En dédaignant les conclusions de la CIA sur l’intervention de la Russie dans l’élection américaine, Donald Trump a provoqué l’inquiétude et la colère d’ex-espions américains qui craignent de voir se creuser un fossé inédit entre le prochain président et une source cruciale d’information.
« Le président élu est le seul Américain de premier plan à n’avoir pas encore reconnu que les Russes ont mené une vaste campagne secrète contre les Etats-Unis », a lancé un ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, sur CNN mercredi.
Trump rejette les conclusions
Ne cachant pas ses affinités avec Vladimir Poutine et son intention de rétablir des liens plus cordiaux avec Moscou, Donald Trump a vigoureusement rejeté les conclusions de la CIA révélées la semaine dernière, selon lesquelles la Russie est intervenue par ses cyberattaques dans la campagne électorale américaine afin de favoriser sa victoire.
Piratage des comptes de campagne
Le goutte-à-goutte de messages soutirés des comptes de l’ancien directeur de campagne de sa rivale Hillary Clinton et du parti démocrate, après que ces deux comptes ont été piratés, avait jeté une lumière peu flatteuse sur les coulisses des opposants du milliardaire républicain, alors même que la campagne battait son plein.
« Ridicule »
Donald Trump, qui prendra ses fonctions le 20 janvier, a qualifié de « ridicule » l’hypothèse d’une intervention russe: les services de renseignement « ne savent pas si c’est la Russie ou la Chine ou quelqu’un d’autre ; ça peut être quelqu’un assis sur son lit quelque part. Ils n’en ont aucune idée ». Et son équipe a frappé plus fort encore contre la célèbre agence de renseignement, assénant que les experts de la CIA étaient aussi « ceux qui avaient dit que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive ».
Extraordinaire
S’il n’est pas rare que la Maison Blanche et la CIA parviennent à des conclusions différentes en s’appuyant sur les mêmes informations, il est « extraordinaire que le président élu exprime si publiquement ses différends avec les responsables du renseignement, et d’une façon si dédaigneuse et insultante », a souligne un autre ancien de l’agence, Henry Crumpton.
Divergences internes
Les propos de Donald Trump ont d’ailleurs fait réagir jusqu’au sein même du parti républicain. Allant à l’encontre du président élu, le sénateur Lindsey Graham a ainsi assuré croire « en effet que les Russes ont piraté le parti démocrate ». Et face aux piques de Donald Trump visant la CIA, il a pris sur Twitter la défense des services de renseignement: « Ceux qui travaillent pour les services de renseignement américains sont des patriotes ».
« Trump et Poutine disent la même chose »
En rejetant les conclusions de la CIA, le milliardaire a de fait donné raison au président russe, déplore Michael Hayden. « Sur ces faits précis, Donald Trump et Vladimir Poutine disent la même chose », a-t-il martelé, avant de s’inquiéter de l’impact sur la conduite du pays des attaques publiques du futur président. « Le renseignement devrait servir à créer la base et établir les limites permettant de faire des choix rationnels de politiques », dit-il. « La probabilité que cela se produise semble toutefois plus faible après la semaine passée et nous nous dirigeons dans la mauvaise direction. »
Débuts difficiles
Autre ex-chef des espions américains, Leon Panetta a comme M. Hayden prédit que les critiques de Donald Trump laissaient présager des débuts difficiles dans ses relations avec l’agence.
Position « inédite »
Ancien directeur des opérations de la CIA, où il a travaillé pendant 32 ans, Jack Devine estime lui que la position de Donald Trump est « inédite »: « Selon moi, c’était une grosse erreur de dédaigner publiquement les conclusions du renseignement et de là, l’institution toute entière », confie-t-il à l’AFP. « Je crains que cette dispute publique ne démotive au sein de l’agence et que certains ne partent plus tôt », poursuit-il.
Camouflet
Autre camouflet pour les services de renseignement américains: Donald Trump, qui succédera à Barack Obama le 20 janvier, estime n’avoir pas besoin du briefing quotidien traditionnellement donné au président élu sur ces questions pendant la période de transition. « Je le reçois quand j’en ai besoin », a-t-il dit. « Vous savez, je suis intelligent, je n’ai pas besoin qu’on me dise la même chose et les même mots tous les jours pendant les huit prochaines années ».
Tâche compliquée
En entamant la crédibilité de la CIA, de tels propos risquent de compliquer la tâche de Michael Pompeo, nommé par Donald Trump pour diriger l’agence de Langley, et de tous ses agents, estime Henry Crumpton. « Le président est le premier client des informations de la CIA. Si le président ne les prend pas en compte, cela risque de mettre en doute la crédibilité de l’agence face aux services de renseignement étrangers ».