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Les oubliés de l’eau

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Loin de la banlieue dakaroise devenue les choux gras de la presse et le sujet favori des hommes politiques, l’intérieur du pays vit un drame insoupçonné sans la moindre assistance. La Gazette vous plonge dans les quartiers inondés de la commune de Kaolack.

Khakhoune se noie pluie après pluie. Une vaste mare d’eau verdâtre constitue le principal décor du quartier. Dans cette fresque liquide, les habitations sont arrachées par les eaux et les habitants restés à flanc observent, impuissants, la submersion de leur bien acquis au prix de durs labeurs et de sacrifices. Que de désolation dans l’atmosphère ! Le sentiment d’abandon et d’impuissance face au drame obscurcit les visages.

Des visages attristés. Mais incroyablement croyants, même si le propos de ces sinistrés exprime le désespoir. Désespoir des jours lugubres ! Modou Gawane fait partie des rares personnes restées au quartier. Avec un groupe de jeunes, ils s’offrent bénévolement pour sauver ce qui est encore récupérable et défendre la contrée inondée contre des larrons qui défient la nuit et les eaux pour s’introduire dans les maisons à la recherche d’un objet monnayable le lendemain. Sa dignité en bandoulière, requinqué par les encouragements de ses potes qui lui demandent de parler à leur nom, il dit, tout fier : « Nous sommes obligés de rester ici pour garder la maison de nos parents. Nous faisons le tour des concessions à tour de rôle pour dissuader les malfaiteurs. Tout le monde est parti. » Où ? Vers des terres moins mouillées, pour la plupart dans les écoles en attendant que le ciel soit plus clément en fermant ses vannes. Reviendront-ils un jour vu l’état du quartier ? En tout cas, il faudra du temps pour rendre à nouveau habitables ces bauges. Pour l’instant, Modou se désole de l’absence de soutien dans l’œuvre d’intérêt public dans laquelle ils se sont engagés. « Nous cotisons pour acheter de l’eau de javel pour désinfecter nos corps après chaque tour de garde. » L’eau est, en effet, infectée. Sa couleur verdâtre et les bactéries qui se développent sur les murs des maisons en attestent. Pourtant, les services d’hygiène ne sont jamais venus saupoudrer la mare, fait-il remarquer. Rien de surprenant donc à ce que les lieux soient devenus un incubateur pour les moustiques.

De jour comme de nuit, l’anophèle y sévit. Le paludisme se propage. Le risque d’une épidémie de choléra est réel. N’empêche certaines personnes qui semblent insensibles aux odeurs pestilentielles et aux concerts insolents d’insectes poursuivent leur activité. Dans ce mariage de ruines et d’eau fétide, la stoïque Bijou Diatta, coiffeuse de son état, n’abandonne pas. Son salon n’est pas totalement submergé comme c’est le cas partout, mais pour y accéder il faut passer dans les eaux ou prendre une charrette. Sa peau dépigmentée porte les stigmates des piqures de moustiques, mais que faire si on n’a pas les moyens de déménager son matériel. Elle confesse, avec beaucoup d’amertume, -c’est à peine si elle ne verse pas de larme- qu’elle ne trouve pas d’autre alternative. Elle dit, étouffant un sanglot : « Nous vivons cette situation depuis plus d’un mois, mais je ne peux pas partir. Je ne sais pas où aller et je ne peux pas abandonner le salon. » Bien sûr que Bijou Diatta ne voit presque plus de clients, elle reste quand même.

Dans ces conditions, la visite du Premier ministre est considérée comme « une arnaque ». On en parle et s’en offusque, en maugréant et en rouspétant avec une gestuelle démesurée comme pour exorciser un mal être pénitent dans ce pataugé quartier de Khakhoune. Modou Gawane, allure frêle contrastant avec son verbe poignant, brandit un morceau de foulard rouge pour prouver qu’il était de la partie. Quand tout le quartier de Gawane et alentour huaient le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, venu s’enquérir de la situation qui prévaut dans cette partie de la commune de Kaolack. Tout le monde le dit : « le gouvernement nous a délaissés ». Tout le monde le pense : « La visite de l’autorité était une mascarade politicienne ». Tout le monde est concerné : Khakhoune est abandonné à son sort. S’il était venu apaiser la souffrance des sinistrés ou partager avec eux leur mal, il a laissé derrière lui des citoyens certes déçus, mais qui se consolent d’avoir exprimé leur mécontentement au Pm. Plus d’une dizaine de jours après la visite du chef du gouvernement, la situation dans les quartiers inondés de la commune de Kaolack reste inchangée.

Des pompes de fortune

Au quartier Sam angle SP, la situation est la même. Seulement, ici, certains propriétaires de maisons tentent avec des moyens rudimentaires d’arrêter les eaux. Sur des briques en béton superposées, ils installent une bassine qui sert d’entonnoir. Ensuite, un tuyau est placé sous la bassine trouée où l’eau passe pour se déverser à l’extérieur de la maison. A défaut, d’une motopompe qu’auraient pu installer les autorités, les populations abandonnées à elles mêmes se débrouillent ainsi pour évacuer l’eau. Cette méthode est ingénieuse, seulement elle est coûteuse. En fait, elle requiert beaucoup d’effort physique. L’eau est puisée à l’aide d’un seau ensuite versée dans l’entonnoir. Du coup, les familles qui ne comptent pas de bras requis pour cette tâche, sont obligées de recruter ailleurs. Trouvée à Sam SP, Fatou Bintou est une mère de famille d’une quarantaine d’années. Elle déclare débourser dix mille francs CFA après chaque pluie pour payer les jeunes. « Depuis deux mois, nous vivons cette situation, nous sommes ruinés. Si cela continue, nous n’aurons même plus de quoi manger. »

Comment le malheur des uns fait le bonheur des autres

A Khakhoune, les charretiers vivent une véritable traite depuis le début des inondations. En effet, le quartier est totalement sous les eaux ne laissant aucune possibilité aux usagers, surtout aux habitants des zones environnantes un petit espace non inondé par où ils peuvent passer. Dans certaines zones l’eau est profonde et peut atteindre un niveau de plus d’un mètre. Pour traverser le quartier, les « borom sarète » offrent leur service moyennant cinquante francs Cfa par personne. La voiture tirée par des ânes peut prendre dix personnes à bord. La traversée est faite en moins de cinq minutes, même si la charrette chancelle à certains endroits. Les charretiers rencontrés sur place informent qu’ils gagnent en moyenne quatre mille francs CFA par jour.
Au quartier Sam SP par exemple, les jeunes garçons qui offrent leur service pour l’évacuation des eaux des maisons peuvent gagner jusqu’à vingt mille francs CFA par jour.
C’est connu, le malheur des uns…

lagazette.sn

Cheikh Fadel BARRO

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