Le plus souvent quand on parle de bavure policière l’Etat reste toujours sur la défensive avec des dénégations affirmant que les forces de sécurité n’ont pas tiré à balle réelle tantôt on parle de maintien de l’ordre public et de l’légitime défense face à la violence des manifestants. Avec des déclarations du genre : « nous regrettons l’incident et allons ouvrir une enquête (pourtant l’enquête sur l’effondrement du mur de Demba Diop entrainant mort d’hommes reste est encore une énigme pour les populations) »
Récemment quand Amnesty International Sénégal dans son rapport national parlait de bavure policière le porte-parole du gouvernement avait rétorqué en parlant d’exagération. Et pourtant il s’agissait de faits concrets « Un jeune garçon qui a été torturé dans les locaux de la police à Touba. Et à la suite de cela, les commerçants du marché Ocass ont organisé une manifestation au cours de laquelle 2 personnes ont été blessées par balles réelles. Selon des témoins oculaires et les victimes, la police est l’auteur de ces tirs ».
Il s’avère contradictoire de constater que dans un pays qui se vante d’être l’étalon en matière de démocratie en Afrique avec l’occupation des instances onusiennes, nous assistons une manifestation d’étudiant réprimée dans le sang. C’est regrettable ce qui s’est passé à St. Louis hier certes mais on pouvait l’éviter si après la mort de Bassirou Faye un suivi avait été assuré, car gouverner c’est aussi prévoir.
Selon notre « mother law » Tout citoyen étudiant ou pas a le droit fondamental d’exprimer sa désapprobation des actions publiques qui portent atteinte à ses intérêts ou à sa dignité. Le droit de manifester sur la voie publique est autorisée par notre constitution même si elle est réglementée. Mais réglementer ne veut pas dire interdire. En effet les forces de sécurité doivent assurer » le maintien de l’ordre » et non semer le désordre, violenter ou torturer encore moins abattre des manifestants. Par conséquent tirer délibérément sur des gens qui manifestent, c’est choisir consciemment d’en tuer certains. C’est pourquoi la loi doit encadrer strictement les conditions de la légitime défense tantôt prônée en cas de mort d’hommes.
La culture de l’impunité au Sénégal est aussi l’une des conséquences de cette violence récurrente de nos forces de l’ordre. Et cette impunité a pour corolaire l’absence de séparation des pouvoirs. Combien de rapports (IGE, Cours des Comptes, OFNAC…) ont eu à épingler des PCA et autres grands cadres de l’Etat et dont les dossiers dorment encore dans les tiroirs du pouvoir exécutif.
Quand celui qui est chargé de faire régner l’ordre et de faire respecter la loi, viole les principes de l’Etat de droit comment voulez-vous que les populations incarnent une citoyenneté responsable ?
Par ailleurs si les forces de l’ordre doivent avoir une place dans la démocratie Sénégalaise c’est pour occuper une pièce de l’édifice démocratique pouvant compléter et assurer l’exercice d’un system de « check and balances » entre les trois pouvoirs. Lors d’un récent atelier avec la Ligue Sénégalaise des droits de l’homme où la discussion portait sur l’indépendance institutionnelle et personnelle des magistrats de notre pays, la LSDH a voulu mettre l’accent sur la séparation des trois pouvoirs, car reste vitale pour notre démocratie.
On ne juge pas un dirigeant sur sa capacité à être gentil avec une partie de la population (amis, parents, membres de partis ou de coalition) ou avec telle ou telle institution ou agence, mais plutôt sur ses rapports avec son propre peuple à travers sa forme de gouverner.
Aujourd’hui le sentiment général de la plupart des citoyens Sénégalais c’est que l’exécutif exerce son pouvoir avec violence (verbale, physique, stratégique et même psychologique) en utilisant les forces de l’ordre à chaque fois qu’il ne trouve pas un moyen de convaincre ses administrés en terme de politiques publiques pour satisfaire leurs besoins ou en cas de vote de lois (nous pouvons citer la loi sur le parrainage la plus récente).
En effet tout citoyen a le droit fondamental d’exprimer sa désapprobation des actions publiques qui portent atteinte à ses intérêts, à sa dignité.
Dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; celle-ci est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée. Que la force ne soit appropriée par quiconque à son profit pose les conditions nécessaires à l’équité des moyens violents de pacification des conflits.
Aujourd’hui la grande question est de savoir comment assurer le caractère apolitique qui devrait guider l’action des auxiliaires de justice et de la loi que sont policiers, gendarmes et autres militaires. Pour pousser la réflexion, je pense qu’en répondant aux questions suivantes nous trouverons une partie des solutions à cette violence et atrocité. Doivent-ils protéger le peuple ou ses gouvernants qui par ailleurs, doit-on l’avouer, sont leurs employeurs directs ?
Les forces de l’ordre ont-elles le droit d’attenter à la vie des gens, au nom du maintien de l’ordre ? Dans quel cas, il n’est permis à un homme en tenue de délibérément faire usage de son arme à feu ? Peut- il agir sans recevoir des instructions de son supérieur hiérarchique ?
En effet les forces de l’ordre doivent être le garant de la sécurité et de la protection des citoyens. Elles ne doivent en aucun cas agir pour une quelconque personne ou prendre faits et causes pour un camp politique.
La police est obéissance lorsque la démocratie est libre choix ; la police est violence lorsque la démocratie est discussion ; la police est répression lorsque la démocratie est émancipation ; la police est secrète lorsque la démocratie est publique. C’est pourquoi la loi doit assurer la participation de la société, au moyen de ses représentants, à la définition des politiques de sécurité pour assurer la paix civile.
Denis Ndour
Human Rights specialist
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