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ANALYSE Dire, c’est faire ! Par Bacary Domingo MANE (Journaliste)

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Certains montreront très certainement leur étonnement, voire leur « dépit » à la seule évocation du sujet sur l’injure. Et s’interrogeront sur la pertinence d’un tel travail. Parmi eux, des honnêtes citoyens qui affichent cette tendance naturelle à dramatiser, à se montrer susceptibles lorsque l’énoncé est loin de leurs préoccupations.

Ils peinent alors à comprendre qu’il soit possible d’analyser, sans porter de jugement, ce discours obscène qu’est l’injure ; de prendre du recul pour porter un regard serein et détaché sur ce phénomène de société à laquelle nous appartenons tous.

Nul n’ignore que dans nos sociétés, le sens de la mesure, la réserve et la pudeur sont, entre autres, les vertus les plus prisées. Dès lors, il va de soit que les écarts de langage, les incongruités et les propos injurieux suscitent de la désapprobation sociale. Ce n’est donc pas un hasard si l’éducation de l’individu est orientée dans le sens de la respectabilité. Rien alors, dans son comportement, ne doit blesser les convenances. Evans-Pritchard en rend bien compte dans son article : « Quelques expressions collectives de l’obscénité en Afrique », in la femme dans les sociétés primitives. Paris. Puf, 1971 : « les manifestations d’obscénité appartiennent à ce domaine de la vie mentale que la société stigmatise comme grossier et vulgaire et qui doit être refoulé par l’individu ».

Certes, le langage ordurier et malsonnant est rejeté par tous les esprits bienveillants. Et vous conviendrez avec nous que là n’est pas le problème. La vraie question est ; pourquoi ce langage ordurier, condamné par tous, prospère dans nombre de milieux, pour ne pas dire dans tous les milieux ?

Du président de la République au plus petit citoyen, en passant par les ministres, les marabouts…tous ont, au moins, une fois de leur vie, dans le silence de leur bureau ou de leur chambre à coucher, à la suite d’une colère, déballé des insanités.

C’est donc un phénomène qui existe et il ne sert à rien de faire la politique de l’Autriche, de boucher les oreilles lorsqu’un homme ou une femme en colère se met à injurier de mère ou de père son vis-à-vis.

Les tabous coutumiers sont allégrement bravés par ces hommes et femmes qui s’adonnent à ce jeu, souvent avec un plaisir non dissimilé. Et la violation des interdits verbaux suscite chez les auditeurs un sentiment de honte. Parce que le plus souvent, la personne qui injurie vise là où cela fait mal, autrement dit, ce que la société estime le plus ; les géniteurs (mère et père). Il s’agit de montrer son mépris, de briser ou d’humilier la personne à qui s’adresse l’injure. Ainsi donc, l’énonciateur cherche à détruire la dignité et la réputation du destinataire, tout en se valorisant lui-même.

Celui qui injurie se sert des défauts ou des failles de la victime dans le but de les grossir, les exagérer. D’où le caractère excessif et approximatif de l’injure. Comme la caricature, elle déforme la réalité. Bien plus que le souci de vérité, c’est le souci d’efficacité qui sous-tend l’injure.

Finalement, ce qui compte avec les mots de l’injure, c’est moins leur sens, que la charge négative qu’ils charrient et qui laisse libre cours à l’imaginaire. L’on comprend, dès lors, pourquoi l’injure elliptique ; « espèce de… », est la pire des injures et est vivement ressentie dans le milieu bantoue(1).
Dans ce cas, le blanc du discours injurieux laisse une sorte de boulevard à l’imagination de la personne injuriée et qui, subjectivement, s’attribue n’importe quel terme injurieux. Parce que, justement, elle est dans l’incertitude de ce qu’on pense de lui.

Le langage ordurier produit, à coup sûr, des effets et il peut même participer à la construction d’un fait. C’est ce que John Langshaw Austin, philosophe et professeur à OxfordAutin (2) désigne par le vocable « d’acte perlocutoire », c’est-à-dire celui qui fait exister ce qu’il nomme. Par exemple, dire d’un individu qu’il est « une pute », « un pédé », « un imbécile », « un bâtard » etc, c’est en faire « une pute », « un pédé », « un imbécile », c’est, en quelque sorte, l’enfermer dans un univers ou un stéréotype qu’il fera sien, avec toutes les représentations qui y sont liées.
Mais dans ce ballet des insanités, c’est la génitrice (mère) que l’on fait danser le plus. C’est la victime toute désignée. Pourquoi ?
F.M. Rodegem tente une explication dans son article ; « Les injures agonistiques des gardiens de bétail au Burundi ». Pour lui, la personne qui injurie exhale inconsciemment sa haine de la mère interdite. Il projette ses fantasmes sur son interlocuteur, et lui souhaite d’accomplir sur sa mère à lui les actes que lui-même a rêvé autrefois pour son propre compte. Quant au personnage du père, moins cité dans les injures, dit Rodegem, il est dévirilisé, émasculé. « Il est assimilé à un chien, symbole du lâche, du pleutre, de l’individu méprisé, à qui l’on jette des pierres ». Et ajoute, en soutenant, que le sommet de l’odieux est atteint, lorsqu’on parvient à détruire autrui dans un raffinement de souffrances à la fois physiques et morales.

Pourquoi l’injure fait autant mal alors qu’elle n’a aucune emprise sur le réel. La réponse est peut-être à chercher dans la nature de l’image négative que l’injure charrie. La réalité de l’image importe peu. Sa seule révélation suffit pour faire effet. Elle sème le doute dans la tête de celui qui, injurié, par exemple, de « bâtard », ne se posait, jusque-là, aucune question sur sa filiation. L’injurié est atteint dans son moi et habité par cette angoisse de perdre sa puissance.

En effet, si l’injure est une énonciation performative, elle dépend, dans ce cas, du lieu, des circonstances et de la qualité du locuteur.

Une injure sortie de la bouche d’un ami, parent ou copain, n’aura pas la même tonalité que celle qui vient d’un inconnu ou d’une personne plus ou moins éloignée. Les rapports amicaux ou les liens de parenté vont atténuer l’effet de l’injure qui devient une simple parodie. Dans le second cas, l’injure fera mal, même si l’on s’entoure de quelques convenances.

Dans nos sociétés, le cousinage à plaisanterie permet certains discours malsonnants. L’hostilité, dans ce cas, n’est que fictive, parce que relevant du jeu. C’est la société elle-même qui organise ces espaces où certaines folies sont tolérées. Ces personnes qui appartiennent à ces groupes ont carte blanche pour clamer, sans autre forme de procès, ce discours obscène.

D’où cette fonction sociale – aussi curieux que cela peut paraître – de l’injure. Elle devient alors le lieu de défoulement contestataire de ceux qui veulent régler les comptes avec une société très conformiste. Ils expriment, sans retenue, leurs pulsions anti-sociales.

Désoeuvrées, brimées…C’est comme si ces personnes reprenaient leur revanche sur une société qui semble leur avoir tout refusé. Leur conduite irrespectueuse constitue un rejet inavoué de l’autorité. En se mettant ainsi en marge de la société, ces individus cherchent à s’émanciper du comportement imposé.

Exergue

1- F.M. Rodegem, « Les injures agonistiques des gardiens de bétail au Burundi »

2- John Langshaw Austin, « Quand dire, c’est faire », Seuil Paris, 1991
sudonline.sn

1 COMMENTAIRE

  1. Analyse pertinente.
    N’avons nous entendu les hommes politiques utiliser cette voie pour soir disant réduire au silence leurs adversaires politiques? C’est une pratique courante qui nhonore pas un citoyen aspirant à conduire le pays. Nous condamnons de tels agissements.
    ANSOU BOROKO MANE

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