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Quand l’indomptable opinion publique dévoile la vacuité d’un Président

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«Que [l’Autorité] se borne à être juste nous nous chargerons d’être heureux» Benjamin Constant

Selon la Théogonie d’Hésiode, au commencement était le Chaos d’où sont issus le Ciel et la Terre, qui, en s’unissant, ont engendré le monstre Cronos. Cronos dévorait ses propres enfants après les avoir engendrés. Sa femme (qui était sa sœur), Rhéa, décida un jour de substituer à l’enfant nouveau-né une pierre emmaillotée. L’enfant sauvé de la voracité de son père n’était autre que Zeus qui finit par triompher de son père. Si Cronos est généralement interprété comme le symbole du temps (tout nait dans celui-ci et tout y devient caduc) il pourrait aussi être le symbole de l’histoire du président-politicien (selon l’expression de Mody Niang) et de la vanité de ses subterfuges. Il aura tout essayé ! Du chaos de 2011 à 2012 est née l’histoire tragique de la présidence (trop ordinaire) de Macky Sall, l’homme qui voulait réduire son opposition à sa plus simple expression en ne comptant que sur la manipulation des consciences et l’instrumentalisation de la justice.

Du marchandage filmé du mouton de Tabaski à l’emprisonnement industriel d’opposants, c’est la même logique : à défaut de convaincre par une vision et une pratique politiques cohérentes et probantes, Macky a jeté son dévolu sur la fiction et l’affabulation. Fabriqué en grande partie par la presse, il croyait pouvoir gouverner les Sénégalais par la manipulation et par la peur. Le nombre impressionnant de journalistes, de communicants et de patrons de presse (ses amis !) dans le cabinet et dans le gouvernement Macky est symptomatique d’un penchant totalitariste du personnage. Pour assouvir ses desseins oligarchiques, Macky Sall et son clan ont effacé la frontière entre « informer » et « communiquer » : il suffit de regarder la RTS et une certaine télé privée pour s’en convaincre.

Informer c’est porter à la connaissance d’autrui les faits tels qu’ils sont dans leur contexte et leur exhaustivité. Communiquer c’est mettre en forme, voire mettre en scène (dramatisation, exagération, caricature, « dé-contextualisation » et surtout, dé-conceptualisation). L’avantage de la dé-conceptualisation c’est de faciliter l’imitation par la masse d’une pensée stéréotypée, dépourvue de toute logique argumentative. « L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, est un des plus sûrs moyens de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. Plus l’affirmation est concise, plus elle est dépourvue de toute apparence de preuves et de démonstration, plus elle a d’autorité » disait Gustave le Bon dans ce sens. La frénésie avec laquelle Macky Sall s’est rué vers le contrôle de l’espace public, par le contrôle direct ou indirect des médias traduit sa foi en la toute-puissance de l’opinion publique.

Quant à la dé-contextualisation, elle permet de semer le doute et de dissiper la frontière entre la vérité et le mensonge. Car le mensonge, c’est connu, pour opérer avec succès, a toujours besoin d’une dose minimale de vérité. Ainsi, C’est plus vrai et plus sensé de parler de la « caisse noire » et de fonds politiques du Président que d’affirmer qu’il a levé le voile sur son salaire qui est de 5millions. Dire que Wade a été rejeté par 65% des électeurs sénégalais est plus vrai que répéter que Macky Sall à été élu avec 65%. Dire que Karim Wade a été condamné à 7ans de prisons pour enrichissement illicite est plus exact que dire qu’il été condamné parce qu’il a volé ou détourné des deniers publics. Bref, la communication est l’action d’établir une relation avec d’autres personnes, voire de produire une action. La communication est idéologique, elle n’est jamais ingénue, neutre, car elle vise un impact : c’est pourquoi on parle d’art ou de technique de communication.

Macky Sall et ses spin-doctors croient fermement au « manufacturing consent » (la fabrique de l’opinion) dont parle Naom Chomsky : la convoitise effrénée du clergé intellectuel (hommes de média, universitaires, leaders d’opinion) et des artistes obéit à cette logique de fabrique d’opinion. L’homme politique moderne compense son déficit de leadership par la « peopleisation » ou vedettisation : il incarne la posture de star. Et comme star, il a besoin de faire le buzz, d’habiter dans les consciences, de communiquer de façon industrielle. Le politicien de métier est celui chez qui il n’y aucune espèce de différence entre politique et communication : il est persuadé que l’opinion peut être fabriquée. Il faut dire qu’il n a pas tout à fait tort de penser de la sorte, car la psychologie, la psychosociologie et la sociologie nous ont appris que l’imitation est un des principaux vecteurs de la socialisation de l’individu. Gustave le Bon explique que les idées et les sentiments sont aussi contagieux que les maladies : « C’est surtout par le mécanisme de la contagion, jamais par celui du raisonnement, que se propagent les opinions et les croyances des foules ». Le rejet des dérives de fin de règne de Wade a été très mal exploité par la classe politique : on a tout simplement attisé la haine contre lui au lieu de travailler à asseoir une alternative politique crédible et porteuse d’un sursaut citoyen capable de mener avec abnégation le combat pour le développement. On a sciemment noyé dans l’océan des sentiments anti-Wade le débat sur la crédibilité des hommes et leur programme.

Le résultat pitoyable auquel on a abouti aujourd’hui c’est que notre pays est sous le règne d’une médiocrité jamais égalée dans l’histoire du Sénégal. Un endettement inutile et aveugle, des projets loufoques et des plans électoralistes : tout ce brouhaha est juste entretenu pour cacher l’incapacité de Macky Sall en prendre en charge les aspirations profondes du peuple. Pour occulter leur médiocrité historique, les tenants du régime ont sournoisement investi les partis d’opposition et les médias. Dans tous les partis ils ont leurs pions qu’ils entretiennent à coup de millions ; même les retraités de luxe du M23 reçoivent leur part des dividendes de leur engagement ou plutôt de leur désengagement citoyen. Les partis d’opposition sont infestés de taupes qui travaillent sournoisement pour le régime oligarchique de Macky Sall. Dans les médias, ils pèsent non par la qualité de leurs arguments (ils sont incapables de débattre, ils reproduisent des schémas intellectuels) mais par leur force de pression. Tous les médias en ligne, la presse écrite ou parlée et la télévision subissent des pressions : ils veulent contrôler les médias soit par la publicité, soit par l’introduction d’un ver dans le fruit. Une certaine presse en ligne est devenue un organe voire, une officine de publicité pour les activités du gouvernement.

Le rêve puéril de ces apprentis politiciens était de contrôler les consciences par l’entremise des médias. Mais il y a une donne qu’ils avaient oubliée : l’opinion publique est aussi volatile que l’essence. Le mensonge, la corruption, la pression, l’organisation d’une spirale du silence (par le choix des sujets débats et d’actualité Elisabeth Noëlle-Neumann) ne suffisent pas à dompter l’opinion publique précisément parce qu’elle ne pense pas ; elle est plus émotionnelle que rationnelle. Ils ont oublié que les médias parallèles, appelés de façon générique les réseaux sociaux, étaient de puissants contre-pouvoir de la presse traditionnelle. Puisque la presse a, en partie, déserté son rôle de contre-pouvoir pour flirter avec le pouvoir, sa place a été occupée par les réseaux sociaux qui appartiennent, non à des lobbyistes sournois (qui prétendent parler au nom du peuple pour assouvir leur dessein) mais aux citoyens.

Comme Cronos, Macky le dévoreur de libertés et de carrières politiques sera dévoré par son insatiable appétit du pouvoir. Un proverbe sérère a dit que l’arbuste qui deviendra l’arbre à palabre du village grandit à l’insu du bûcheron : il échappe à la hache faucheuse de ce dernier parce qu’il ne le verra pas. Alors Macky peut emprisonner qui il veut et même toute l’opposition ; il peut acheter des opposants sans dignité et quelques journalistes véreux, mais il ne pourra pas résister à l’éveil du peuple qui sera forcément brutal. Car plus le peuple est faussement attaché à des chimères et à des idoles, plus son rejet de celles-ci sera violent. Ruminant son erreur ou la crédulité qui l’a exposé à la roublardise des lobbies, le peuple voudra à la fois se libérer du joug du menteur et venger la violence de l’imposture qui l’a autant aveuglé.

Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Secrétaire général du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

5 Commentaires

  1. merci waay professeur, je lis et fais discuter vos articles. Il est faux de dire qu’on a pas le choix devant les politiciens, on a toujours le choix, et pour cela, il faut cesser de lire la presse partisane et investir le web, lire toutes les contributions et se faire son opinion, la bonne bien entendu.

  2. Merci M. KITANE. Vous me rassurez que les graines de nos illustres dignes et nobles ascendants demeurent encore dans ce Sénégal des Nobles, construit par des Nobles mais que des badolas arrivistes ont subtilisés pour le traîner dans leur demeure de boue bavee de par les crapauds qu’ils sont.

  3. Merci, vraiment, Mr KITANE.
    Le recrutement, par Macky Sall, de 90% de toute la presse, dés son prise de pouvoir, était un signe pour ceux qui savent comprendre. On ne recrute pas un communicateur par développer l’agriculture, ou la pêche, ou l’élevage. On le recrute pour communiquer. Macky Sall est venu, donc, pour communiquer. Il a recruté les 90% de la presse pour en faire une Forge d’Opinion. Et c’est ce que vivent les sénégalais. Mais j’ai eu l’habitude de répéter que « ceux qui n’ont pas compris par leur esprit, comprendront forcément par leur corps, quand cela fera mal ». Sur cette vérité, Macky et son armée n’ont aucune possibilité de me faire mentir. Parce qu’il s’agit d’une vérité qui transcende nos petites personnes.

  4. J’ai visionné, récemment, une vidéo de Rihanna, que ses gardes de corps étaient obligés de faire fuir en la protégeant de leurs corps contre une meute de fans qui ne voulaient que s’offrir le plaisir de toucher leur idole (leur drogue ?) ou de prendre une photo avec elle. Cette vidéo m’a fait refaire le tour du processus qui a mené à cela. Avant même cette vidéo, la chose qui m’avait le plus marqué, alors que j’étais élève, c’était la découverte que des fans de Claude François passaient la nuit devant sa porte, dans la neige, à attendre une petite signature de lui sur sa propre photo qu’ils détenaient.
    L’époque des Claude a été suivie de celle des groupes disco : Boney M, Ottowan, Donna Summer, Dianna Ross, Gloria Gaynor, Sheila, Bee Gees, Village People, Kool and the Gang, Ecstazy, Grace Jones, La Bionda, etc. Jusqu’à cette époque il s’agissait, plus ou moins de musiciens, artistes, qui, avec leur talent, signaient avec une maison de disques pour leur production et le marketing autour de leurs produits. Mais on avait glissé un peu vers des musiciens encadrés et réorientés par la maison de disques justement pour la réussite de la vente des produits. Le musiciens venaient donc avec ses produits, mais ces derniers étaient reformulés, réorientés par les conseils de la maison de disques pour se conformer à un moule, lequel moule permettait de vendre, de réussir, d’avoir du succès. L’artiste abandonnait donc un peu du sien, perdait son originalité pour devenir un peu autre. La maison de disque modifie, donc, le musicien dans son aspect physique et vestimentaire, mais aussi dans le contenu même de sa production musicale. Et l’arme de la maison de disques pour le faire se trouve être sa charge, à elle, de promouvoir le musicien, donc de lui faire vivre de « son » produit. Et le musicien qui se refuserait à ces modifications aura très peu de chances d’être produit et donc de vivre de son art. Il entre dans la maison de disque avec son art, il en sort avec ce qu’on lui donne. La vague des boys bands permet de mieux comprendre le phénomène.
    L’époque du phénomène disco a été suivie de celle des boys bands. Avec les boys bands, les maisons de disques trouvent des voies plus rapides pour véhiculer tout ce que les groupes de musiques traditionnels étaient réticents à porter. Les boys bands ne sont pas à proprement parler des musiciens, mais des acteurs recrutés pour jouer de la musique et, avec et par cette musique, transporter dans le public pas mal de chose qu’il serait impossible de transporter sans en avoir fait un accompagnement à la musique. Un exemple sénégalais pour comprendre, c’est le cas « Wandama ». Elhadj Ndiaye lançant son studio 2000 avait produit Baba Maal. Et, à l’insu de Baba, lors de l’enrégistrement, il glisse au milieu de l’une des chansons une réclame, une publicité de son studio. Et le disque a été ainsi vendu. Un cas d’école d’un studio qui utilise la musique pour transporter une publicité qui, autrement, aurait du mal à passer. Avec les Boys bands, ce sont les studios qui montent des projets de fabrique d’idoles. IL y a eu 2bee3, Alliage, 3T, MN8, Boyzone, 2AM, 2PM, Xtreme, Vampire Academy, The wanted, etc. Un studio de musique conçoit son projet, le rythme à lancer, l’habillement qui doit l’accompagner, le gestuel qui va avec, puis, lance un appel à recrutement de jeunes entre 12 et 20 ans. Les jeunes pré selectionnés passent une série de tests (castings) pour trouver le mieux apte à véhiculer ce que le studio veut lancer dans le monde des jeunes. Le jeune retenu passe à la phase formation. Il aura à sa disposition, une équipe d’entraîneurs pour la musculation, des diététiciens pour le choix de l’alimentation, des esthéticiens pour le soin de l’apparence et l’entraînement aux gestuelles (aux tics), des maîtres de la dance, des stylistes pour l’habillement, bref, tout un monde autour de la prochaine vedette. Et pendant que la formation se fait le concept que va véhiculer la prochaine vedette est déjà lancé dans les médias, une photo tirée durant la formation, un bout de chanson durant la répétition peuvent servir de support pour la campagne. Les appétits des consommateurs sont aiguisés pour l’attente de ce qui est présenté comme devant être une première, et en fait d’aiguiser l’appétit, d’aiguiser la criosité, l’envie de découvrir, il y a une fabrique de l’amour de ce qui va venir. Il suffit de voir la pareille dans les campagnes pour le lancement d’un nouveau portable ou un nouveau I-phone. Dans la plupart des cas les grandes victimes de ces pubs passent la nuit devant le lieu où la vente se fera pour être les premiers à acheter.
    La nouvelle idole boy band fabriqué, c’est tout un paquet commercial qui est fait. L’idole transportera dans sa célébrité (dont nous avons compris comment elle est fabriquée) des lignes de vêtements, de verres, de montres, chaines, bracelets, ceintures, bagues, chaussures (toute une panoplie de produits de consommation choisis pour être rapidement perissables et donc renouvelable), et surtout et surtout des idées seront accrochées à la nouvelle idole pour la consommation des fans.
    La même chose se poursuit dans le monde du showbiz actuel avec ses nouvelles idoles Eminem, Snoop Dogg, Akon, Lyl Wayne, Busta Rymes, Diam, etc. C’est toujours le marché de la production-gain-célébrité contre l’acceptation de servir de transport pour une mode pré choisie, des idées pré choisies. Ce n’est pas parce que le Disco comme les boys bands ne sont plus de mode que le principe de la musique comme moyen de transport pour autre chose n’est plus de mise. Loin de là. Jamais dans l’histoire du monde, la musique n’a servi de moyens de transport pour autre chose mieux que durant l’avènement du Rap.
    Et ce qui se passe dans le monde de la musique, en matière de fabrique, de vedettes, idoles, pour regrouper autour d’elles le maximum de fans et faire transporter à ces vedettes autre chose pour la consommation de leurs fans, est transporté mutatis mutandis dans le monde de la politique.

  5. Felicitations, M. KITANE ! Un texte exceptionnel par la justesse de l’analyse et la projection lucide dans un avenir que nous souhaitons pour ce pays. Merci !

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