La coalition Mankoo Wattu Senegaal n’a pas daigné répondre à l’invitation du Président Macky Sall, à une concertation sur le processus électoral avec les acteurs politiques, le vendredi 27 janvier 2017, à 16 heures, au Palais de la République. Lors d’un point de presse tenu le même jour et à la même heure, ses leaders ont tenté d’expliquer et justifier les raisons pour lesquelles, ils ont boycotté cette rencontre.
Entre autres points évoqués, il y a, selon eux, le non-respect des engagements pris par le chef de l’Etat lors de la rencontre du 1er décembre 2016, à savoir, « le non-respect de la date des élections législatives prévue le 2 juillet 2017, l’augmentation du nombre de commissions administratives, la mise à disposition de la carte des commissions administratives, la possibilité de l’utilisation de l’ancien fichier électoral, le nombre de 15 députés alloués à la diaspora sur la liste majoritaire dans des départements taillés sur mesure. Etc. » (Le Quotidien n° 4189 des samedi 28 et dimanche 29 Janvier 2017).
Mais, plus que tout autre facteur, qui a soulevé la colère des membres du Front pour la défense du Sénégal / Mankoo Wattu Senegaal (Fds/ Mws), serait la décision prise par le ministre de l’Intérieur, de faire siéger dans le Comité de Suivi Electoral, des personnes qui n’y ont pas droit en violation des principes arrêtés en commun, en « inventant un quatrième pôle dit des « Indépendants », à l’insu de l’opposition et des Non-alignés. » (La Tribune n° 1578 des samedi 28 et dimanche 29 Janvier 2017).
Pour avoir été témoin lors de la réunion d’installation officielle du Comité de suivi de refonte partielle du fichier électoral, le lundi 23 Janvier 2017 dans la petite salle de Conférence du ministère de l’Intérieur, je voudrais préciser, que les accusations portées à l’endroit du ministre de l’Intérieur, sur cette question précise du « pôle des Indépendants », ne sont ni justes ni fondées. Ce n’est pas Monsieur Abdoulaye Daouda Diallo qui a inventé la notion de « pôle indépendant ».
Pour l’histoire, il convient de rappeler qu’à la veille de la présidentielle 2000 où la première alternance politique est intervenue au Sénégal, il y avait 42 partis politiques légalement constitués. Les rencontres entre le ministère de l’Intérieur et les partis regroupaient l’ensemble des formations politiques. A partir de l’an 2000, le nombre de partis a commencé à augmenter de façon vertigineuse. A la date du 3 Avril 2012 avec la prestation de serment du Président Macky Sall, le nombre de partis était monté à 190 légalement constitués, soit une augmentation de 148 partis en douze (12 ans). C’est dire qu’entre la création de l’UPS (devenue PS) le 6 septembre 1959 par Léopold Sédar Senghor et la survenue de la première alternance politique en l’an 2000, avec le Président Abdoulaye Wade, le nombre de partis a été multiplié par 4,5. Ce processus de multiplication des partis s’est poursuivi après le départ du Président Wade, et, aujourd’hui, nous sommes à 270 partis légalement constitués. Avec les demandes de création de partis en cours d’instruction, bientôt nous allons atteindre la barre de 300 partis politiques au Sénégal. C’est ce qui explique que la question de la modernisation et de la rationalisation des partis figurait parmi les points soumis aux sénégalais lors du Référendum du 20 mars 2016.
C’est dans ce contexte d’inflation continue de création de partis politiques, que l’idée de les regrouper en pôles politiques est apparue comme une nécessité impérieuse, puisque réunir l’ensemble des partis dans une salle était devenu chose compliquée. Cette évolution s’est traduite dans notre dispositif législatif et réglementaire et dans la Constitution qui stipulent que ce sont « les partis politiques et les coalitions de partis qui concourent à l’expression des suffrages ». Auparavant, les textes disaient que c’étaient seulement les partis qui pouvaient concourir à l’expression des suffrages. Même si la tradition de convocation individuelle des partis n’a pas complètement disparue, s’il y a des questions d’enjeux majeurs concernant le processus électoral, comme ce fut le cas à Ngor Diarama lors des concertations du jeudi 9 Juin 2016, sur la refonte partielle du fichier électoral et l’institution de la carte à puce CEDAO, il faut reconnaître que le regroupement des partis en pôles est plus opérationnel et plus efficace pour des activités qui nécessitent un travail de monitoring et un suivi pointu. Mais leur nombre et leur composition n’ont jamais été déterminés une fois pour toutes. Ils sont fonctions de l’évolution de la situation qui, du reste, est très mouvante.
C’est ainsi que lors de la rencontre d’échanges et de concertation, de Ngor Diarama, il avait été retenu la décision de mettre en place une commission composée de mandataires des différents partis politiques autour de trois pôles (Majorité, Opposition et Non- Alignés) ainsi que des représentants des autres acteurs du processus électoral. Ce sont ces trois pôles politiques qui ont siégé comme entités politiques, à côté des autres acteurs, pour former le Comité Technique de Revue du Code Electoral (CTRCE) (2016).
Il y a lieu de rappeler que lors des travaux de la Commission Technique chargée de la Revue du Code Electoral (CTRCE) (2011), à l’Hôtel SAVANA de Dakar, du 27 juillet au 09 septembre 2011, sous la modération de Monsieur Abdoul Mazide NDIAYE, avec comme suppléant Monsieur Pape Sambaré DIOP, respectivement Président et Vice- président du Comité de veille et de Suivi des Recommandations de la Mission d’Audit du Fichier Electoral (MAFE), les partis politiques étaient regroupés autour de six (6) pôles : La coalition Alliance Sopi pour Toujours (AST) ; la coalition Bennoo Siggil Senegaal (BSS) ; la coalition Bennoo Taaxawal Senegaal (BTS) ; la coalition des partis politiques Non- Alignés (CPNA) ; la coalition des Partis Indépendants (CPI) ; les partis n’appartenant à aucune coalition.
Les travaux qui ont démarré en présence des représentants des partenaires au développement que sont la Délégation de l’Union Européenne, l’Ambassade des Etats –Unis et l’Ambassade d’Allemagne, se sont bien déroulés grâce à l’appui financier et logistique du Programme de Bonne Gouvernance : PGP/IPES/ USAID. Le Comité de Veille a abattu un travail extrêmement important en passant au peigne fin les différents aspects de notre système électoral. C’est ce travail très important qui a donné les fruits qui ont conduit à l’instauration de conditions favorables à la tenue d’une élection présidentielle apaisée et transparente en 2012.
Pour revenir sur l’incident survenu lors de la cérémonie d’installation officielle du Comité de suivi de refonte partielle du fichier électoral du lundi 23 Janvier 2017, il faut dire que c’était la première rencontre de la structure nouvellement crée. Lorsque le ministre de l’Intérieur est arrivé dans la salle, il a déclaré ouverte la séance et a informé de la présence de représentants d’un quatrième (4eme) pôle dit « Indépendant » qui lui avait adressé une correspondance pour siéger au Comité de suivi. Les représentants de l’Opposition et des Non- alignés ont protesté contre leur présence dans la salle, et avant même que le débat ne soit engagé à fond, pour statuer sur la validité de l’acceptation ou pas d’un quatrième pôle au sein du Comité de suivi, ils sont sortis pour s’adresser à la presse, en disant qu’ils ne vont jamais siéger avec des gens qui se réclament « Indépendant ». Ils ont fait observer qu’à Ngor Diarama, on avait retenu que trois (3) pôles.
Par conséquent, ils ne peuvent tolérer la présence d’un 4eme pôle. Les autres participants à la réunion les ont suppliés à rester dans la salle pour continuer les échanges sur la question, ils ont catégoriquement refusé. Le ministre a procédé à l’installation officielle du Comité et s’est retiré. La CENA a présidé la suite des travaux et des échanges ont eu lieu sur les modalités de fonctionnement, la périodicité des réunions et le siège du Comité. Voilà exactement ce qui s’est passé.
A présent, il y a lieu de préciser ce qu’est un candidat indépendant et un pôle indépendant. Le concept de candidat indépendant a été évoqué et discuté de façon approfondie lors du CTRCE (2016). Tout le monde avait admis la nécessité d’encadrer cette disposition qui, désormais, allait s’appliquer à tous les types d’élections (présidentielles, législatives et locales). C’est ainsi qu’un large consensus est intervenue sur la définition suivante : « Est candidat indépendant celui qui n’a jamais milité dans un parti politique ou qui a cessé toute activité militante depuis au moins un (1) an » (Article 57, Projet de loi N° 44/2016 portant Code Electoral).
C’est dire que dans le Comité de Suivi il n’y a pas de candidats indépendants. A l’heure actuelle, il n’existe aucun candidat individuel puisque la période d’enregistrement des candidatures aux législatives 2017 n’est pas encore ouverte.
Quant au pôle Indépendant, il est défini par rapport aux groupes politiques qui existent dans le Comité de suivi, à savoir, la Majorité, l’Opposition et les Non- Alignés. Ce pôle, à l’instar des autres, est composé de partis politiques légalement constitués. Ce n’est pas parce que Garmi Wattu Senegaal a quitté le Front pour la défense du Sénégal / Mankoo Wattu Senegaal (Fds/ Mws), qu’il doit être exclu du jeu électoral. Une scission est intervenue au sein de cette coalition et un groupe de partis légalement constitués, associé à d’autres partis politiques, ont formé un quatrième pôle dit « indépendant ». Ce dernier a bel et bien sa place au sein du Comité de suivi. Le Comité de suivi n’appartient à aucun groupe politique. Aucun pôle n’a la prérogative de décréter qui doit en être membre ou pas. L’espace électoral est tellement vaste que tous les acteurs politiques y ont leur place. Donc, nous devons éviter l’exclusion et le sectarisme, et faire preuve d’esprit d’ouverture, de générosité et de partage. La chose électorale est par définition inclusive et participative. L’implication de tous les acteurs dans le contrôle et la surveillance du processus électoral à toutes les étapes de la chaîne des opérations électorales est gage de transparence dans la surveillance des scrutins. Comme le stipulent les dispositions de l’article L.48 du Code Electoral : « La CENA ainsi que les partis politiques légalement constitués ont un droit de regard et de contrôle sur la tenue du fichier. »
Le front Mankoo Wattu Senegaal est sans aucun doute un acteur politique majeur, au regard des entités qui le composent. Cependant, tous les partis légalement constitués ont une égale dignité. Par conséquent, aucun acteur n’a le droit d’exclure d’autres acteurs dans le processus de vérification et de surveillance du processus électoral.
C’est pour ces raisons et bien d’autres, qu’il est souhaitable que la coalition Mankoo Wattu Senegaal et les Non- Alignés, rejoignent le plus rapidement, le Comité de suivi pour assurer le travail de contrôle et le suivi des opérations électorales. Le Président de la République et le ministre de l’Intérieur ne sauraient être les seuls interlocuteurs d’un seul groupe d’acteurs politiques. Quels que soient l’importance des accords concluent çà et là, ceux – ci vont concerner également les autres acteurs, puisque leur mise en œuvre intéresse au plus haut point tous les acteurs du processus électoral. C’est ensemble, avec tous les membres de la famille des acteurs politiques, réunis autour d’une même table de concertation et de dialogue que les solutions idoines seront trouvées pour permettre à notre système électoral, d’être de plus en plus performant. Le Comité de suivi de la refonte partielle du fichier électoral qui regroupe les différents pôles politiques et les autres acteurs du processus électoral, constitue le cadre approprié de dialogue par excellence, et de levier efficace pour donner une impulsion vigoureuse à la vitalité de la démocratie sénégalaise.
L’élection, certes, par excellence est d’abord et avant tout une compétition. C’est un enjeu de pouvoir. Il est donc normal que les acteurs sur le champ de la compétition, ne se fassent pas confiance. Ils ne doivent pas d’ailleurs se faire confiance, ce qui ne signifie pas qu’ils soient ennemis. La seule chose à laquelle ils doivent faire confiance, c’est, d’une part, notre système électoral managé au plan de son organisation matérielle, par une Administration foncièrement républicaine, qui a organisé des élections qui ont débouché sur deux alternances politiques (2000 et 2012), de façon transparente sans aucune contestation politique majeure, et d’autre part, la confiance au peuple sénégalais qui est devenu la sentinelle vigilante de la surveillance du processus électoral.
C’est pourquoi, beaucoup de Sénégalais n’ont pas compris le sens du boycott par Mankoo Wattu Senegaal de la rencontre proposée par le président Macky Sall le vendredi 27 janvier 2017 aux acteurs politiques, sur le processus électoral. Ils ont estimé que tous les acteurs devaient répondre positivement à cette invitation, écouter celui qui les a invités, lui poser les problèmes qui les préoccupent, et dans un bel élan de solidarité et d’écoute mutuelle, rechercher ensemble des solutions aux difficultés rencontrées sur le terrain électoral.
Puisque le Chef de l’Etat a toujours fait preuve d’un sens élevé de l’écoute et de dialogue, cette rencontre avec les acteurs politiques était une formidable opportunité de partage d’informations et d’échanges sur tous les problèmes qui interpellent notre système électoral, d’autant plus que le temps presse et que nous sommes seulement à quelques mois de la date des prochaines législatives fixée au 30 Juillet 2017. Celles- ci vont constituer un tournant décisif dans l’évolution démocratique de notre pays. C’est pourquoi le peuple sénégalais tout entier doit se mobiliser comme un seul homme pour qu’elles se déroulent dans la transparence et la paix afin qu’elles contribuent à hisser encore plus haut le drapeau de la démocratie sénégalaise dans le firmament des nations émergentes.
Ousmane BADIANE,
Chargé des Elections de la LD
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