Journaliste-analiste, M. Mame Less Camara estime que le champ politique sénégalais traverse la période de tous les dangers à cause des ambitions affichées par les différentes forces politiques. Pour lui, la présidentielle de 2012 risque d’être l’une des élections les plus disputées de l’histoire politique du Sénégal. « Il est sûr que 10 ans est un cycle de remise en cause », assure-t-il.
M. Mame Less Camara estime que la présidentielle de 2012 sera menée par des groupes qui ne seront pas au mieux de leur forme. « Nous avons en compétition deux groupes : Bennoo et la majorité sortante autour du président de la République. Ces deux groupes sont également deux grands malades. La majorité est confrontée à l’âge de son candidat, la candidature précipitée de son candidat et le risque est grand, si cette candidature n’est pas conduite jusqu’au bout, de voir éclater en différents groupes le parti qui est porteur de la majorité », déclare-t-il. Il ajoute à cela le risque de voir certains alliés « changer de camp ou se mettre à l’écart parce qu’ils ne se sentiraient pas suffisamment impliqués ». Aux yeux du journaliste, le champ politique a deux groupes où chacun a hâte d’en découdre, parce qu’il estime détenir « la majorité et la force ». Cependant, fait-il remarquer, « à l’examen, on se rend compte qu’aucun de ces groupes n’est prêt. Bennoo souffre d’un surplus de candidatures potentielles. Ce qui fait que le débat qu’il a installé sur la candidature unique joue à peu près la même chose que la candidature précipitée d’Abdoulaye Wade », argumente-t-il.
Mame Less Camara est d’avis que tous ces groupes bouillonnent d’ambitions. « Il y a de petits groupes menés par des ambitieux qui veulent assurer la succession du président Wade en 2012. Chaque groupe souffre de cette carence pour pouvoir organiser les forces qu’elles recèlent autour d’un leadership unique. Abdoulaye Wade sait qu’il réunit les gens sur un leadership plus symbolique qu’efficace, alors que Bennoo est à la recherche d’un leadership légitime. On se trouve devant deux impasses, alors que le temps presse et qu’on va de plus en plus vers la présidentielle de 2012 », indique-t-il. Cet environnement pourrait être l’une des raisons de la bataille sur la recevabilité de la candidature de Wade lancée par l’opposition ? Mame Less Camara explique que la bataille psychologique a été relancée par l’entrée en scène des Constitutionnalistes et des juristes qui sont venus essayer de fonder en droit la non recevabilité de la candidature du président Abdoulaye Wade.
« S’il est avéré juridiquement que Wade ne peut pas être candidat, cela veut dire qu’il n’y a plus rien de fédérateur pour retenir les ambitions qui bouillonnent au sein du Pds. C’est sûr que les partisans du président Wade ne vont pas l’accepter, non seulement parce qu’ils pensent que la candidature de leur leader est la meilleure, mais ils savent que Wade non partant, c’est le Pds qui va à la dérive », poursuit-il. De l’autre côté, l’analiste constate qu’un « débat sans fin se mène autour d’une candidature plus qu’improbable, parce que les logiques qui définissent les désignations de candidats sont déjà à l’œuvre et ces logiques sont plurielles » Pour preuve, le journaliste rappelle que des gens de l’opposition ont annoncé qu’ils seront candidats. « C’est le cas de Macky Sall qui a pris la décision de se présenter en essayant maintenant de soigner ses arrières. Il faut se donner les moyens de revenir en alliance avec Bennoo en cas de deuxième tour », prévient-il.
Offensive généralisée
Quel rôle pour la société civile dans ce bouillonnement ? Mame Less Camara prédit qu’il y aura probablement plusieurs candidats de la société civile. « Bennoo, en réussissant l’unité autour des assises nationales a certainement pensé que la question des candidatures dispersées de l’opposition était réglée. Ces assises ont pu réunir non seulement les partis politiques, mais également des organisations de la société civile, des syndicats, etc. Une telle union devrait être le socle sur lequel on pouvait s’appuyer pour avoir un candidat unique de l’opposition », explique-t-il. Cependant, fait-il remarquer, « force est de reconnaître qu’à l’intérieur de Bennoo et sur les flancs de Bennoo, risquent de naître d’autres candidatures et que la société civile est en train quasiment de remettre en cause cette force de légitimité que se sont octroyés les partis politiques pour être les détenteurs de la désignation d’un candidat ».
Mame Less Camara range manifestement Cheikh Tidiane Gadio dans cette catégorie de personnalités qui, « de la politique, ont fait le saut vers la société civile pour retrouver un sorte de vigueur et de virginité ». « Si vous écoutez Cheikh Tidiane Gadio, il estime que les partis politiques n’ont pas parfaitement joué leur rôle, y compris dans l’opposition. « C’est un discours de légitimation d’une candidature qu’il va se forger sur le champ des organisations de la société civile », analyse M. Camara. Selon toujours l’analyste politique, Bennoo a fait l’effort de réduire les risques de pluralisme dispersé, mais malgré tout il risque d’y avoir plusieurs candidatures contre Abdoulaye Wade. « Même si Bennoo règle la question de la candidature unique, il y a d’autres moyens d’émergence de candidats contre Wade composés de groupes qui se réclament de la société civile ou des personnalités politiques qui font le saut pour se repositionner en tant que position indépendante neuve à partir d’une appartenance proclamée à la société civile », souligne-t-il. Cette division ne constitue-t-elle pas une aubaine pour Wade ? Mame Less Camara prévient que dans tous les cas de figure, « les candidatures contre Wade sont une menace pour le président, mais pour tout le pouvoir qu’il incarne. C’est tout le pouvoir qu’il incarne qui est sous la menace d’une offensive généralisée de l’ensemble des forces politiques. Wade risque d’aller aux élections sans réserve de voix pour le deuxième tour. Tout le potentiel risque d’être mobilisé pour le deuxième tour », fait-il remarquer.
Quid de la stratégie adoptée par l’opposition qui a débuté ses attaques par le bilan du président Wade avant d’aboutir à la contestation de sa candidature ? Mame Less Camara estime qu’il y a des rationalités qui s’organisent ainsi. « Dans un premier temps, essayer de voir dans le bilan du président ce qui le rend non rééligible. On passe d’une attaque rationnelle fondée sur un décryptage du bilan du président, à une phase plus personnelle, plus émotionnelle pour affaiblir le président », dit-t-il.
L’offensive des religieux
Mame Less Camara est d’avis que le Pds ne se laissera pas faire. « Le seul juge, c’est le Conseil constitutionnel qui devra dire le droit sur la question. Mais, au plan politique, on comprend parfaitement que les attaques pour leur virulence et leur pertinence et peut-être appuyées par un extrait sonore du discours du président sont telles que tout le système s’organise autour du président pour le défendre », souligne-t-il, ajoutant que le champ politique traverse la période de tous les dangers en direction de la présidentielle. Dans ce jeu, il risque d’y avoir des « intrus » qui contestent la bipolarisation Bennoo-Ast. « Même si ces groupes n’ont pas la force de mobilisation pour casser cette bipolarisation, ils risquent d’ouvrir la voie et de légitimer leurs candidatures », selon M. Camara qui pense qu’il s’agirait de candidats parfois inattendus venant de la société civile ou peut-être du monde religieux. Etayant ses propos, il rappelle que les deux mandats de Wade ont été des mandats durant lesquels le monde religieux s’est projeté dans la politique de façon à la fois vigoureuse et originale. « Vigoureuse parce que ce sont des gens qui regardent maintenant la politique et qui y interviennent régulièrement.
Originale, parce que ce n’est pas la première fois, mais cette fois-ci, on a l’impression que les religieux vont intervenir en politique non pas au nom de Dieu, mais au nom de ceux qu’ils sont censés représenter », explique-t-il. Ces religieux peuvent-il créer la surprise ? Mame Less Camara ajoute que cette catégorie sociale doit être un élément à prendre en considération. « Jusqu’ici l’intervention d’un religieux ne bénéficiait qu’à un candidat sous forme de consigne de vote, mais cette fois-ci ce sont des sous-chefs religieux qui peuvent être en désaccord avec leur hiérarchie et qui risquent de plonger dans le champ politique », explique-t-il.
Babacar Dione
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