Le boom immobilier est une réalité à Dakar. En attestent les immeubles à plusieurs étages qui poussent comme des champignons. Les promoteurs immobiliers s’en tirent à bon compte. Cependant, les droits des locataires ne sont pas toujours respectés. Ces derniers s’époumonent à escalader plusieurs étages alors que la réglementation exige l’installation d’ascenseurs dans des maisons qui ont dépassé certains niveaux.
Gueule Tapée, un quartier où les logements des étudiants ne se comptent plus. La proximité avec l’université fait fleurir la location des chambres, des studios et des appartements. Gueule Tapée, c’est le quartier général des étudiants étrangers au Sénégal. Des agences immobilières y sont aussi visibles. Ici, des immeubles de trois étages, quatre, voire plus, s’élèvent vers le ciel. Sur les balcons, les linges défigurent l’esthétique des bâtiments. En bas, dans les rues, des adolescents jouent au football.
Sur les trottoirs, des femmes écoulent des beignets, des friandises, comme c’est le cas sur cette rue donnant sur l’artère qui longe le Canal 4. Dans les immeubles, l’ascenseur est un luxe pour les propriétaires. Tous les jours, la jeune étudiante Fatou Sarr, de la Faculté des Sciences et Techniques, est forcée à un exercice physique.
« J’habite au quatrième étage. Je me débrouille toujours pour acheter tout ce dont j’ai besoin avant de monter, car non seulement les escaliers sont nombreux, mais ils sont en mauvais état », se plaint ce bout de femme au teint clair trouvée devant chez elle en train de décortiquer des arachides. L’évocation de son droit à un ascenseur provoque l’hilarité. « Vous êtes en train de rêver », lance-t-elle. Cette réaction est assez révélatrice de l’ignorance de la plupart des Sénégalais sur la législation relative à la construction d’immeubles qui dispose qu’au-delà de trois étages, l’ascenseur est obligatoire.
Non loin de la Gueule Tapée, à la Médina, l’ère de la nouvelle configuration saute à l’œil. Les nouvelles maisons narguent les vieilles. L’ambiance est au rendez-vous à la rue 19, l’odeur du poisson frais emplit les lieux. A l’entrée principale du marché, un bâtiment de quatre étages s’impose à la vue. Il est assiégé par des vendeurs d’articles divers : des boîtes de conserves aux nappes de table.
Pour y accéder, il faut se faufiler entre les vendeurs et les clients. A l’intérieur, une femme, la soixantaine, emprunte les escaliers. Haletant, elle pose les pas marche après marche. Son panier de légumes semble ralentir sa progression. Mama Nar habite au troisième étage depuis sa retraite et elle fait le marché tous les jours. « Je ne suis pas locataire, c’est une maison qu’on a hérité de mon père. Les ascenseurs coûtent cher en termes d’électricité, c’est compliqué à gérer », témoigne-t-elle.
L’eau, une denrée précieuse en hauteur
A Hann Maristes, les propriétaires semblent confirmer, d’une certaine façon, que l’ascenseur est un accessoire. Devant un immeuble, un vigile et son ami tuent le temps autour d’une théière. A la question de savoir si la maison qu’il garde est équipée d’un ascenseur, il répond : « Aucun des immeubles de cette rangée n’en possède. D’ailleurs, pour quoi faire ? Quatre étages, ce n’est pas beaucoup », ironise-t-il. Son ami, tasse de thé à la main, renchérit : « En plus, les ascenseurs consomment de l’électricité ».
Les personnes à mobilité réduite sont aussi les grands oubliés dans cette course vers la construction d’immeubles et l’accumulation du profit.
A quelques mètres de là, Mme Gaye, une jeune dame à bord de sa voiture, est agent commercial dans une société de la place. Elle habite Hann Maristes depuis cinq ans. Pour elle, c’est peine perdue d’exiger un ascenseur aux propriétaires. La dame ne se casse plus la tête. Elle évite de vivre en hauteur. « Je vie en location, donc je choisis un appartement qui n’est pas en hauteur. Les escaliers sont éprouvants. En plus, on est constamment confronté à un manque d’eau. C’est infernal », clame Mme Gaye.
Comme pour les ascenseurs, les propriétaires ne se soucient pas de la disponibilité de l’eau pour les locataires. Des immeubles sans sur presseur font florès aux Maristes. Le manque d’eau est l’envers du décor de vivre dans ce quartier paisible. La sage-femme Rouguiyatou est bien placée pour faire la liste des maux liés au fait d’habiter en hauteur dans ce quartier aux lacs. « Il y a beaucoup de moustiques. Ce n’est pas seulement les coupures d’eau », dénonce-t-elle. Depuis un mois, elle est à la recherche d’un nouveau logement aux Maristes. « C’est frustrant de payer cher sans avoir le minimum de confort. Cette fois-ci, je vais m’assurer du rapport qualité/prix », dit-elle. Vivre en hauteur à Dakar a son revers.
Malick Ndiaye, ingénieur électromecanicien : « L’ascenseur est obligatoire pour les bâtiments d’au moins quatre étages »
Pour éclairer la lanterne des Sénégalais sur les préalables à la construction d’immeubles, Malick Ndiaye, ingénieur électromécanicien, a donné un aperçu sur la réglementation en vigueur, non sans brosser quelques suggestions, en vue de préserver la sécurité des locataires. Il a également analysé les causes de la réticence de certains propriétaires à aménager des ascenseurs dans leur bâtiment.
Est-ce que l’érection d’ascenseurs pour les bâtiments est obligatoire ?
Oui ! Elle est obligatoire. L’article R.7 fixe les dispositions générales applicables au bâtiment le rend obligatoire. Le Code de la construction, décret n°2010-99 du 27 de ce texte, stipule : « L’installation d’un ascenseur desservant chaque étage est obligatoire dans les bâtiments d’habitation collectifs comportant plus de quatre étages au-dessus du rez-de-chaussée. Un arrêté conjoint du ministère chargé de la Construction et du ministère chargé de la Protection civile fixe les règles de sécurité que l’installation d’ascenseurs doit respecter. La réglementation française est plus stricte, car le Code de la construction et de l’habitation prévoit : « L’ascenseur doit obligatoirement être installé lorsque l’immeuble dispose d’un étage ou d’un sous-sol et est habilité à recevoir plus de 50 personnes. C’est notamment le cas des Erp (Établissements recevant du public). Dans les autres cas, notamment les immeubles d’habitation, un ascenseur doit être installé pour toute construction de plus de 3 niveaux. Son usage doit également être adapté à tous les handicaps, sans exception ». Donc, vous apercevez la différence.
Que prévoit la loi pour les promoteurs immobiliers qui ne respectent pas cette réglementation ?
C’est là où se trouve le problème. Aucune sanction n’est prévue pour les réfractaires. C’est ce qui est à l’origine de cette anarchie. Aucune sanction pénale n’est prévue par la loi n°2009-23 du 8 juillet 2009 du Code de la construction pour les promoteurs immobiliers. Je n’ai pas non plus connaissance de sanctions pécuniaires.
Pourquoi les propriétaires rechignent-ils d’aménager des ascenseurs dans les immeubles ?
Le plus souvent, les propriétaires ne sont pas très bien conseillés quant à l’intégration d’un ascenseur dans le bâtiment au stade de la conception pour respecter la réglementation ou tout simplement, ils ignorent celle-ci. Certains promoteurs font aussi le choix de ne pas aménager d’ascenseurs dans les immeubles pour des raisons de coût.
Quel est le coût d’un ascenseur ?
Le coût est en fonction de plusieurs paramètres : le type, la taille, la marque du constructeur, les délais de fabrication et de livraison. Pour donner une idée, le prix d’un ascenseur panoramique 1.000 kg, 13 personnes, desservant 8 niveaux, avoisine les 50..000.000 de FCfa.
Il y a beaucoup d’ascenseurs qui sont en mauvais état. Quels sont les dangers pour ceux qui les utilisent ?
Les dangers sont multiples. Par exemple, le blocage d’un usager à l’intérieur de la cabine, la chute de la cabine dans la gaine d’ascenseur à la suite d’une rupture des câbles de suspension et d’un dysfonctionnement du parachute de cabine.
Que préconisez-vous pour faire appliquer cette réglementation ?
Nous préconisons la participation de tous les acteurs et utilisateurs (locataires, occupants, propriétaires, tierces personnes) à la prévention des risques portant sur le non respect des dispositions réglementaires applicables aux ascenseurs. En cas de constat de risques de défaillance ou d’absence de contrôle réglementaire, nous recommandons une démarche proactive comme le suggère l’article L 58 suivant du Code de la construction : « Tout propriétaire, locataire ou occupant de l’immeuble peut saisir le tribunal compétent statuant en matière de référés, afin qu’il ordonne la mise en conformité des ascenseurs avec les dispositions prévues à cet effet…».
Source: Le Soleil