Secrétaire général d’And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads), Coordonnateur du Front patriotique pour la défense de la République (Fpdr), regroupement de l’essentiel des partis politiques de l’opposition, Mamadou Diop alias Decroix, député, ancien ministre, estime qu’il revient au Président de la République de faire ce qu’il faut pour renouer le fil du dialogue avec l’opposition. C’est la trame de cette interview au cours de laquelle il a abordé le processus électoral, l’audit du fichier électoral, la candidature unique ou plurielle de l’opposition, la participation de Karim Wade à la prochaine Présidentielle, les rapports avec le camp de Khalifa Sall, entre autres sujets tout aussi ou plus importants comme la rébellion armée en Casamance.
Monsieur le ministre, pourquoi l’opposition, regroupée au sein de l’Initiative pour la transparence des élections, n’a pas répondu favorablement à l’appel au dialogue politique du Chef de l’Etat ?
Je voudrais tout d’abord vous avouer ma surprise de vous (Ndlr : Le Soleil) voir chez moi pour solliciter cette interview. Je n’ai pas eu souvent l’occasion de lire des leaders politiques de l’opposition sur les pages du Soleil. Si cette initiative est annonciatrice d’une rupture – je l’espère –, je la salue tout en espérant qu’elle fasse tache d’huile ailleurs. Les Sénégalais adorent le pluralisme. Ils veulent la diversité par delà leur commun vouloir de vie commune. Je tenais à le dire, parce qu’il y a eu beaucoup de changements intervenus au cours de la dernière décennie, avec l’internet et les réseaux sociaux, qui font que l’exclusion n’est plus payante. Je pense que la télévision et la presse écrite devront se réinventer face à cette nouvelle donne.
Pour revenir à votre question, je ne vais pas faire l’étiologie de la politique du dialogue chez le Président Macky Sall. Je sais simplement qu’il a l’habitude d’appeler au dialogue politique, mais, en général, c’est l’effet d’annonce qui l’emporte.
Rappelez-vous la dernière annonce, qui date de mai 2016, à laquelle notre parti n’avait pas pris part s’arrêtant à la cérémonie d’ouverture. Après les discours qui ont duré tout l’après-midi et une bonne partie de la soirée, tout le monde s’est séparé et les choses en sont restées là.
Je pense que le dialogue politique, ce n’est pas l’évaluation du processus électoral. Ce que font Saïdou Nourou Bâ (Ndlr : président du Cadre de concertations sur le processus électoral) et les autres acteurs, ce n’est pas le dialogue politique. Le dialogue politique porte sur les institutions et leur fonctionnement. Mais, une évaluation des élections est tellement ordinaire que, sous les Présidents Diouf et Wade, la presse n’en parlait pas, alors que le ministre de l’Intérieur rencontrait régulièrement les acteurs politiques. Ce n’est vraiment pas, à mon avis, ce qu’on appelle dialogue politique.
Quel contenu donnez-vous au dialogue politique ?
Le dialogue politique doit porter sur les questions fondamentales. Par exemple, la nature des institutions qui gouvernent la République. Mais, ce qui se fait sur le processus électoral est une évaluation des élections. Cela se fait depuis 1993 entre les acteurs politiques et le ministre de l’Intérieur. Il faut bien clarifier toutes ces questions.
C’est sous le Président Diouf qu’on a vu, en 1996, une élection complètement désorganisée, à tel point qu’il avait dit à la télévision reconnaître l’existence de dysfonctionnements très sérieux.
Cela a donné, par la suite, l’Observatoire national des élections (Ndlr : Onel).
Le Président Sall a été témoin oculaire des dysfonctionnements qui ont caractérisé les élections de juillet 2017. Il n’a pas cru devoir prendre des dispositions. Il a plutôt félicité les responsables de cette désorganisation… organisée, puis, a renvoyé tout le monde devant le ministre de l’Intérieur pour soi-disant dialoguer. A partir du moment où le fil du dialogue a été rompu et où la confiance a disparu, le Président doit prendre des initiatives très fortes pour discuter avec son opposition.
Est-ce que l’appel lancé par le Président Macky Sall à l’endroit de l’opposition ne pouvait pas permettre de prendre en charge ces préoccupations ?
La réponse que je peux vous donner est que chat échaudé craint l’eau froide. Il y a eu beaucoup de rencontres avec l’ancien ministre de l’Intérieur. Je vous ai parlé du dialogue politique de mai 2016 et de la rencontre que nous avons eue avec lui (Ndlr : le Président Macky Sall) en décembre 2016. Toutes ces rencontres n’ont pas donné les résultats escomptés. Donc, chat échaudé craint l’eau froide. Ce qui s’est passé en juillet (Ndlr : élections législatives) est tellement grave qu’il nous faut absolument une initiative très forte du Président de la République pour parler avec son opposition.
La concertation sur le processus électoral ne constitue-t-elle pas une initiative forte ?
Cette concertation est en panne. J’ai reçu un coup de fil en fin de matinée (Ndlr : l’interview a été réalisée dans l’après-midi du 24 janvier 2017) d’un membre qui prenait part à cette concertation. Il m’a dit que le clash définitif s’est produit. Une bonne partie des participants a claqué la porte. Tout cela confirme nos réserves au sujet de cette concertation où les dés étaient pipés d’avance.
Que faut-il donc faire pour renouer le fil du dialogue politique ?
C’est le Président Sall qui doit prendre ses responsabilités, parce qu’à partir du moment où le fil du dialogue est rompu et que la confiance a disparu, il revient au Président de la République de faire ce qu’il faut pour que ce blocage soit levé. Car en fin de compte, il est de ses missions sacrées, en tant que Président de la République, d’organiser les procédures de dévolution du pouvoir dans des conditions et règles qui ne puissent être sérieusement contestées.
S’il ne prenait pas les dispositions pour rétablir les conditions de discuter et de conclure dans le consensus, les litiges que nous avons signalés et qui sont notés par les uns et les autres, nous considérerons cela comme l’expression d’une volonté de puissance. Et dans ces conditions, il ne nous restera plus qu’à nous organiser pour résister à toute tentative de confiscation du pouvoir au travers d’élections irrégulières. Mais, je pense qu’il fera ce qu’il faut. Le Président Sall sait aussi ce qu’il faut faire pour que le dialogue politique soit renoué, de façon sérieuse, et que tous les acteurs politiques se mettent d’accord autour de règles qui gouvernent le processus électoral.
Pourquoi l’opposition a décidé d’organiser une marche le 09 février prochain ?
Nous organisons une marche parce que nous voulons montrer à l’opinion publique nationale et internationale que nous ne sommes pas contents. Nous voulons montrer que l’opposition sénégalaise n’est pas prête à laisser se répéter ce que nous avons connu le 30 juillet dernier. En somme, nous marchons pour que le Président Sall prenne la situation très au sérieux et nous écoute. Nous prenons aussi date afin qu’il ne puisse pas être dit, demain, que nous n’avons pas mis en garde.
Qui sont les parties prenantes de cette marche ?
Elles sont nombreuses. Nous avons une vingtaine de partis politiques et d’organisations, mais nous pensons qu’énormément de citoyens prendront part à cette marche, puisqu’encore une fois, ce n’est pas seulement un problème de l’opposition. L’histoire d’avoir des élections transparentes, sincères et libres, dont les résultats ne seront pas contestés, est une affaire de tout le monde. Ce n’est pas c’est parce que c’est l’opposition qui porte ce projet que les gens doivent penser que cela ne concerne que le Gouvernement et les partis politiques. Tout est lié.
Regardez les jeunes qui meurent en Méditerranée ou qui sont vendus comme esclaves en Libye. Ils quittent l’Afrique au sud du Sahara, alors que ces pays sont infiniment plus riches que les pays vers lesquels ils vont. C’est parce qu’ici il n’y a plus d’espoir. Ce sont les meilleurs qui meurent. Ce sont ceux qui sont courageux et qui osent affronter l’inconnu. C’est une perte incalculable, insoutenable. Ils quittent parce que nos régimes politiques sont corrompus. Il n’y a pas de règles. Quand il n’y a pas de règles, les choses ne marchent pas, et quand ça ne marche pas, cela déteint sur tout le monde. C’est pourquoi ce que nous sommes en train de faire concerne tout le monde.
Est-ce que l’autre frange de l’opposition, incarnée par Khalifa Sall, prendra part à cette marche ?
Nous sommes en discussions permanentes avec les amis de Khalifa Sall. Mais, depuis deux ou trois jours, je n’ai pas d’informations sur eux ; je pense qu’ils sont partie prenante.
Des experts internationaux sont à Dakar pour l’audit du fichier. Leur arrivée n’est-elle pas une réponse à vos doléances ?
C’est la presse qui nous en a informés (Ndlr : Le Soleil du 19 janvier 2017). Nous nous concerterons pour arrêter une position. Mais, la position de principe est invariable : nous considérons que tout ce qui se fera sans nous, se fera contre nous.
C’est-à-dire ?
Si nous ne sommes pas associés à cette affaire, nous ne nous considérerons pas comme concernés. Nous parlons d’audit du processus électoral et non d’audit du fichier électoral. L’audit du processus part depuis les inscriptions sur les listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats provisoires par la Commission nationale de recensement des votes.
Il faut identifier les responsabilités des uns et des autres sur ce qui s’est passé (Ndlr : le vote des élections législatives le 30 juillet 2017), parce que nous savons ce que chacun a fait depuis la Direction générale des élections jusque dans les préfectures et les sous-préfectures, mais aussi dans les quartiers et villages, avec certains chefs de village et délégués de quartier. Il faut procéder à un audit de l’ensemble de ce processus.
Il faut savoir que dans l’histoire de l’humanité, partout où des secousses sociales se sont produites, à la base, c’est une minorité qui a travaillé dans l’ombre contre les règles établies. Il faut aussi passer au crible le Code électoral dans son entièreté. C’est ce que nous appelons audit du processus électoral et non audit du fichier électoral.
Vous refusez de participer au dialogue politique tout en affirmant « que tout ce qui se fera sans (vous) se fera contre (vous) ». Elle est tout de même paradoxale votre position !
Les conditions qui doivent permettre d’avoir des discussions sérieuses ne sont pas réunies. Nous n’irons pas là-bas (Ndlr : le Cadre de concertations sur le processus électoral) alors que les conditions ne sont pas réunies. La preuve ? Même ceux qui avaient toute la volonté de participer et qui sont allés à la table de négociations, ont quitté.
Quelles actions concrètes préconisez-vous ?
Continuer le combat. Nous allons poursuivre notre combat jusqu’à ce que le Président de la République accepte de discuter avec nous d’une affaire qui nous concerne tous.
Autrement dit, vous voulez des discussions directes avec le Président Sall ?
Pas nécessairement des discussions directes. Nous n’allons pas nous asseoir avec le Président Macky Sall pour parler du Code électoral. Il sait très bien ce qu’il doit faire pour que nous puissions discuter. Il doit accepter ce que nous avons demandé et qui est très simple. Nous ne demandons pas au Président Sall, qui est élu, comment il décide de ce qui concerne l’agriculture, la santé, l’industrie ou le commerce. Mais, nous demandons qu’il écoute l’opposition sur le processus électoral qui est une matière commune, qu’il ne se mette pas à décider de ce qu’il faut faire. Nous ne pouvons pas accepter cela. Nous lui avons écrit une lettre. Il sait très bien ce que nous voulons. Il peut désigner quelqu’un dans les discussions. Il a désigné Saïdou Nourou Bâ. Nous voulons aussi désigner des gens. Il faut des personnalités indépendantes et respectées dans ce pays et non une seule personnalité.
Vous récusez Saïdou Nourou Bâ ?
Il ne s’agit pas de récusation. C’est le schéma que nous remettons en cause. Sous le Président Diouf, il y a eu deux moments forts :
Un moment avec le président Kéba Mbaye et toute une kyrielle de personnalités dont Youssou Ndiaye, le Pr Malick Ndiaye, qui vit en Allemagne, des avocats émérites et des professeurs d’université. Ce sont ceux-là qui ont modéré le débat entre les acteurs politiques pour produire le fameux Code électoral consensuel de 1992 qui nous a permis de ne pas avoir des élections contentieuses de 1993 à 2014.
Avec la situation actuelle, tous ces consensus ont été jetés par-dessus bord. Il faut reconstruire, si c’est possible, de nouveaux consensus. Il faut une volonté politique comme celle que le Président Diouf avait affichée.
Quand il y a eu ces élections locales de 1996, il avait mis en place une commission avec le Pr Ibou Diaïté, de la Faculté de Droit, et d’autres personnalités émérites du pays qui ont permis de nous mettre d’accord sur ce qu’il fallait faire. Pourquoi le Président Sall doit considérer que le dossier des élections est son dossier à lui et non aussi celui de l’opposition ?
Vous ciblez quelles personnalités ?
Pour l’instant, je ne peux pas donner de noms, mais je pense que si le Président Sall veut que nous allions ensemble vers un consensus sur le dossier électoral, il faudrait qu’il prenne en considération nos revendications.
Au moment où vous vous apprêtez à marcher, le parti du Président Macky Sall, l’Alliance pour la République, a entamé une tournée à l’intérieur du pays. Ne risquez-vous pas d’être en retard en direction de la présidentielle de 2019 ?
Je crois savoir que le Président de l’Apr est à la manœuvre pour recoller les morceaux de son appareil qui peine à redémarrer. La presse en a rendu compte. Les fractures sont béantes dans ce qui lui tient lieu de parti. S’il doit y avoir retard, il faut chercher du côté du pouvoir avec, d’ailleurs, un Ousmane Tanor Dieng qui risque bien de se présenter à la prochaine présidentielle.
Ah bon ? Croyez-vous réellement à une candidature d’Ousmane Tanor Dieng, si l’on sait qu’il fait partie des principaux alliés du Président Sall ?
Il est très probable qu’Ousmane Tanor Dieng se présente. Nous n’avons pas le temps de dégoupiller cela en analyse politique, mais c’est ce qui risque de se produire. Concernant l’opposition, tous les leaders que je connais sont sur le terrain. On se réunit, mais les gens sont sur le terrain. Pour nous, la question de la sécurisation du processus électoral est aussi importante que le travail de terrain. L’Apr ne peut, en aucun cas, être en avance sur nous. Elle a suffisamment de problèmes. Elle n’arrive pas encore à démarrer.
Est-ce que vous n’avez pas de problèmes vous aussi vu que l’opposition n’a pas vidé la question de la candidature unique ou plurielle ?
Le syndrome « Benno Siggil Sénégal » avec le duo Niasse-Tanor, nous n’en voulons pas. La question d’une candidature unique n’est même pas discutée au sein de l’opposition. C’est une question qui ne se pose pas chez nous. Nous ne posons pas la problématique d’une candidature unique. J’estime que l’existence de pôles dans l’opposition pour aller aux élections est une excellente chose. Chaque pôle faisant le plein de ses voix. Ici, c’est ce qui compte, contrairement aux élections législatives où c’est la liste majoritaire qui a pu permettre à la coalition « Benno Bokk Yakaar » de prendre les sept députés de Dakar avec seulement 34 % des voix. A la différence de ce mode de scrutin, la présidentielle est à deux tours. Pour passer au premier tour, le candidat doit avoir au minimum 50% des suffrages plus une voix.
A l’Apr, on fait une projection de 60%…
L’Apr a perdu 16 points entre 2012 et maintenant. En 2012, elle avait 65%. Aux dernières législatives, elle a eu 49% dans les conditions que nous savons… Il y a une baisse tendancielle des parts de marché de la coalition au pouvoir dans l’électorat sénégalais. Et cette baisse ne s’arrêtera pas. J’ai entendu des tenants du pouvoir promettre la victoire dès le premier tour à leur candidat, c’est de la rodomontade. Ils devraient plutôt implorer le ciel pour avoir leur candidat au second tour.
Votre parti a-t-il déjà un candidat ?
Nous n’avons pas encore désigné un candidat. Nos instances doivent se réunir pour en discuter. Je vous dis que notre priorité, aujourd’hui, est d’avoir un processus électoral fiable parce que s’il ne l’est pas, même si nous avons un seul candidat, toute l’opposition réunie, Macky Sall nous battra à plate couture, car l’élection ne sera pas régulière.
Vous ne parlez pas le même langage avec les autres. Des voix de l’opposition ont déjà annoncé des candidatures…
Vous êtes en train de confirmer ce que je vous ai dit. J’ai dit que nous ne cherchons pas de candidat unique. Peut-être que ces voix là ont déjà choisi leurs candidats. Je vous dis que nous ne sommes pas pour la candidature unique. Nous mettons l’accent sur un processus électoral fiable. A partir de ce moment, quelqu’un d’entre-nous sortira.
Vous étiez en alliance avec le Parti démocratique sénégalais aux dernières législatives. Cette alliance sera-t-elle maintenue ?
Nous sommes encore avec le Pds et d’autres partis politiques dont « Bokk Gis-Gis » et « Tekki ». La liste est longue. S’agissant de la présidentielle, nous n’avons pas encore pris une décision. Pour l’instant, nous nous occupons des batailles nécessaires pour fiabiliser le processus électoral.
Le Pds maintient la candidature de Karim Wade en dépit de son absence du territoire national. Qu’en pensez-vous ?
Le Pds a tenu un congrès à l’issue duquel il a désigné son candidat en la personne de Karim Wade au terme d’un scrutin avec plusieurs candidatures. Le Pds m’avait fait l’amitié de m’inviter. Je ne vois pas pourquoi Karim Wade ne pourrait pas porter les couleurs du Pds. Pour ce qui est de son absence, je vais vous avouer le sentiment que j’en ai est que son retour au Sénégal pour prendre part à l’élection présidentielle est aussi sûr pour lui que le soleil qui se lève à l’Est. Je m’entretiens régulièrement au téléphone avec Karim Wade.
Il sera au Sénégal ?
Ne pas être au Sénégal ne lui traverse même pas l’esprit.
La presse a annoncé « un plan » que Wade serait en train de concocter depuis Doha. Confirmez-vous cela ?
Je ne suis pas au courant d’une stratégie de Doha. Même si le je savais, je ne vous l’aurais pas dit. Par contre, j’ai la certitude qu’au vu de la campagne des dernières élections législatives, de ce qu’elle a révélé comme attachement, comme confiance de ces millions de jeunes que j’ai vus courir derrière la voiture du Président Wade partout au Sénégal, cette ferveur qui a fait couler des larmes, il y a une très forte probabilité que le prochain Président de la République du Sénégal soit celui dont la candidature sera soutenue par le Président Wade.
Karim Wade ?
Je dis celui que le Président Wade soutiendra.
Me Abdoulaye Wade est le secrétaire général national du Pds…
Voilà !
Autrement dit, vous soutenez la candidature de Karim Wade ?
Je ne l’ai pas dit. Je vous ai déjà dit que le parti convoquera ses assises et prendra ses décisions. Le Pds a convoqué son congrès pour désigner son candidat. Les partis sont souverains. Chaque parti verra quelles sont les procédures par lesquelles il doit passer pour désigner son candidat.
Pensez-vous qu’il peut juridiquement être candidat, si l’on se fonde sur la condamnation qui a été prononcée à son encontre ?
C’est de la politicaillerie. Cela ne m’intéresse pas.
En 2019, le pouvoir va mettre en exergue le bilan du Président Sall qu’il juge positif. L’opposition pourra-t-elle démontrer le contraire ?
Dieu fasse qu’il garde ce cap. Ce sera tout bénéfice pour l’opposition. Au Sénégal, on ne gagne pas une élection par le bilan. Wade a atterri à l’aéroport Blaise Diagne en 2012. Il a ouvert l’autoroute avant le second tour. Malgré tout, il a perdu. Il n’a pas perdu sur les réalisations. Tout le monde disait, y compris ses opposants les plus radicaux : « Il a travaillé, mais…». Le « mais » renvoie à la gouvernance. C’est sur la gouvernance qu’on perd des élections au Sénégal. Là-dessus, si sous Wade, les gens étaient des artisans, sous Macky Sall, ses partisans sont dans la grosse industrie en matière de mal gouvernance.
N’est-ce pas exagéré un tel propos ! Avez-vous des éléments pour prouver vos accusations ?
Sous Wade, à partir de cinquante millions de FCfa, vous ne pouviez pas faire une entente directe pour exécuter des marchés. Sous le Président Sall, à partir de cinquante milliards de FCfa, vous pouvez ne pas avoir d’appel d’offres. C’est ce qu’on appelle l’offre spontanée. On a légalisé l’entente directe à partir de cinquante milliards et au-delà. Si ce n’est pas le summum de la pratique de la corruption, je ne vois pas ce que cela peut être.
Mais, sous Wade, c’était le défilé des scandales financiers montant à des dizaines de milliards de FCfa, portés par des ententes directes à n’en plus finir, notamment l’aéroport de Diass…
Les ententes directes ont été multipliées par dix aujourd’hui.
Dans le secteur de l’éducation, avez-vous le sentiment que l’Education pour tous est en train d’être réalisée ?
Les statistiques que nous avons disent que près de deux millions d’enfants ne sont pas dans le système. J’aurais été plutôt préoccupé par cet aspect. Ceux qui nous gouvernent ne marchent pas sur leurs deux jambes. Ils marchent sur une seule jambe. Ils ne montrent que ce qui, d’après eux, fonctionne et est beau. Alors qu’au fond, il faut s’intéresser à ce qui n’est pas bon. C’est cela qui fera qu’on se dote des moyens pour mieux faire face. Quand j’entends le gouvernement dire qu’il va mettre fin aux abris provisoires, je dis qu’il ne comprend pas. A sa place, je transformerai chaque arbre à palabre de chaque village en salle de classe, voire en école, où tous les âges viendraient partager le savoir. C’est cela qui nous fera sortir de l’ornière.
Maintenant les abris provisoires ne doivent pas être là définitivement. Il ne faut pas confondre des abris provisoires définitifs à la nécessité de multiplier par cinq ou dix les écoles. Une école, ce n’est pas seulement quatre murs. Ce sont des gens qui veulent apprendre et des enseignants motivés qui sont là pour les pousser.
Vous n’allez tout de même pas faire table rase des efforts et avancées colossaux qui ont été enregistrés, avec notamment le renforcement de la carte universitaire et la construction de collèges ?
Nous n’avons que des universités en chantier. C’est ça l’effet d’annonce ! Nos amis vivent d’effets d’annonce. Les effets d’annonce ne font pas vivre. Vous avez l’impression d’avoir l’impression d’avoir le ventre plein, mais le moment venu, vous allez tomber d’anémie. On n’annonce que des universités.
La carte universitaire laissée par Abdoulaye Wade n’a pas encore changé. Dakar et Saint-Louis étaient là sous les prédécesseurs de Wade. Les universités de Ziguinchor, Bambey et Thiès ont été construites sous Wade. Attendons que les chantiers s’achèvent. Encore une fois, c’est le problème des raccourcis. On ne peut pas faire comme les autres pour y arriver. Les moyens financiers ne suffiront jamais et les autres avancent plus vite que nous. Il nous faut imaginer des raccourcis.
Quelle appréciation faites-vous des avancées annoncées après les négociations entre le Gouvernement et les syndicats d’enseignants ?
Il s’agit essentiellement des indemnités de déplacement et correction relatives aux examens du baccalauréat, du Bfem, du Cfee, etc. Le Gouvernement s’était engagé à payer les enseignants le 30 novembre dernier. Nous sommes en janvier. Non seulement les indemnités ne sont pas payées, mais les enseignants ont subi des ponctions sans précédent sur leurs salaires. Les indemnités d’examens sont alimentées par les inscriptions des candidats, c’est-à-dire les élèves. Donc, à ce niveau, ce qui est exigé de l’Etat, c’est de cesser de détourner de son objectif l’argent du Fonds d’appui des examens et concours (Faec) logé au Trésor public. L’autre demande, la plus importante à leurs yeux, c’est l’augmentation de toutes les indemnités, notamment celles d’enseignement et de logement. Le Gouvernement propose une augmentation de 10 %, ;ce qui équivaut à 6000 FCfa pour compter de janvier 2019, comprenez une promesse électorale ! Comparé aux 20 000 FCfa donnés par Wade en son temps, c’est dérisoire. C’est la preuve du manque d’ambition et de volonté de Macky Sall et de son Gouvernement pour un système éducatif sénégalais performant.
Cela a été rectifié…
Ah bon ? Il y a un problème de confiance entre les deux parties qui portent sur les engagements contractés. C’est le problème qu’on rencontre. On se dit, même si le Gouvernement signe, qu’est ce qu’il faut faire. Les syndicats n’y croient pas. C’est cela le drame.
Que pensez-vous de la politique de santé du pouvoir ?
Le syndicat autonome des médecins va en grève le 30 janvier pour le non-respect d’accords signés en 2014. Il y a un problème de confiance. D’une façon générale, le budget alloué à la santé est très faible. La rationalisation de la dépense publique est là. Si le budget, aussi faible soit-il, arrivait intégralement à destination pour soigner, oui à la limite. Mais, non seulement le budget est faible, mais la dépense publique n’est pas efficace. Si vous injectez 100 milliards de FCfa dans le tuyau, peut-être que ce sont 20 milliards qui sortent.
Vous soupçonnez des détournements d’objectifs ?
C’est constant. C’est partout.
Il y a eu le renforcement du plateau sanitaire ainsi que la mise en œuvre des Cartes d’égalité des chances…
Depuis « Dalal diam », il n’y a pas de nouvel hôpital. Macky Sall n’a pas construit un nouvel hôpital au Sénégal. Je n’ai pas souvenance d’un hôpital construit sous sa présidence.
Vous parlez de la Carte d’égalité des chances, en 2014, le régime nous avait dit que, chaque année, 50 000 allaient être distribuées. On aurait dû être à 100 000, voire 150 000 cartes distribuées. Mais, en février 2017, le régime était à peu près à 24 000 mille cartes, c’est-à-dire le quart des objectifs fixés. Avec la Cmu (Ndlr : Couverture maladie universelle), les structures de santé croulent sous le poids de la dette du Gouvernement. Elles sont en train de prendre l’argent que les populations versent pour couvrir les dépenses prévues par la Cmu, alors que les fonds ne sont pas versés par le Gouvernement. Les structures sont exsangues parce qu’elles dépensent sans recevoir du côté du Gouvernement.
La Casamance renoue avec la violence après plusieurs années d’accalmie. Vos commentaires ?
Prières pour les morts, condoléances à leurs familles, mais aussi pensée pieuse pour la forêt de la Casamance. Cent quarante milliards de FCfa de bois coupé dans la forêt casamançaise, selon Haïdar. Cent quarante mille mètres cube de bois, c’est une catastrophe ! Je vais demander une commission d’enquête parlementaire sur la déforestation en Casamance. Je vais aussi suggérer à notre groupe parlementaire une visite de terrain en Casamance pour rencontrer les parties prenantes.
Oui, Boffa ! Enième affrontement mortel depuis 1982, jusqu’au prochain affrontement. Hélas, jusqu’à quand ? Rechercher les coupables et suspendre la coupe de bois peuvent être de bonnes mesures pour faire baisser la fièvre, comme disait l’autre, mais le mal attend toujours d’être soigné. Franchement, le système, tel qu’il fonctionne, ne me semble pas en mesure de porter une solution définitive à la crise en Casamance.
Quelle est la solution ?
Il faut beaucoup de courage politique et une bonne dose d’humilité, car étant les fondements réels pour toute autorité qui ambitionne de tourner définitivement la page de la crise en Casamance.
Qu’entendez-vous par courage politique ?
C’est le courage de rompre avec un système qu’on a, peut-être, de bonne foi mis en place depuis trois décennies, pensant qu’il pouvait régler les problèmes. Ce système s’est ossifié. Il ne peut plus donner des résultats. Il faut une approche nouvelle.
Il y a un adage wolof qui dit : « Si vous voulez soulever une charge, vous essayez de tous les côtés ». L’humilité est ce qui permet de mettre en œuvre ce courage politique et d’apprendre des gens. Il ne suffit pas que le leader soit le seul à avoir cette posture. Ce sont tous ceux qui s’occupent de la question qui doivent penser et agir de cette façon.
Partagez-vous l’opinion de ceux qui prônent la guerre pour en finir avec la rébellion ?
Les va-t-en-guerre sont toujours ceux qui ne vont pas à la guerre. Il vous y pousse et vous y laisse. Dieu nous préserve des va-t-en-guerre.
Que faut-il privilégier ?
Il faut discuter ! Il faut bien sûr prendre les dispositions nécessaires pour que les choses ne s’enveniment pas sur le plan militaire. Il faut avoir la possibilité de tenir en respect ceux qui seraient tentés d’assassiner des gens ou de tuer la forêt. Mais in fine, ce n’est pas cela la solution. Ce sont des mesures conservatoires. La solution est politique. Elle l’a toujours été. Elle ne peut pas être autrement.
Quel est la clé pour vaincre en 2019 ?
Secret de fabrication. Simplement, faisons tous en sorte que la victoire de celle ou celui qui sera déclaré vainqueur ne soit pas sérieusement contestée au soir du scrutin.
Une femme élue Présidente de la République du Sénégal, vous y croyez ?
Tout est possible dans l’avenir. Mais, le contexte actuel ne me semble pas favorable aux femmes, hélas !
DEMAIN, SEYDOU GUÈYE RÉPLIQUERA
Dans l’édition de demain du Soleil, la parole reviendra à la majorité. Avec sa double casquette de Porte-parole du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr), et de Ministre Secrétaire général et Porte-parole du Gouvernement, Seydou Guèye répliquera, point par point, dans le même format, au Coordonnateur du Fpdr.
FACETTES D’UN RÉCALCITRANT
Profession : protestataire. Signe particulier : teigneux. De manière prosaïque, cependant non réductrice, on serait tenté de résumer ainsi Mamadou Diop dit Decroix. Car ce sexagénaire, visage familier du paysage politique sénégalais, authentique soixante-huitard, adepte de la jacquerie, a quasiment, jusqu’ici, consommé son existence en remettant en cause les ordres établis.
Une des figures dirigeantes du mouvement élève et étudiant – il avait dix huit ans en 1968 –, il obligera le Président Léopold Sédar Senghor à user de moyens radicaux pour le neutraliser : exclusion de l’Université de Dakar par décret pour fait de grève ; enrôlement de force dans l’Armée.
Toutes choses qui n’émousseront pas l’ardeur d’une teigne dont les menées politiques sous Senghor, ensuite le Président Abdou Diouf, seront sanctionnées par huit arrestations et cinq séjours carcéraux.
Homme à plusieurs facettes, volontiers et souvent facétieux face à ses contradicteurs, Decroix fut dirigeant syndicaliste, lorsqu’après le chaudron universitaire il entre, comme informaticien – sa véritable profession qui le mènera plus tard au ministère des Finances – au sein du plus puissant établissement public en charge de la commercialisation de l’arachide, la première richesse du pays : l’Office national de coopération et d’assistance au développement (Oncad).
Alors, à l’aube de ces années 70, l’Oncad naissant et ses cinq mille travailleurs, furent un formidable vivier, du pain béni pour ce récalcitrant, perturbateur inné qui allait causer des boutons d’urticaire aux dirigeants de cette entité passée à la postérité comme le symbole accompli de la mal gouvernance.
Une œuvre syndicaliste de déstabilisation que Decroix mènera parallèlement à un engagement politique, dans les conditions de la clandestinité, en fondant And-Jëf/Xaree-bi, en 1973, avec son «jumeau», Landing Savané.
Homme à facettes, car syndicaliste, politique clandestin, informaticien amoureux des mathématiques jusqu’à s’approprier le nom d’un de ses professeurs dans cette matière – Decroix –, il se signale aussi par un fort attrait pour la culture, un amour qui fera de lui l’initiateur, toujours dans la clandestinité, du «Caada gi», qui ambitionnait de porter le mouvement culturel patriotique sénégalais.
C’était l’autre Decroix, méconnu ou peu connu des Sénégalais qui le découvrent à l’aube du magistère d’Abdou Diouf, lorsqu’en duo avec Landing Savané dont il est frais n°2, les deux hommes rompent d’avec «Xaree-bi» (le combat armé) et la clandestinité, légalisent et rebaptisent leur parti Aj/Mrdn (And Jëf/Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle). Onze ans plus tard, en 1992, il deviendra définitivement Aj/Pads (And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme), le duo menant, aux côtés d’autres grands noms du monde du travail et de la politique, les premières protestations contre les conséquences sociales des politiques d’ajustement dictées par le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale.
Pour Decroix, c’était bien avant l’entame d’une longue et riche carrière politique : plusieurs fois député, à partir de 1998, et ministre, de 2000 à 2012, de la survenue à la fin de la première alternance ; bien avant la rupture d’avec son «jumeau», en 2009 ; bien avant son positionnement, une fois la survenue de la deuxième alternance, en mars 2012, comme fédérateur d’une opposition fréquemment en panne de repères, avec sa casquette de Coordonnateur du Front patriotique pour la défense de la République (Fpdr), ensuite de la « Coalition du non – Gor ca wax ja », au référendum du 20 mars 2016.
Last but not least, chez Decroix, l’homme à facettes rompu au maniement des langues française et woloff – en bon Cayorien –, le politique éclipse le scribe qui a, à son actif, des œuvres conséquentes : «Les transitions démocratiques en Afrique» ; «La dialectique de la violence politique au Sénégal» ; «Omc et Ape : ne faut-il pas un plan B pour l’Afrique ?» ; «Lamine Senghor – vie et œuvre : version wolof» ; «La cause du peuple» (livre d’entretien avec Elhadj Kassé) ; «Réformes constitutionnelles ou révolution républicaine ?»
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