Des garde-côtes libyens ont intercepté le 10 mai un canot de 500 migrants en mer Méditerranée malgré la présence, à quelques mètres de là, d’un navire humanitaire allemand, le Sea Watch 2.
« Ce qu’il s’est passé est proprement inacceptable ! » Dans une vidéo postée par l’ONG allemande Sea Watch, qui vient en aide aux migrants en Méditerranée, Rupen Lampart, le commandant du navire humanitaire Sea Watch 2, fulmine. « La situation a été évaluée comme très très dangereuse », crie-t-il dans sa radio. Quelques minutes auparavant, son bateau a manqué de peu d’entrer en collision avec celui des garde-côtes libyens.
Nous sommes le mercredi 10 mai. Ce jour-là, alors qu’il patrouille au large des eaux libyennes, le Sea Watch 2 est contacté par le Centre de contrôle maritime (Maritime rescue coordination centre, MRCC), qui coordonne depuis Rome toutes les opérations en mer. Ordre est donné à l’ONG d’aller porter assistance à une embarcation de près de 500 migrants, dont 277 Marocains, repérée non loin de là. « Une fois arrivés dans la zone, il y a eu un changement. Le MRCC nous a dit qu’un bateau libyen s’approchait de nous et qu’il fallait le laisser mener l’opération de sauvetage », explique Ruben Neugebauer, porte-parole de Sea Watch, joint par InfoMigrants.
Le Sea Watch, qui s’était préparé à l’opération, tente alors de se coordonner avec les Libyens, pour leur prêter main forte. C’est là que la situation dégénère. Sans raison apparente, le bateau des garde-côtes, qui arrive à grande vitesse, frôle le Sea Watch 2. À tel point que la collision est évitée par miracle.
« Le canot aurait pu se briser à tout moment »
À bord, Rupen Lampart, le commandant, sort de ses gonds. « Le capitaine [libyen] n’a aucune idée de ce qu’il fait en passant aussi près du Sea Watch ! Il a mis en danger mon équipage, mon équipe ! Il a mis en danger tout le monde ! », hurle-t-il dans la radio. « Nous sommes juste heureux d’être encore en vie ! »
Au siège de Sea Watch à Berlin, les responsables de l’ONG ne cachent pas non plus leur colère. « Ce qu’on reproche surtout [aux garde-côtes], c’est d’avoir mené l’opération n’importe comment et avec très peu de professionnalisme. Nous avons essayé de communiquer avec eux, mais nous n’avons eu aucune instruction claire de leur part », ajoute le porte-parole allemand.
Les Libyens accusent de leur côté le Sea Watch d’ingérence. « Une ONG […] a tenté de perturber l’opération des garde-côtes […] dans les eaux libyennes, en voulant récupérer les migrants sous prétexte que la Libye n’était pas sûre », a indiqué à l’AFP le porte-parole de la marine libyenne Ayoub Kacem. « Le bateau en bois, d’environ 18 mètres de long, était chargé d’un très grand nombre de migrants, bien plus que sa capacité. Il aurait pu se briser en deux à tout moment. [Les migrants] étaient face à un danger réel », a ajouté de son côté le colonel Abou Ajela.
Garde-côtes libyens financés par l’UE
Dans un communiqué, Sea Watch s’est défendu d’avoir mal agi. Non, le canot n’était pas dans les eaux libyennes mais dans les eaux internationales, peut-on lire sur leur site Internet. Pour rappel, les navires humanitaires n’ont pas le droit de pénétrer dans les eaux territoriales libyennes. Les opérations de recherche et de sauvetage des ONG se concentrent toujours au-dessus de 22 km de la côte. L’ONG accuse aussi les Libyens de ne pas avoir assuré la sécurité des migrants. « Les Libyens n’ont pas donné de gilets de sauvetage pendant l’opération de sauvetage ! C’est extrêmement dangereux », dénonce le porte-parole de Sea Watch.
Les 500 rescapés ont été conduits, sains et saufs, par les garde-côtes libyens sur la base navale de Tripoli où les attendaient des membres du Croissant-Rouge libyen et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ils ont tous été acheminés vers des centres de rétention dans la capitale.
Formés et soutenus financièrement par l’Union européenne, les garde-côtes libyens sont habilités à intervenir en mer pour protéger leurs côtes et traquer les trafiquants d’êtres humains et les réseaux de passeurs. Bien que militaires, ils sont également habilités à « secourir » les embarcations en détresse. C’est sur ce point-là que se cristallisent souvent les tensions avec les ONG. Ces derniers, comme Sea Watch 2, les accusent de « rapatrier illégalement » et par la force des personnes qui désirent fuir la Libye.
France24