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Législatives 2017 : pour qui gouverne-t-on ?

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Si vous voulez regarder l’avenir du Sénégal, n’allez pas loin, orientez vos radars vers les députés représentants le peuple à l’hémicycle. Vous comprendrez vite qu’il y a urgence à mettre de l’ordre dans ce pays. En effet « l’avenir, disait Antoine de Saint Exupéry, n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’as pas à le prévoir mais à le permettre » (Antoine de Saint Exupéry, La Citadelle, 1948).
Tout acteur doué de bon sens, ferme sur ses étriers, citoyen ou représentant du peuple, observant la scène politique sénégalaise de manière objective, doit forcément s’inquiéter du spectacle qui se joue devant nos yeux. Son bon sens doit évidemment le conduire à tout remettre à plat pour repartir sur de nouvelles bases. Bon nombre d’acteurs politiques devraient tous, de fil en aiguille, quitter la scène politique pour laisser leurs places à d’autres personnes, mais malheureusement il se trouve que le verbe « démissionner » ne fait pas partie de leur conjugaison.
Ils devraient tous, à l’image de Habib Thiam, figure de proue du parti socialiste, tirer les leçons de l’échec de leurs politiques. En effet, il explique dans son livre intitulé « Par devoir et par amitié » les raisons qui l’ont poussé à démissionner de son poste du président de l’assemblée à l’époque du président Abdou Diouf. Qu’on soit détracteur ou pas, au moins on peut lui reconnaître une part de dignité dans ses propos. D’après son témoignage, une manigance dirigée par Jean Collin consistait à réduire son mandat : « en réduisant mon mandat de cinq à un an, on voulait me rendre plus souple et m’humilier en même temps. Pour moi, juriste de formation notamment, je ne pouvais accepter une loi violant le principe sacré de la non-rétroactivité ni d’ailleurs une loi de circonstance élaborée uniquement dans l’intention de réduire un ennemi ». Après de nombreuses tractations la loi a été votée et malgré sa fidélité au président Abdou Diouf, il finit par prendre une décision historique : « Aussitôt, après l’adoption de la loi, j’appelai Abdou pour lui dire que je lui envoyais ma lettre de démission de toutes mes fonctions politiques. Dans le même temps je faisais publier un communiqué de presse la révélant. Car je ne voulais pas qu’il y ait un montage contraire à la vérité. Le président me demandant d’être précis, je lui réponds qu’il s’agissait de la présidence de l’Assemblée, de mon poste de député, de secrétaire générale de la coordination départementale de Dagana, de secrétaire général adjoint de l’union régionale de la région du fleuve, de membre du conseil national, du bureau politique et enfin du parti socialiste. En quelque sorte je me dégageais totalement de cette vie politicienne avec une certaine tristesse, devant la trahison des uns et des autres, de ceux que j’avais aidé à monter politiquement » (Habib Thiam, 2001).
Il suffit de mener des enquêtes pour se rendre compte, à peu de frais, que la société sénégalaise semble vomir ce système politique aussi bien qu’Habib Thiam l’avait vomi à son époque. Une assemblée animée par le clientélisme, le clanisme, l’esprit de partisan, se laisse aller facilement à l’indolence tout en s’engraissant sur le dos des contribuables. Des députés d’une assemblée à qui on fait avaler toutes sortes de couleuvres, oublient même qu’ils ont été élus pour le peuple et qu’ils doivent gouverner pour lui. Habib Thiam, ayant ses coudées franches, a compris dès lors qu’il y a une vie après la politique. Il a su donc se retrancher derrière ses principes lorsqu’il ne se retrouve plus avec les idéaux pour lesquels il se battait en se retirant tranquillement de la vie politique sénégalaise.
Je ne vais pas jusqu’à dire que cette assemblée de la seconde alternance, habituée à nous donner du fil à retordre, est « la plus nulle » selon l’expression de certains politiciens, mais les questions toutes simples que je voudrais poser sont les suivantes : quel bilan positif peut-on tirer de cette assemblée ? Les députés et leurs partis politiques jouissent-ils d’une légitimité pour prétendre solliciter le suffrage d’honnêtes citoyens ? Représentent-ils réellement les intérêts de la société ou de ceux d’un parti, d’un clan ? Pourquoi certains hommes politiques voudraient-ils s’accrocher au pouvoir au prix de sacrifier leur peuple pour leurs propres intérêts ?
Il n’existe pas de pouvoir sans peuple. Pourtant, tous ceux qui veulent s’éterniser au pouvoir le font en méprisant leur peuple. Tout régime entretenant son peuple par le mépris, la tromperie, la querelle et le mensonge finira tôt ou tard par être balayé par la vindicte populaire.
Nous avons l’impression de tourner en rond par le jeu d’une « rebelotte » dans un même système avec parfois les mêmes pions, depuis le temps de Abdou Diouf ou Senghor.
Je me suis amusé à passer à la loupe presque toutes les coalitions de partis pour mesurer leur degré de crédibilité en me basant sur quelques critères, entre autres : Absence de querelles internes, cohérence dans la coalition et dans les idéaux, pertinence du discours ou du programme législatif. A vrai dire, à part quelques partis de la trempe de Pastef dirigé par Ousmane Sonko, l’âme chevillé au corps, et sa coalition Ndawi askan wi, je ne retrouve que des coalitions hybrides, faiseurs d’almanachs, de chimères et de fantaisies, des coalitions de querelle qui finissent par des queues de poissons, on dirait dans le jargon wolof du « lambi golo ».
Certains partis de la coalition, de véritables abreuvoirs à mouches, se disent même humiliés. Mais l’humiliation ne date pas d’aujourd’hui, ce n’est que la face audacieusement exprimée par le parti dominant, car rien n’est plus humiliant que de racheter son silence par un positionnement, par l’argent du contribuable, de vivre sur le dos de la société tout en se taisant sur sa souffrance, sur ses injustices. Qui protège par le silence une injustice se rend complice !
Lorsque pour une question de matériel sanitaire, une radiothérapie, un problème social, d’eau ou d’électricité, bref ; des besoins vitaux, des représentants de partis politiques se renvoient les responsabilités dans les débats de bas niveau, par ces termes : « vous aussi vous n’avez pas été au top pour gérer ces problèmes durant votre gouvernance ». C’est purement une manière de banaliser une injustice pour la simple raison qu’il y avait une injustice plus grande qui se faisait au temps. Ceci explique clairement que le citoyen lambda, même s’il est confronté aux épreuves inhérentes à l’existence mortelle, est souvent livré à lui-même par une classe de politiciens véreux sans conscience aucune. Il faudrait alors plus éveiller une conscience citoyenne chez le peuple : « la conscience citoyenne représente non seulement la conscience du citoyen de ses droits et devoirs civils, politiques, sociaux, etc. à un moment donné, mais aussi les idéaux en matière des droits de l’hommes et du citoyen auxquels il adhère au même moment, et pour lesquels il pense qu’il vaillent la peine de se battre afin de créer les conditions d’une plus grande conformité des comportements sociaux en ce qui les concerne ». (Abdoulaye Niang, Revue sénégalaise de sociologie, 1998).
Cette conscience citoyenne doit forcément tendre vers le patriotisme économique avec tout le débat sur le pétrole, cousu de fil blanc sous prétexte que les citoyens ne sont pas experts en la matière. Encore une énième insulte à notre intelligence ! Cette question est plus que jamais actuelle avec la démission du ministre de l’énergie Thierno Alassane Sall qui n’a certainement pas la volonté de tresser des couronnes aux opérateurs trop opportunistes. J’attends toujours des explications concernant cette démission et je pense que Monsieur Thierno Alassane Sall a un devoir historique de nous éclairer vus les enjeux et les conséquences économiques. En effet, il n’a pas eu à gérer un bien destiné à un groupuscule ou un club mais il a eu à administrer une chose publique appartenant à l’ensemble des sénégalais. Qui dirait mieux, en parlant d’une question nationale ?
Je reste encore sceptique pour ce qui se tracasse entre le président Macky Sall et son homologue Emmanuel Macron. Nous n’avons vu que la face exposée de l’Iceberg avec Total qui, sans coup férir, vient tranquillement prendre son pétrole en balayant d’un revers de main notre cher ministre de l’énergie. Il faut reconnaître que tous les pays qui ont eu à émerger ont connu à une certaine période de leur histoire un patriotisme économique. Alain Peyrefitte, dans son livre intitulé « Quand la chine s’éveillera, …le monde tremblera », faisait remarquer déjà que : « les occidentaux ont peine à comprendre que les Chinois les plus réticents à l’égard de Pékin, par exemple ceux qui vivent à Hong Kong, à Singapour ou en Indonésie, soient en complet accord avec lui sur la question nationale. A Honk Kong, un transfuge, pourtant lourdement atteint dans sa famille et dans sa chair par la dureté du régime, m’a déclaré : « Il n’existe probablement pas un Chinois, si durement qu’il ait souffert du communisme, qui préfèrerait le voir céder sa place à un régime soutenu par l’étranger » (Alain Peyrefitte, 1973).
Si aujourd’hui nos dirigeants cherchent leur légitimité à tout prix auprès de la France, il y a de quoi s’inquiéter. Chers citoyens, ne restez surtout pas indifférents face aux questions nationales, le silence est souvent coupable. Martin Luther King ne disait-il pas : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons ».
El Hadji Séga GUEYE
Docteur-chercheur en sociologie- Expert et formateur en ingénierie sociale et médico-sociale à l’IRTS et à l’IRFASE (France)
E-mail : [email protected]

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