L’ enfer, c’est les autres ! Pour nombre de Sénégalais, la vie aurait pu être un « régal » s’il n’y avait pas le regard d’autrui, du voisin. Celui qui vole et viole notre intimité en perturbant, du coup, notre univers, notre territoire que nous avons construit et circonscrit suivant notre propre rythme. Un regard pesant qui devient une sorte de mauvaise conscience nous rappelant, à chaque instant et à chaque coin de rue, la tyrannie d’une société de consommation où tout repose sur l’artefact. Le miroir et son reflet ! Le règne de l’apparence. (…)
Le mouton de Tabaski ne se soustrait pas à ce regard oblique, malicieux, déformant, à la limite traumatisant. Un regard qui rend malade, réellement malade !
En cette veille de Tabaski, de nombreux compatriotes sont victimes du « Complexe du mouton ». Lequel se signale par des maux de tête, une tension qui « déborde » de son lit, le tout accompagné de fortes convulsions et des délires…
Le malade atteint du « Complexe du mouton » est victime du délire de persécution, avec des persécuteurs désignés : les voisins. Crise de nerfs, tics nerveux bruyants, agressions verbales envers tous ces regards persécuteurs.
Le « Complexe du mouton » s’attaque aux adultes musulmans, responsables, pères de famille. Ces derniers ne dorment plus du sommeil du juste, tellement le mouton est devenu une équation presqu’insoluble.
Cette maladie s’attaque, incidemment, aux célibataires (jeunes ou adultes) qui sont dans l’obligation de donner des gages à une copine pénétrée par le virus des clinquants. Le Don Juan, pour maximiser ses chances de ne pas perdre son « Amour », va devoir casquer fort : salon de coiffure, habillement, chaussure, mouton pour les parents de la fille, avec parfois argent de poche.
Dans le brouillard des hallucinations, le « persécuté » voit des moutons partout : du balcon, de la chambre à coucher, du salon, des toilettes, de la terrasse de sa maison…Des moutons imaginaires qui ne peuvent, hélas, donner le sourire aux enfants, encore moins à une épouse qui souffre…dramatiquement, elle aussi, du regard persécuteur de la voisine.
Le père de famille, victime du « Complexe du mouton », devient alors étranger chez lui. La mère et les enfants prennent leurs distances, ils parlent de lui à la troisième personne du singulier, sous le manteau du voisin dont le regard « accusateur » distribue les mauvais points. Un voisin qui ne rend pas les choses faciles, lorsqu’il verse dans l’ostentation en « exhibant », tel un trophée, un mouton « orné » de colliers ou de gris-gris de circonstance et attaché devant la porte de la maison. Le sommet du m’as-tu-vu, de la vanité.
Dans la salle de consultation, la victime du « Complexe du mouton », allongé sur le divan, déverse sa colère sur une société qui creuse les disparités et soumet ses membres à l’intenable course pour l’inégalité. Le « persécuté » finira par craquer, en s’endettant, au nom d’un plaisir d’une seule journée. Il cède à la « conspiration », au jeu de dupes…et se ment à lui-même. La société lui met la pression et l’accepte en toute culpabilité. Il a renoncé de vivre pour lui-même, la victime du « Complexe du mouton » vit pour les autres. Il regarde le monde avec les lunettes des voisins, amis, camarades, compagnons…Le « persécuté » finit par se confondre avec le mouton… de Panurge.
Après la prière à la mosquée, le sacrifice du mouton, loin des frous-frous des boubous gommés, dans le silence de sa conscience, le « persécuté » est envahi par l’angoisse du paiement des dettes. Il a du mal à savourer la fête. Une angoisse qui explique les problèmes d’indigestion dont est victime le « persécuté ». Le père de famille vit un drame intérieur. Ce n’est pas le cas pour « madame » et les enfants. La mine grave qu’ils affichaient, il y a quelques jours, s’est dissipée avec l’arrivée du mouton, source de tous les problèmes « psychiques » du « persécuté ».
Le « Complexe du mouton » est une maladie contemporaine qui a encore de beaux jours devant elle, sous nos tropiques. La faute au voisin.
Par Bacary Domingo Mané
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