A quinze mois de la Présidentielle, Me Wade choisit le conseil des ministres pour annoncer que le Premier ministre sera son directeur de campagne. L’audace a plusieurs vertus pour lui. Mais c’est essentiellement pour Wade un moyen de rendre impossible l’éventuelle rupture de Souleymane Ndéné Ndiaye avec le Pds et de donner à sa candidature des ornements crédibles.
Wade vient de rouvrir la boîte à pièges. Une boîte, en vérité, jamais fermée durant cette période d’Alternance. Passé maître dans l’art des coups d’éclat, le chef de l’Etat pose un nouveau lapin. Cette fois, il cherche un gros poisson. Le Premier ministre en l’occurrence. Et sans jouer aux oiseaux de mauvaise augure, on peut présager que le chef de l’Etat l’aura. Son stratagème, jusque-là opérant, devrait, à nouveau, marcher à merveille. Voyons d’abord l’empaquetage de l’offre faite à Me Ndiaye. C’est, en effet, en conseil des ministres que Me Souleymane Ndéné Ndiaye, le Premier ministre, est promu directeur de campagne du « candidat » Wade à la Présidentielle de 2012. « Le conseil des ministres ! », soupirent d’indignation nombre de puristes à cheval sur les bonnes pratiques administratives, ulcérés par la banalisation des institutions. Me Aïssata Sall, porte-parole du Parti socialiste (Ps). « Il ne fallait pas désacraliser l’institution » se désole-t-elle. Mais, pour réussir son coup Wade ne pouvait, sans doute pas, avoir meilleur adjuvant. Le conseil des ministres reçoit, en principe, des dossiers déjà filtrés par des techniciens rompus à la besogne. Une fois sur la table de cette institution, les documents sont destinés à la signature du chef de l’Etat. C’est donc une instance très sérieuse. D’ailleurs, la loi fondamentale attribue tous les pouvoirs relatifs à l’institution au chef de l’Etat. Il ne concède rien au chef du gouvernement.
Si le patron du Parti démocratique sénégalais (Pds) a choisi le conseil des ministres pour annoncer la promotion faite au Premier ministre, le bénéfice qu’il en attend est multiple. L’effet « avantageux » de la promotion Me Ndiaye va droit vers Me Wade. L’artifice lui permet d’entretenir dans l’opinion l’image d’un homme faisant un travail politique de fond. Parce que jusque-là, le conseil des ministres reste un cadre où se noue la marche du pays. L’autre effet bénéfique est de montrer au maire de Guinguinéo que sa décision est sérieuse, voire solennelle. De quoi alors le rassurer quant à son avenir politique. Puisque ces derniers jours, le pays a bruit de l’imminence du départ de Souleymane Ndéné Ndiaye. Son récent congé « forcé » à Paris, a exacerbé la clameur laissant croire que Wade l’éloigne pour redistribuer, sans entrave, les positions. « Fausse alerte ! » Quelques petits jours après ses congés, le Pm a vu s’accroître l’estime que lui porte le président. Cela est d’autant plus rassurant que l’Alliance Sopi pour Toujours (Ast), instance politique portant la candidature de Wade n’aurait pas caché son émotion face à la promotion de Souleymane Ndéné Ndiaye. Et cela contribue à épicer le décor destiné à harponner le Pm. Mieux, à le ligoter au sein du Pds.
BROUILLAGE
En fait, qu’on l’avoue ou pas, l’éventualité d’un départ du maire de Guinguinéo n’est plus une simple vue de l’esprit. Mais, le président conscient des effets catastrophiques d’une telle séparation sur son projet de dévolution du pouvoir cherche à s’entourer de barricades infranchissables. Ndéné renvoyé, ses liens avec le président de l’Alliance pour la République (Apr) Macky Sall pourraient faire mal. L’axe des frustrés de « luxe » prendrait, à coup sûr, de l’épaisseur. Leur blessure si profonde que pour s’en remettre ils ne se passeraient jamais de l’occasion de broyer le régime libéral. Tel un médecin, Wade est très cauteleux. Son « client » n’a pas la tête d’Idrissa Seck, ni celle de Macky Sall. Les deux anciens premiers ministres et ex-directeurs de campagne de Wade avaient une autorité nationale sur le Pds. Idrissa Seck a été numéro 2 des libéraux. Macky Sall a engagé la bagarre des fédérations rurales et conduit les Législatives de 2007. Souleymane Ndéné Ndiaye n’a pas d’emprise sur le Pds. Par contre, son passage à la primature a amplifié sa représentativité dans sa région naturelle (Kaolack) et sa ville (Guinguinéo). Remercié, Me Ndiaye passerait pour une victime. Et les contrecoups dévastateurs des victimes politiques sont connus. Leur capacité de nuisance sur les Wade s’est vérifiée. Idy comme Macky Sall en ont fait l’heureuse expérience. Seulement, dans le contexte marqué par la contestation de sa candidature, Me Wade sait mieux que quiconque le danger qui le guette. L’annonce de la nomination du Pm comme directeur de campagne lui permet d’asseoir aux yeux de l’opinion la crédibilité de sa candidature. C’est clair : le patron du Pds veut ruiner le débat sur la recevabilité de sa candidature. Alors que la plupart des constitutionnalistes s’accorde sur l’impossibilité pour le chef de l’Etat de briguer à sa propre succession. Les arguments qui lui sont opposés sont très sérieux. Des juristes ont mis dans l’argumentaire le propre aveu de Wade qui a écarté, de vive voix, la possibilité pour lui de se représenter. Le choix du conseil des ministres est donc loin d’être gratuit. Il passe même pour un trafic d’influence destiné à contraindre le juge à valider sa candidature.
Hamidou SAGNA
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