« Quand on choisit la profession d’incendiaire, il faut s’attendre un jour ou l’autre à un
retour de flamme. » Jacques Vergès
Autant les sorties au vitriol de notre compatriote Assane Diouf sur la toile avaient donné naissance à de nombreuses controverses autant son retour forcé au pays a suscité diverses réactions. Pour certains son rapatriement a été un juste retour de flamme, car il s’est brulé les doigts pour avoir constamment joué avec le feu; pour d’autres – qui ne veulent pas du tout croire aux thèses des services de l’immigration américaine – il a été la victime d’une cabale étatique orchestrée de loin par un gouvernement sénégalais liberticide aux abois et de plus en plus réfractaire à la critique et à la contradiction; pour d’autres encore il s’est tout simplement tiré une balle dans le pied en semant les graines de sa propre déportation. Car, ayant attiré les projecteurs un peu trop près sur lui, il a par la même occasion suscité de nombreuses interrogations sur sa personne en plus d’avoir donné des informations qu’il eût fallu mieux taire.
Cependant, en tout état de cause, sa brève et intense histoire sur le Web est pleine d’enseignements. On peut entre autres en tirer des leçons de prudence et de vigilance quant à l’utilisation des réseaux sociaux en particulier et de l’Internet en général. Ce d’autant que, comme le dit Laurent Laplante: « Si, en effet, Internet a beaucoup à offrir à qui sait ce qu’il cherche, le même Internet est tout aussi capable de compléter l’abrutissement de ceux et celles qui y naviguent sans boussole.”
Ces leçons sont d’autant plus nécessaires que nous vivons dans un monde où la frontière entre ce qui est public et ce qui est privé est très ténue. Où le loin et le près sont si proches et imbriqués qu’ils peuvent être assimilables aux revers d’une même médaille. Où la recherche effrénée de gloire et d’argent peut pousser à faire tout et n’importe quoi sur la toile. Où les adresses IP de nos ordinateurs, les disques durs, les puces téléphoniques constituent des mines d’informations sur nos vies et nos personnes, et nos cartes bancaires et téléphones portables des moyens de nous localiser en permanence sur la surface du globe. Où on peut se faire enregistrer ou filmer à son insu dans des positions ou situations inconfortables par des personnes malveillantes. Bref, nous sommes dans un monde où il est difficile de vivre incognito ou totalement déconnecté du système et des autres. Dès lors on se rend encore plus vulnérable et accessible en étalant son jardin secret sur les réseaux sociaux et les médias. Aussi la prudence doit-elle être souvent, pour ne pas dire toujours, de mise lorsqu’il s’agit d’utiliser des nouvelles technologies
Cela dit, bien qu’ayant fait souvent preuve d’une insolence qui a mon sens a parfois frisé la folie, Assane Diouf a dit des choses qui n’en sont pas moins dépourvues de sens. Pour preuve : le nombre pléthorique d’auditeurs qu’il a réussi à drainer lors de ses multiples interventions en live sur Internet. Loin d’être tous fous, et d’être juste animés par l’envie d’écouter des conneries pendant des heures d’affilée, nombre de ces gens-là ont dû un tant soit trouver quelque intérêt dans son discours qui, reconnaissons-le, n’est pas entièrement un amas d’inepties. L’éloignement géographique aidant, M. Diouf se croyait certainement capable de jouer le porte-voix entre autres de ses concitoyens qui ont maintenant peur d’avancer certains propos dans notre pays où la liberté d’expression est de plus en plus restreinte, la justice inique et la police omniprésente à la solde du pouvoir. De plus, en tant que citoyen sénégalais, il a le droit de dire son mécontentement sur la gestion des affaires de son pays. Son principal tort est qu’il l’a fait d’une manière catastrophique et très déplorable. Ce qui a donné moins d’éclat aux quelques vérités qu’il aurait pu mieux faire passer en les affublant de plus beaux habits d’apparat.
Cela étant, je ne le soutiens absolument pas, mais je plaide pour qu’une justice juste et équitable lui soit appliquée. D’autant qu’il n’a ni détourné l’argent du contribuable encore moins commis un meurtre – autant que je sache. Par conséquent, il ne doit être moins bien traité que certains criminels financiers qui, après avoir enfoncé davantage le pays dans les abysses du dénuement et de l’insécurité, se pavanent toute honte bue dans les rues ou d’autres concitoyens impliqués dans des affaires de meurtres ou d’escroqueries à grande échelle qui vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était. Il ne faut oublier que ce sont généralement les injustices et les différences de traitement des citoyens – pourtant égaux devant la loi – qui donnent naissance à des citoyens révoltés et des frustrés. Comme il y en a de plus en plus de nos jours dans notre pays. Nos dirigeants doivent aussi aller au-delà des nombreux discours et réactions, fussent-ils déplaisants, pour savoir ce qu’ils cachent afin de rectifier ce qui peut encore l’être. Il n’est jamais trop tard pour se reprendre.
p.s: au moment où le texte est publié, je lis dans plusieurs en ligne qu’Assane Diouf vient d’être libéré
Bosse Ndoye
Montréal
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