Après la clameur électorale, il est permis de reprendre le fil de nos réflexions, décalées par rapport au « jeu » politique et au ronronnement des » Institutions » dites de la « République » .
Les maux consécutifs, ou à la source même du « sous-développement » de la plupart des États africains post-coloniaux, ont des racines profondes qui tiennent le plus souvent à la nature même des Institutions qui prétendent les prendre en charge. Aussi étrange que cela puisse paraître, les racines du mal africain se trouvent dans l’inadéquation entre les besoins des populations africaines versus les institutions et les politiques mises en œuvre pour, prétendument, les satisfaire. Prenons d’abord comme sujet de réflexion l’Etat en Afrique. La notion même d’Etat ou ce qui en tient lieu. Observons, pour ce faire, l’Etat du Senegal. Ses services, ses objectifs stratégiques. La philosophie de son action. Son Histoire. Ses personnels et… les mœurs qui y ont cours. Tout y est étranger pour ne pas dire étrange! Pour faire bref, disons que l’Etat post colonial sénégalais est une copie caricaturale de l’Etat Français. Il s’en inspire dans les formes et dans sa réthorique . Il cherche à lui ressembler plus qu’à rassembler la Nation sénégalaise autour d’une Vision partagée d’un bien-être collectif conforme aux aspirations de la majorité des habitants de notre pays.
Et le malentendu est lointain. Au départ des colons les cadres post-coloniaux, notamment, ceux sortis de l’ENFOM ( École Nationale de la France d’Outremer (!) tout un Programme!) se sont glissés dans les habits du colon. Au propre comme au figuré. À l’abri d’un nouveau drapeau qui n’a aucun référent culturel ante-colonial, au son d’un hymne national dit en français quoi qu’écrit par le Premier Chef de l’Etat du Senegal Leopold Sedar SENGHOR, les nouveaux dirigeants sénégalais étaient formatés pour servir les intérêts…de la métropole. Quant au fond. Même si la réthorique indépendantiste fleurissait ça et là, la rupture fondamentale ou fondatrice qui devait consacrer l’indépendance n’a jamais eu lieu. Bien au contraire. Confrontés aux urgences de la souveraineté et piégés par les chausse-trappes d’une décolonisation à contre cœur, les jeunes leaders africains d’alors ont, très vite, été distraits de l’essentiel. Chez nous, c’est au cours des événements de décembre 1962 que le cours du destin de notre jeune Nation aura connu une inflexion que tous les observateurs avertis considèrent comme structurellement dommageable. Nous en payons, à ce jour, le prix fort.
Tant que nous ne ferons pas un effort collectif de relecture, et non de « réécriture de l’Histoire » comme s’y essaie une Commission composée de gens renommés pourtant, nous continuerons à claudiquer et à ne pas marcher droit. Nous continuerons même à tourner en rond, en quête incessante d’un progrès qui fleurit dans nos discours mais ne germe pas dans le vécu de nos populations. À quand un vrai retour à la case départ?
L’Etat post-colonial a toujours été considéré par les nouvelles élites comme l’eldorado. Le lieu où il faut nécessairement être pour exercer un…Pouvoir! Second malentendu à la base de toutes sortes de dysfonctionnements et de dérives qui obèrent les efforts et les sacrifices collectifs: la volonté de « puissance » et l’ardent désir de se montrer « supérieur ». D’où Les abus de pouvoirs et les détournements d’objectifs qui sont la marque de fabrique de » l’Etat » en Afrique. Pour illustrer ces propos, mettons le doigt sur un certain nombre de faits. Disons même de bizarreries.
Ce qu’il me paraît intéressant d’analyser entre autres tares de l’Etat post-colonial, c’est une perversion qui se développe contre vents et marées : la capacité de s’adapter à toutes les variables, des « fonctionnaires ». Mais surtout la faculté pour certains d’entre eux de SE servir sous tous les régimes (disons que l’on trouve ces spécimens parmi 500 à 1000 privilégiés à tout casser sur les 80.000 fonctionnaires environ que compte la fonction publique sénégalaise ). A y regarder de près ces « fonctionnaires », notamment les « hauts » fonctionnaires, du fait de la permanence de leur statut du début à la fin d’une carrière, survivent à tous les régimes. Ils ont, de ce fait, appris à développer une capacité à muer et à s’adapter à tous les changements politiques. Ils ont mis au point une pédagogie de la servilité pour se ménager une porte de sortie à chaque fois que de besoin: ils servent « l’autorité » disent-ils… Pétition de principe qui autorise toutes sortes de danses du ventre. À chaque alternance, ils enterrent le régime sortant en se faisant les servants zélés des nouveaux arrivants. Au prix de dénonciations, parfois calomnieuses, pour aider à justifier les accusations, bien des fois mensongères, sur le régime sortant. La conscience tranquillisée par la conviction de » servir la République » ces hauts fonctionnaires se font adouber très tôt par…l’autorité. La nouvelle s’entend! Parfois, dans l’entre deux tours d’une l’élection présidentielle, des grands patrons du service public changent de camp et vont jusqu’à donner les munitions décisives contre celui qu’ils servaient la veille!
Et pourtant, il est devenu évident que des corps entiers de hauts fonctionnaires abritent les enrichis illicites les plus nombreux et les plus scandaleux. La liste des hauts fonctionnaires devenus très riches sans pouvoir le justifier de manière licite est longue. Sans avoir besoin de la dresser, les signes extérieurs de richesse les accusent. Nous connaissons tous la grille des salaires de la fonction publique… Encore que cette grille est devenue, pour certains corps et dans le très haut de la hiérarchie, illisible. En effet, par des subterfuges « licites » mais, à certains égards amoraux(!) des « hauts fonctionnaires » perçoivent mensuellement des « salaires » surchargés d’indemnités, de frais de missions, de fonds communs, de parts d’amendes et de… que sais-je encore? Il serait bon, en outre, de lever le voile sur les sommes perçues par les patrons de quelques Agences, des Inspecteurs Généraux d’Etat, de quelques Magistrats et de quelques hauts gradés… Sans compter les enveloppes tirées des » fonds politiques »et distribuées partialement…Cet exercice serait utile pour assainir nos mœurs politiques et…administratives. N’y a-t-il pas une sorte de corruption d’état pour fidéliser ceux qui devraient garder une certaine neutralité? À approfondir…
Passons à la nouvelle tendance qui consiste, pour certains « hauts » fonctionnaires, à s’engager en Politique. Cela peut s’avérer plus que périlleux. Car ils se découvrent désormais. Ils ne peuvent plus se cacher derrière « l’autorité » ni invoquer la fameuse neutralité des « serviteurs » de l’Etat. Ils ne sont plus à l’abri d’être alternés par la prochaine alternance ! Au demeurant ils peuvent, de ce fait, être tentés de détourner les fonds qu’ils administrent pour donner des gages à leurs supérieurs. Avec la bonne conscience de…servir. Et bonjour les outrances et les dérives sans limites…
Heureusement qu’il y a la retraite pour les autres, les moins téméraires. Ceux qui se servent et servent sans bruits… La retraite ! Un couperet incontournable jusqu’à une période récente ou certains « très hauts fonctionnaires » ont trouvé les artifices pour se rendre indispensables. Ils prolongent , par des contrats spéciaux, leur mainmise sur des rouages essentiels de l’Etat. Il se noircissent les cheveux au besoin pour parfaire le camouflage! Jusqu’au jour où, mêmes les produits noircissants baissent les bras. Mais bon! Ils sont souvent des « bienfaiteurs » , connus pour leurs largesses. Des largesses déclamées par les laudateurs qui hantent nos cérémonies et se chargent d’huiler les courroies de transmission de la corruption institutionnelle. Des largesses ponctionnées sur nos maigres ressources et bien dignes d’un meilleur usage. En tout état de cause, la déconstruction et la réforme en profondeur de l’Etat post-colonial est devenue incontournable. L’assainissement de ses mœurs est urgente et nécessaire. La traque des pillards de la République ne doit pas se limiter qu’aux adversaires politiques. Elle doit s’étendre jusqu’à la paresse, à l’inefficacité et à l’indolence des agents de l’Etat…
Ah! il est si beau notre petit Sénégal ! Les vrais coupables ne sont pas ceux que l’on croit. Eux traversent toujours à travers les mailles du filet. Ils s’agenouillent, voire rampent, chez les marabouts, ils rendent des services aux curés. Ils offrent des billets pour tous les pèlerinages et sont dans les coulisses de toutes les cérémonies religieuses. Ils « règlent les problèmes… » dit-on, en usant et en abusant de leur poste et de ses avantages….
Une manière de dire qu’il est temps de s’intéresser aux vraies racines du mal au lieu de s’épuiser à effeuiller les conséquences sans s’attaquer aux causes! Pour changer le Senegal, il va falloir plus que des élections ou des changements de personne. Nous avons épuisé toutes les combinaisons possibles des différentes lettres de l’alphabet Nous en sommes réduits à expérimenter des coalitions fourre-tout sans cohérence idéologique, philosophique ni même morale. En vérité, il nous faut une véritable Révolution…des mentalités ! Faisons de l’impérieuse nécessité de ces mutations profondes le cœur du débat pour la prochaine élection présidentielle. N’attendons pas la campagne électorale qui ne dure que quelques semaines, dans une cacophonie monstrueuse, pour entendre des promesses qui ne seront jamais tenues. Posons nous, et adressons à tous ceux qui souhaiteraient briguer nos suffrages, les bonnes questions ici et maintenant. Mais par dessus tout allons au fond des choses! L’avenir de nos enfants est en jeu. Ne le vendangeons pas.
Amadou Tidiane WONE
100% d’accord avec vous M. Wone ! Une autre question : pourquoi plus de 60% des passeports diplomatiques sont détenus par des « marabouts » qui n’ont jamais rien apporté à l’État ?
Excellente question ! Je me la pose toujours…
Aucun pays au monde n’a avancé et ne s’est épanoui en fuyant comme la peste ses valeurs intrinsèques pour se retrouver à singer l’autre. Du Japon à la Chine en passant par la Corée, l’Inde, l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Amerique et j’en passe.
Cher Amadou, tes articles doivent etre publies dans tous les journeaux du pays.On se regale 🙂
Quand le lis une contribution comme celle là je me dis que tout est dit mais me pose quand même une question les hauts fonctionnaires les hommes politiques et certaines personnes qui pillent ce pays ont ils le temps de lire ce type de contribution?
Je ne sais pas pourquoi mais je crois que non car je crois qu’ils sont malgré tout équipés de diome de foula ou un peu de kersa
Si cela se trouve je me trompe lourdement
En tout cas merci Mr Wone
Personnellement je respire car tout le monde n’est pas foutu
Merci de cette réflexion au moment où on nous divertie avec des faits divers sur les réseaux, détournant ainsi l’énergie nécessaire aux réflexions de fond sur le futur du Sénégal. Et même sur ces faits divers, les questions de fond ne sont pas traitées, on oriente les débats sur les faits compréhensibles par le citoyen lambda. On se demande d’ailleurs, comment dans un pays qui aspire à l’émergence, la une de l’actualité puisse être dominée par les faits divers ?
Pour revenir à votre contribution, je voudrais d’abord relever que le diagnostic global est pertinent mais il m’a semblé que les questions spécifiques, prioritaires que nous devons résoudre ne sont pas clairement identifiées, en somme les racines du mal comme vous dites.
Ensuite, vous préconisez en guise de solution qu’il faut une véritable révolution des mentalités d’ici la prochaine élection présidentielle en questionnant maintenant les politiques car il va falloir plus que des élections ou des changements de personne, de combinaisons et coalitions politiques.
Permettez-moi d’observer que, la solution que vous préconisez ne peut être envisagée que sur le long terme. En effet, la définition, mise en œuvre d’une politique de changement des mentalités ne peut donner les résultats souhaités que sur au minimum 15, 20 voire 30 ans, toute une génération. Aussi, j’estime que cette approche n’est bonne que sur le long terme. Par conséquent, il nous faut des solutions de court et moyen terme.
Pour rappel, vous dites, si j’ai bien compris le sens de votre affirmation, que les élections ou les changements de personnes n’ont pas tenus leurs promesses. Je voudrais faire remarquer que, les changements de personnes sont tributaires des élections. Donc, il est évident que si les élections ne sont pas libres et transparentes, il n’y aura point de changement de personnes positif.
Aussi, pour obtenir le changement de personnes dont nous avons besoin, prioritairement, il nous faut solutionner ces trois questions à court et moyen :
1. Des élections libres et transparentes ;
2. Une justice indépendante ;
3. Une assemblée qui vote des lois dans l’intérêt du Sénégal.
Je pense que ces dernières constituent la clé pour un changement profond de la gouvernance du Sénégal. Aussi, ce sont les combats à mener des maintenant et c’est possible de les gagner.
Ainsi, se pose la question de savoir qui pour initier et mener ces batailles.
D’emblée, je crois que le peuple dans sa grande majorité n’est pas porteur de changement, il est plutôt conservateur. Juste pour vous confirmer ma conviction sur ce point, permettez-moi de vous rappeler la citation d’Henri Ford, fondateur du constructeur automobile Ford : « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient ils m’auraient répondu : des chevaux plus rapides ».
En d’autres termes, seule une personne où un groupe de personnes avec des convictions très fortes peuvent, changer la marche d’un pays.
Et l’histoire a montré, qu’aucun peuple ne s’est développé sans un leadership très fort. Les exemples ne manquent pas, mais je voudrais juste rappeler celui récent du Sénégal : le M23.
Un leadership fort construit autour d’une alliance Opposition politique – Société civile avec les résultats que nous connaissons. Voilà, le type de cadre d’action à recréer pour impulser et être le fer de lance du combat sur ces 3 questions.
La victoire pourra amener au pouvoir le leadership fort dont nous avons besoin pour la gouvernance du Sénégal qui prendra en charge la question du changement de mentalité.
Je vous remercie pour cet input qui honore ce forum. La discussion doit se rester constructive. Je partage avec vous la nécessité d’un leadership fort et inspiré. Il faut aussi dans nos pays l’ardent désir d’être libres et la générosité de partager avec les plus démunis les ressources de la Nation.
Je suis d’accord sur les solutions tant à court et long terme. Il reste à définir le cadre pour rassembler et canaliser toutes les énergies vers un objectif largement partagé!
Tres bien BabahORAISON.
Victimes du Joola pleurent toujours la mal gouvernance post coloniale et les discours sur les morts Joola Le.
@Hooplah ! Merci pour cette allusion qui se croit intelligente. Vous continuez à vivre sur les morts du Joola. Lorsque vous aurez le courage d’avoir un nom et un visage, je vous répondrai sur le fond.
Je me nomme Amath Faye et je ne suis pas pas l’auteur de ce post. Je fais cependant mien son contenu. Alors allez-y
Merci , pour cette contribution qui retrace nos tares , mais pour changer
de mentalites nous nous devons de nous appuyer sur
Oui , tant que nous n aurons pas mis le
doigt sur nos defauts , le pays restera en marge du developpement . Le vandalisme moral ambiant handicape l initiative . Et un peuple sans initiative n a pas d avenir . Liberez les energies !!!
S il vous plait .
Wassalam
La racine du mal c’est Macky SALL et ses affidés, point barre
Au fonds, avoir pour projet de bâtir une nation sénégalaise, n’est ce pas rendre homage à l’oeuvre du colon, sans qui il n’y aurait pas de Sénégal. À l’initiative du Sénégal, il y’a le colonisateur français; Faidherbe, et non Senghor, est aux origines de la nation sénégalaise; c’est lui notre Bismarck et nos aïeux, certains d’entre eux, furent tout au plus des collaborateurs intéressées à son oeuvre. La première rupture ne devrait-elle pas être celle d’avec ce nationalisme, cette conception étriquée de notre action politique? Le premier acte de souveraineté pour les sujets politiques postcoloniaux ne devrait-il pas être l’élargissement de leur action et de leur lutte à quelque chose de plus grand que le territoire d’un état-prénation?? Nos imaginations et nos volontés ne peuvent-elles s’affranchir du modèle européen, dont le XIXe siècle informe toute la pensée panafricaniste ? Nous avons une diaspora partout présente et, avec elle, notre culture, dont il me semble que nous ne notons pas suffisamment l’influence sur le Monde. Les Africains ont les moyens, s’ils y songent sérieusement, s’ils cessent de se cloîtrer aux bornes que l’impérialisme leur a fixées, d’opérer dans le monde des changements d’envergure, au profit non pas d’eux seuls, mais du genre humain. Peut être que nous devons être particulièrement audacieux dans les futurs que nous envisageons et peut être que poursuivre l’oeuvre de Faidherbe, ce à quoi l’idée même de Sénégal nous condamne, ne fait pas grand sens, aujourd’hui encore moins qu’hier.