Les funérailles nationales organisées pour l’ancien sénateur de l’Arizona ont souligné l’isolement du «président non-grata».
De notre correspondant à Washington
Donald Trump ne nous a pas habitués à briller par son absence. Mais John McCain a réussi dans la mort une sorte de tour de force: avoir «le dernier mot» sur un «président paria», selon la formule de plusieurs journaux américains, un «président non-grata» à ses funérailles comme à celles de l’ancienne First Lady Barbara Bush en avril.
Pendant quatre jours, le sénateur de l’Arizona a littéralement effacé des écrans le champion de la téléréalité. Durant ce long cauchemar médiatique, Trump a eu beau zapper d’une chaîne à l’autre, il n’a eu droit qu’aux images des cérémonies dignes d’un président accordées à son vieux rival du Sénat. De Phoenix à Washington, l’élu de l’Arizona, qui avait préparé son propre enterrement depuis un an, a vu la nation entière s’incliner devant son cercueil, les éloges et les hommages se succéder, comme pour mieux souligner que l’affection et le respect font toute la différence au bilan d’une vie.
Point d’orgue des commémorations, après celle au Capitole vendredi, les obsèques célébrées samedi dans la cathédrale nationale de Washington ont réuni toutes les élites politiques du pays, y compris des membres éminents de l’actuelle Administration: le chief of staff John Kelly, le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, et les enfants et conseillers du président, Ivanka et Jared Kushner, impavides dans l’assistance – même quand la «grandeur» du défunt était implicitement comparée à la petitesse de celui qui avait joué au yoyo avec le drapeau en berne sur la Maison-Blanche.
Trois présidents et leurs épouses occupaient les premiers rangs – Barack et Michelle Obama, George et Laura Bush, Bill et Hillary Clinton – et autant de vice-présidents – Dick Cheney, Al Gore et Joe Biden. Invité à ouvrir la série d’éloges funèbres, l’ancien sénateur Joe Lieberman, un ami intime, a évoqué «un homme honnête, juste et civilisé, qui n’a jamais prononcé un mot sectaire envers quiconque». George W. Bush a salué le «code moral» de John McCain, sa conception «d’une dignité qui ne s’arrête pas aux frontières» et son combat «jusqu’au bout contre des politiques et des pratiques qu’il jugeait indignes de ce pays.»
Barack Obama, sans masquer ses divergences politiques avec le défunt, a mis l’accent sur leur conviction commune que «certaines valeurs transcendent les partis. Il tenait à la Constitution, à l’état de droit, à la séparation des pouvoirs, il comprenait que ces normes sont ce qui nous lie les uns aux autres, tout spécialement quand nous ne sommes pas d’accord. Si nous prenons l’habitude de tordre la vérité, notre démocratie ne fonctionne plus. Il voyait l’impératif pour quiconque aime ce pays de traiter chacun de la même façon. […] Au bout du compte, nous sommes dans la même équipe, et nous n’en avons jamais douté. C’est cet esprit que nous célébrons, a ajouté le prédécesseur de Trump: faire mieux, être meilleurs» au moment où «notre discours politique peut paraître mesquin, méchant et médiocre.»
Ainsi, en creux, le grand absent a été constamment évoqué, antithèse du «héros» et de «l’homme d’honneur» célébré depuis une semaine à longueur de discours, d’interviews et de portraits. «Il pensait qu’il n’était pas besoin de rendre à l’Amérique sa grandeur car pour lui l’Amérique a toujours été grande», a lâché entre deux sanglots sa fille Meghan, après une allusion à «ceux qui vivaient une vie de confort et de privilèges pendant qu’il souffrait au Hilton de Hanoï», le surnom de la prison vietnamienne où McCain fut torturé pendant plus de cinq ans. Elle a aussi salué, durant le reste de sa vie, «son silence stoïque qui était naguère la marque d’un homme en Amérique.»
Pour porter son cercueil, au côté de figures politiques démocrates et républicaines, dont l’ex-vice-président Joe Biden, ainsi que de l’acteur Warren Beatty, un ami personnel de trente ans, John McCain avait choisi Vladimir Kara-Murza, un dissident russe ayant survécu à deux tentatives d’empoisonnement. Ultime message en direction de Donald Trump, auquel le sénateur reprochait sa «servilité» envers Vladimir Poutine.
Quarante minutes après le début de la cérémonie, diffusée en direct par toutes les chaînes, y compris sa chère Fox News, le président a quitté la Maison-Blanche pour aller jouer au golf.
Le Figaro
L’Amérique s’incline devant un criminel.