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COHABITATION DÉLICATE AU FOIRAIL DE SICAP MBAO : Dans la dangereuse proximité des gros ruminants

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Les habitants de Sicap Mbao vivent en permanence dans la hantise du danger que peuvent représenter les bovins et autres grands ruminants. Pourtant, ils mettent les gants pour en parler par crainte de représailles de la part des bergers qui tiennent à leur foirail dont la délocalisation de plus en plus évoquée n’est pas du goût de la majorité des éleveurs.

Pour les habitants de Sicap Mbao, emprunter la route qui passe juste devant le foirail et qui débouche sur la route nationale est quasiment impossible en cette période de fin de l’hivernage. Elle est complètement inondée. Le béton qui constituait le trottoir est inondé en plus d’être crevé de nids de poule. Une superposition de sacs remplis de sable, de pierrailles et de briques constituent un promontoire sur lequel des passants forment une file indienne, les habits retroussés, pour profiter de ce passage de fortune vers les échoppes de denrées construites le long du mur de clôture du foirail. Quelques habitués des lieux, chaussés des bottes, sortent salis du parc des grands ruminants pour patauger, sans se presser, dans ces eaux nauséabondes.

Babacar Diop, le chef de la sous-brigade d’hygiène de Diamaguene Sicap Mbao soutient que ses services ont effectué un premier saupoudrage des lieux pour les désinfecter. Il affirme qu’un deuxième passage est prévu incessamment. Au milieu de ce qui est devenu une mare depuis le début de l’hivernage, une motopompe silencieuse et des flexibles se dévoilent. A côté, sous un arbre au milieu du trottoir, Ousseynou Thiam est assis à côté de ses bottes et observe impuissant le spectacle. « Pour nous aider, il faut évacuer les eaux stagnantes », signale-t-il. Toutefois, il reconnait qu’il est difficile de tout évacuer puisque l’eau stagnante mélangée aux eaux des fosses viennent s’ajouter aux eaux pompées en amont. Pour lui, c’est un problème de salubrité publique pouvant occasionner un certain nombre de maladies.

Un environnement entre pourriture et insécurité

En essayant de remonter cette rue inondée de Sicap Mbao, l’on se retrouve face à un spectacle assez particulier. L’espace compris entre le foirail, l’autoroute, les Sicap et le siège de la commune d’arrondissement de la localité forme un vaste rectangle insalubre, boueux et nauséabond. Un véritable ‘’no man’s land’’ où l’on retrouve outre des vaches, toute une vie. En longeant les habitations pour aller à l’hôpital, on découvre les réalités de ce quartier résidentiel, victime de sa proximité avec le parc des gros ruminants, qui a été englouti par l’urbanisation galopante de la capitale sénégalaise. La boue, la paille et les bouses de vaches et autres saletés mélangés aux eaux de pluies et malaxées par les bêtes, forment une bouillie compacte et répugnante. Dans des huttes de fortune, des femmes proposent des repas. Des montagnes de foin et de paille sont visibles un peu partout. Les camions chargés de paille et de foin se disputent l’espace avec les camionnettes en location, les huttes provisoires, les détritus et les immondices. Des bêtes poursuivies par des bergers slaloment dans le labyrinthe. En face, la circulation sur l’autoroute est, comme toujours, intense. Les clients en partance pour Dakar sont coincés entre cette route passante et cet univers pastoral en plein milieu de la forêt de béton qu’est devenu le milieu urbain.

Au bord de l’autre route reliant l’autoroute à l’hôpital, de gros tuyaux constituent un obstacle pour les véhicules en provenance de Sicap Mbao. Un détour s’impose par la route qui passe devant le siège de la commune d’arrondissement de Diamaguene Sicap Mbao. L’autre route, elle, est bordée de petits commerces. Il y a de la victuaille, des cigarettes, des journaux, etc. A quelques mètres de là, un rabatteur pour taxis clandos appelle de potentiels clients. Plus loin, un rassemblement de taxis bagages occupe tout le coin de la rue. Une bonne partie du groupe se restaure dans une gargote à coté. Dans un des véhicules, un jeune homme prend un malin plaisir à klaxonner au point de provoquer la colère de ses collègues. Avec la boue et l‘occupation anarchique de l’espace, se frayer un passage dans ce milieu relève d’un véritable parcours du combattant. C’est le cas pour Aminata Traoré qui fait un grand détour pour rallier son domicile. Elle estime que le foirail est certes source de devises mais aussi source d’insécurité. Une riveraine qui préfère parler sous le couvert de l’anonymat explique : « Notre environnement est complètement pourri ! Nous vivons dans une insécurité totale ! Il y a une violence verbale de la part des bergers ». Puis, dépitée elle poursuit : « L’autre jour, un berger a attaché des bœufs au poteau électrique juste devant chez moi. Il n’y avait nulle part par où passer. Mon enfant qui devait aller à la boutique a été obligé de rebrousser chemin. Je suis sorti pour parler au berger, mais il m’a répondu avec une insolence sans égal. Je l’ai menacé de l’amener à la police si toutefois il recommençait ».

Autant la boue et les inondations constituent des problèmes pour les riverains du foirail pendant l’hivernage, autant la poussière et la paille en saison sèche constituent des préoccupations. Des fils haute tension de la Senelec surplombent le site. Il y a des monticules de foins et de paille un peu partout. Une station d’essence se trouve de l’autre côté de la route. La dame poursuit ses explications : « Il y a eu deux grands incendies : n’eut été une intervention prompte, tout le quartier serait réduit en cendres ». Une fille qui a assisté aux échanges confie qu’on y a, nuitamment et à deux reprises, tué des serpents devant chez elle. Outre le foin et la paille, il y a plusieurs branchettes et feuilles d’arbres et d’arbustes ayant servi de tapis aux camions qui transportent les bêtes. La fille renseigne également qu’il n’est pas rare de tomber la nuit sur un bœuf en divagation ou en fuite dans les parages. Ce qu’elle considère comme un véritable danger surtout pendant les coupures d’électricité. Rencontré vers le cabinet vétérinaire qui a pignon sur rue dans les parages, un habitant de la localité qui parle sous le couvert de l’anonymat explique que les accidents occasionnés par les bêtes sont nombreux. « La semaine dernière, explique-t-il, un bœuf en furie est entrée en collusion avec le véhicule d’un voisin, les phares sont cassées. Le mois dernier, un autre voisin a perdu un pare-brise dans les même circonstances ». Après de fortes pluies, soutient M. Diagne, premier adjoint au maire de la commune d’arrondissement de Diamaguene Sicap Mbao, les bêtes ne pouvant plus rester dans l’enclos inondé, viennent dans les rues de la cité et occupent des sites comme le terrain de basket. A l’en croire « régulièrement, nous jouons les médiateurs entre les bergers et les populations. C’est une cohabitation difficile ». Devant une telle situation, « Madame le maire a pris un arrêté visant à réglementer la circulation des bêtes », dit-il. Quelques troupeaux, avec leurs bergers, traversent le rectangle insalubre pour aller vers la forêt classée de Mbao, lieu de pâturage.

Les Pro et les anti délocalisation du forail

A l’intérieur du foirail, des bergers, des négociants, des intermédiaires construisent des huttes de fortune le long du mur de clôture. Il y a aussi des boutiques où l’on vend un peu de tout : sac de voyage, viande fraiche ou cuite, peaux, pattes ou intestins d’animaux, thé, sucre, charbon, biscuits. Il y a aussi une espèce de débarcadère par où les bêtes nouvellement arrivées doivent passer. Entouré d’un enclos fait de bout de bois, des bœufs y sont attachés près de pneus contenant du foin ou de la paille pour les appâter. Une demi-douzaine de bergers, à l’aide de leurs bâtons, essaie de capturer un zébu en furie. Dans ce méli mélo, il n’est pas difficile de repérer le quartier général du président de l’association des éleveurs du foirail. Sa hutte est connue de presque tous les habitués du parc des gros ruminants. Il est absent du site, mais, à la suite de quelques salamalecs, un des siens le joint au téléphone pour lui signaler la présence d’hôtes. « Je vous rappelle », dit-il. Et c’est par téléphone qu’il répond à nos questions. « Nous ne pouvons pas prendre l’engagement de réparer les dommages causés par les bœufs », lance-t-il. Et de poursuivre : « certes la cohabitation est difficile, mais ils doivent prendre leur mal en patience ».

Selon l’adjoint au maire, « il ne se passe pas une année sans qu’un bœuf écorne un berger, mais, eux, stoïques ; disent toujours que ce sont les inconvénients du métier et qu’ils sont appelés à faire avec ». Au niveau du poste de police de Diamaguene Sicap Mbao, on soutient qu’avant 2003, il y avait à la limite l’anarchie au sein du foirail. Il a fallu « une décente musclée pour que les choses reviennent à la normale ». Toutefois, on reconnait à la police tout comme à la commune d’arrondissement qu’il y a un code de conduite propre aux usagers du foirail. Une affirmation confirmée par Oumar, le président des éleveurs. « Nous avons un code de conduite et tous les nouveaux venus sont appelés à y adhérer », renseigne-t-il. Pourtant selon la police et les autorités municipales, il y a deux tendances au foirail. Il y a ceux qui sont pour le déménagement du foirail ailleurs et la vieille et nostalgique garde qui est foncièrement contre tout déménagement. « Il y avait des problèmes, mais nous nous sommes entendus », soutient le président de l’association des éleveurs de foirail.

Des risques d’incendie en permanence

A en croire Oumar, tous les usagers sont contre toute idée de déménager le foirail parce que soutient-il « ce sont les habitations qui nous ont trouvé ici ». « L’habitat a la priorité sur tout », clame de son coté Babacar Ka, le deuxième adjoint au maire. Tout comme l’adjoint au maire, qui estime que « déménager le foirail est plus qu’une nécessité, une œuvre de salubrité publique ». A la police, où l’on renseigne qu’il y a parfois des patrouilles inopinées, les interventions au sein du foirail portent généralement sur les transactions, des problèmes entre bergers ou bien entre bergers et riverains.

« Juridiquement et économiquement », selon les adjoints au maire de la commune d’arrondissement, le foirail dépend de la mairie de la ville de Pikine. Les autorités de la ville de Pikine ne sont pas contre la délocalisation. Car, selon le responsable de halles et marchés, « c’est devenue une nécessité ». Outre les raisons de sécurité, de salubrité et d’hygiène, El Hadj Ibrahima Diop souligne que la ville met plus d’argent au foirail qu’elle n’en gagne. Pourtant, chaque jour, ce sont 300 nouvelles bêtes, en moyenne, qui arrivent au foirail et qui paient les taxes. Après son implantation en 1985, la ville de Pikine y avait affecté un collecteur et un policier, mais pour des raisons économiques, il n’y a plus de policier municipal. La mairie assure aussi l’éclairage public et l’accès à l’eau. De l’avis des élus locaux, le ministère de l’Elevage a déjà identifié dans la région dakaroise un site et des pistes de financements pour sa délocalisation. Mais « ce qui fait le plus défaut, c’est le courage et la volonté politique ». Ils poursuivent : « lorsqu’il s’agit de parler du foirail, les gens mettent des gants ou parlent sous le couvert de l’anonymat, parce qu’ils risquent à tout moment des représailles ». Les menaces, soutiennent-ils, peuvent être d’ordre verbal, physique ou mystique. « Ils sont capables de venir jusqu’ici pour nous menacer à la sortie du reportage. Ce sont des habitués », font remarquer les deux vieilles personnes qui soutiennent qu’ils ont choisi de travailler pour le bien-être de la collectivité.

lesoleil.sn

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