit d’observer les faits divers pour se rendre compte que les meurtres sont commis dans les hautes sociétés presqu’autant que dans les milieux pauvres.
Pour en revenir donc à cette idée de rétablissement de la peine de mort ou de renforcement de l’arsenal de répression des auteurs d’infractions criminelles, il convient d’indiquer que la colère est mauvaise conseillère. Le Sénégal a atteint un niveau tel en matière de respect des principes et règles les plus élevées en matière de justice qu’il ne saurait verser dans un réel recul du genre. Aussi longtemps que la peine de mort existait dans le droit positif au Sénégal, à part les deux seuls cas d’exécution en 1967 de Abdou Ndaffa Faye et de Moustapha Lô, reconnus coupables respectivement du meurtre du député Demba Diop et d’une tentative d’assassinat contre la personne du Président Léopold Sédar Senghor, plus jamais un cas d’exécution de la peine capitale n’avait été enregistré. Les rares condamnations à mort prononcées dans des affaires de parricide avaient notamment été commués en détention à perpétuité. Le Président Abdou Diouf avait pris sur lui d’annoncer que jamais un condamné ne serait exécuté sous son magistère. Si Léopold Sédar Senghor qui laisse à la postérité, à tort ou à raison, une image d’humaniste avait laissé exécuter des condamnés dont les actes avaient des mobiles politiques, le mérite de Abdou Diouf aura été de n’avoir point songé à faire corser la législation pénale dans des situations où certains de ses proches avaient été victimes d’assassinat politique. Le contexte de l’assassinat de l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, le 15 mai 1993, ou l’assassinat de six policiers sur le boulevard de la République, le 16 février 1994, n’avaient pas été des motifs pour surenchérir sur la législation pénale. De même, bien que fortement émue par le caractère sordide de l’incendie criminel de la Bourse du travail de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal, affiliée au Parti socialiste, le 22 mars 2002, l’opinion publique n’avait pas demandé la restauration de la peine de mort.
Le Président Abdoulaye Wade s’était lui inscrit dans la mouvance internationale de suppression de la peine capitale et a fait l’honneur du Sénégal de se voir enlever de la liste des Etats tueurs. Le Président Macky Sall ne doit pas être en reste, lui qui a fait, en août 2012, de l’exécution de la peine de mort prononcée contre Tabara Samb un casus belli contre le régime de Yahya Jammeh de la Gambie. Aussi, n’a-t-il pas hésité à faire cette année même un branle-bas diplomatique pour sauver du sabre du bourreau Mbayang Diop, une autre citoyenne sénégalaise, inculpée en Arabie Saoudite pour le meurtre de sa patronne.

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