Quel est alors l’avenir de la coalition Benno Siggil Senegaal ? Quid de la candidature unique de l’opposition ? Dans le premier jet de l’entretien avec la Rédaction de La Gazette, il revient sur les questions cruciales de l’heure qui agitent le landerneau politique sénégalais et surtout l’avenir de BSS. Chargé du projet des Etats Unis d’Afrique, après avoir été directeur de cabinet d’Alpha Omar Konaré, alors président de la Commission de l’Union africaine, Mamadou Lamine Diallo est convaincu que pour sortir de l’auberge, le Sénégal a besoin, d’un président de la République technocrate et d’une probité morale incontestable et non d’un présidentialisme obscur. Docteur en Economie et ingénieur sorti de l’Ecole polytechnique de Paris et de l’Ecole des mines de Paris, Mamadou Lamine Diallo est un homme ponctuel. A 15 heures tapantes, il débarque dans la rédaction alors que le rendez-vous est fixé à 15h30. Cette attitude, qui contraste avec le comportement de certains de nos dirigeants, est un exemple à suivre. Sur ce point, il a fini de faire l’unanimité autour de sa personne. Il sait que le temps reste un facteur primordial.
Contrairement à nos dirigeants qui ne respectent pas l’heure du rendez-vous, tout le monde reste unanime sur un point : vous êtes ponctuel. Quel rapport avez-vous avec le temps ?
Le temps est très important. J’ai tendance à dire que le temps ne nous appartient pas. D’autant que personne ne sait quand il vient sur terre, encore moins quand il la quitte. Ce qui nous est imparti comme temps est extrêmement limité ou inconnu. Durant ce temps-là, il faut savoir faire beaucoup de choses. C’est pourquoi il me paraît important de prendre le temps en considération. Jacques Attali disait que « avoir du pouvoir c’est disposer du temps des autres ». C’est vrai et je le vois dans le management en Afrique où l’on a tendance à considérer qu’on dispose du temps des autres. On a rendez-vous avec quelqu’un comme un directeur général ou national, il vous dira de venir le matin. A quelle heure ? Il vous répondra vers dix heures. Tu arrives dix heures ou dix heures moins le quart, il vous reçoit vers midi parce qu’il a donné à plein de gens rendez-vous à la même heure. Dans ces conditions, tu ne peux pas mesurer la productivité du travail. La productivité, c’est ce que tu produis dans en temps bien déterminé. Par conséquent, la mesure du temps est très importante. Dans la rationalité économique qui domine le monde et qui fonde le capitalisme, le temps est extrêmement important. Il est donc dommage chez nous que ce temps soit considéré comme un jouet notamment par ceux qui aspirent à nous diriger et à prendre des décisions importantes.
Il y a actuellement une ambiance délétère dans Benno Siggil Senegaal. Pensez-vous pouvoir maintenir la coalition d’ici la Présidentielle de 2012 ?
Les Assises nationales ont eu quelque chose d’important, c’est d’encourager le dialogue entre les différentes forces politiques, de la société civiles et citoyennes et de créer donc un climat de confiance. C’est la raison pour laquelle le report des élections municipales en 2009 au lieu de 2008, a contribué au rapprochement de ces forces. Et après analyse, j’ai dit qu’il y avait des risques importants que la coalition Sopi gagne la mairie de Dakar et que le président de la République mette en œuvre son projet de dévolution monarchique du pouvoir. Nous autres qui étions regroupés autour de Icr Benno Wallu Askanwi, il ne nous a pas été difficile d’aller rencontrer les partis du Front Siggil Sénégal pour créer ensemble Benno Siggil Senegaal (Bss). C’était un mouvement tactique électoral mais par la suite les populations ont vu en Benno un instrument politique pour leur libération sociale. L’ambiance n’est pas délétère au sein de Benno Siggil Sénégal, je pense qu’il nous faut bien poser les questions auxquelles nous sommes confrontées. Nous faisons également face à des offensives du régime pour détruire Bss. C’est de bonne guerre. Le régime libéral nous presse de sortir notre candidat alors qu’il n’en a pas. Abdoulaye Wade ne peut pas être candidat à la Présidentielle de 2012 sauf s’il fait un coup de force. La première question à laquelle il nous faut répondre et qui me parait fondamentale, c’est de savoir la place du président de la République dans le nouveau mode de gouvernance souhaité du Sénégal ? En ce qui nous concerne, nous estimons que le président de la République, délesté de la possibilité de définir la politique de la Nation, doit avoir un rôle à jouer dans l’équilibre des institutions, dans l’indépendance de la Justice, dans l’intégrité territoriale, dans l’intégration africaine, et dans certains nombres de grands dossiers impliquant les voisins. C’est cela notre point de vue et il faut avoir un accord politique sur cette question. Parce qu’il faut, selon nous, rompre avec les présidents-rois qui décident de tout et qui ne sont pas finalement comptables devant quoi que ce soit sous prétexte qu’il a été élu au suffrage universel. Ceux là détiennent les ressources publiques, foncières, minières. On a la preuve avec le régime Sopi et la façon dont Abdoulaye Wade exerce le pouvoir, il fait ce qu’il veut quand il veut.
Mais il appartient quand même au Parlement de contrôler la gestion des ressources dont vous parlez ?
Mais les parlementaires disent qu’ils sont des députés d’Abdoulaye Wade. Vous avez vu le fonctionnement des institutions, c’est pourquoi je pense que le degré de conscience citoyenne est fondamental parce qu’il faut qu’il y ait des hommes et des femmes qui ne soient pas redevables à un individu.
Nous pensons aussi que le président de la République ne doit plus être chef de parti politique. Il faut rééquilibrer le pouvoir au sein de l’Exécutif entre le président de la République et le Premier ministre et entre ce dernier et l’Assemblée nationale. Je pense que sur un certain nombre de nominations, l’Assemblée nationale doit avoir son mot à dire, par exemple lorsqu’on nomme le directeur général des finances, le directeur général du Trésor, le Dg de la Senelec ou du Port de Dakar. Parce que c’est trop important pour l’avenir de la nation pour qu’un seul individu inspiré par je ne sais quoi signe un décret en nommant n’importe qui en raison de sa capacité de mobiliser 1000 femmes ou 1000 hommes. Il faut qu’on en finisse avec cela parce que les enjeux sont trop sérieux pour réduire la gouvernance au clientélisme universel.
En théorie, la plupart de ces questions ont été réglées par les Assises nationales. On ne voit pas pourquoi au sein de l’opposition, la Présidentielle cristallise autant de passions ?
C’est vrai que les Assises nationales en ont discuté et il y a eu un consensus, mais il nous faut vérifier que nous avons la même compréhension de ce que nous avons signé. Parce le présidentialisme a marqué les gens dans ce pays. S’agissant de la transition, il faut avoir un consensus là-dessus et à partir de ce moment, il nous faut avoir une équipe capable de conduire cette mission. Mais pour cela il faut aller au-delà de Benno Siggil Senegaal. Ceux qui se sont engagés dans les Assises nationales et qui ont signé la Charte de gouvernance démocratique doivent aussi faire partie de cette équipe là. Toutefois la définition de ses missions n’est pas simple et peut créer des tensions à gauche et à droite. Mais en attendant, Benno Siggil Senegaal se porte bien mieux que la coalition Sopi quand même.
Etes-vous pour une candidature plurielle ou unique à la Présidentielle de 2012 ?
A mon avis, c’est une question de tactique électorale. Si on est d’accord qu’il faut changer le mode de gouvernance de ce pays là, si on est d’accord pour définir les missions et avoir une équipe pour les réaliser, le point de vue du mouvement Tekki est qu’on n’a pas besoin de plusieurs candidats. D’autant plus qu’on a en face de nous Abdoulaye Wade qui veut commettre un coup de force électoral. Lui-même avait reconnu qu’il ne peut pas être candidat, ensuite il décide d’être candidat, nomme un ministre de l’Intérieur partisan pour organiser les élections, Ousmane Ngom, porte Cheikh Tidiane Diakhaté, à la tête du Conseil constitutionnel. Ensuite il annonce en conseil des ministres que Souleymane Ndéné Ndiaye est son directeur de campagne pour la Présidentielle de 2012, tout cela montre qu’il pose les jalons d’un coup de force. Si nous sommes dans ce cas de figure, à mon avis, discuter de candidature plurielle ou unique relève d’une naïveté politique.
Mais est-ce que vous avez discuté de cette position au sein de Benno ?
Si je dis cela c’est parce que nous ne sommes pas dans les conditions normales d’organisation d’élections transparentes. Nous sommes face à un Wade qui veut violer la Constitution de manière ouverte. On n’a pas besoin d’être un constitutionnaliste pour savoir qu’Abdoulaye Wade ne peut pas être candidat en 2012 car il a fait deux mandats. Il a fait douze ans au pouvoir et dit que cela ne suffit pas. Alors que même le prophète Mouhamed (PSL) a fait dix ans en tant que chef d’Etat à Médine. Le prophète a eu 10 ans, lui en a eu 12 et dit que ça ne suffit pas. Par ailleurs, je pense aussi que les candidats à la Présidentielle de 2012 sont tenus de respecter la Constitution. En son article 28, il est dit que celui qui veut être candidat à la présidence de la République doit avoir exclusivement la nationalité sénégalaise. Or, on sait très bien qu’il y a des personnes qui ont des responsabilités alors qu’ils ont deux nationalités. C’est pourquoi je pense que le Conseil constitutionnel doit vérifier sérieusement si ceux qui prétendent diriger le Sénégal sont exclusivement de nationalité sénégalaise. Car face aux enjeux futurs qui attendent notre pays et l’Afrique, on ne peut pas s’amuser à avoir des dirigeants qui ne croient pas au pays, qui n’aiment pas le pays.
Quand on est face à un régime comme celui d’Abdoulaye Wade, Benno Siggil Senegaal considéré par les populations comme l’instrument de leur libération, doit être un fonds républicain face au camp Sopi. C’est cela que demande le cours politique actuel. Pour obliger Abdoulaye Wade à renoncer à être candidat en 2012, pour l’obliger à nommer un ministre de l’Intérieur non partisan, comme l’avait fait en son temps Abdou Diouf, un président du Conseil constitutionnel consensuel, voilà les batailles de l’heure. En plus il y a des exigences de transparence et sociales parce que le régime actuel veut fragiliser le monde travail, détruire la Sonatel qui est la seule boite qui marche véritablement au Sénégal. Mais si Abdoulaye Wade réussit son coup de force, proposer une candidature unique ou plurielle ne servirait à rien et le Sénégal va s’enfoncer dans l’abîme car il ne pourra pas tenir avec ce mode gouvernance dans un pays 17 millions d’habitants. Ce sera inévitablement la déchirure sociale.
Quelle est alors la position de Tekki, êtes-vous pour une candidature unique ou plurielle ?
Mais je suis pour une candidature unique, de mission mais je ne suis pas dans la façon dont on pose la question aujourd’hui à Benno : déterminez-vous, êtes-vous pour la candidature unique ou plurielle ? Si à Benno on formule la question de cette manière, cela peut causer des tensions. Et ce n’est pas une vraie question pour nous. Pour nous la vraie la question est celle qu’Abdoulaye Wade nous pose.
Mais le temps presse selon Abdoulaye Bathily de la Ld
Le temps presse effectivement pour obliger Abdoulaye Wade à organiser une élection transparente dans laquelle il ne peut pas être candidat.
Supposons que cette question soit réglée, parviendrez-vous à Benno à trancher la question de la candidature parce qu’il y a une bataille de leadership assez féroce à l’intérieur de votre coalition ?
C’est normal que les uns et les autres veuillent être influents au sein de Benno. Puisqu’elle regroupe des forces politiques d’horizons divers. Il y en a qui se réclament du libéralisme, d’autres du socialisme libéral, ou du socialisme africain, d’idéologies proches du communisme, d’autres n’ont pas forcément clarifié la doctrine dont ils se réclament mais le ciment ce sont les Assises nationales. Si nous perdons cette boussole nous ne pourrons pas aller de l’avant. Et c’est cela qui permet d’avoir ce minimum de confiance entre ces forces politiques d’horizons divers. Mais je pense que les différentes prises de position des uns et des autres nous amènent à nous poser les vraies questions. La vraie question aujourd’hui, c’est d’avoir des élections régulières et transparentes auxquelles Abdoulaye Wade ne participerait pas. Si nous mettons ensemble toutes nos forces, je vous assure que nous pouvons contraindre Wade à renoncer à son projet de se présenter. Il faut aussi s’assurer que tous les candidats soient exclusivement de nationalité sénégalaise.
A mon avis je pense que c’est ce travail qui doit mobiliser actuellement Benno Siggil Senegaal. Et parallèlement il faut arriver à s’accorder sur le contenu précis du rôle du futur chef de l’Etat dans la nouvelle gouvernance que nous souhaitons et quelles sont les missions de la transition politique. Il faut discuter de cela sérieusement car c’est cela qui porte l’espoir des populations. Il ne suffit pas de prendre le pouvoir pour le prendre, il faut résoudre les problèmes des populations. On ne doit pas prendre la responsabilité de faire miroiter aux Sénégalais des promesses qu’on ne tiendra pas car personne n’aura plus d’espoir en quoi que ce soit. C’est pourquoi il est indispensable de préciser les missions de la future équipe de transition et sa composition. A partir de ce moment, le chef de la mission peut être désigné dans la mesure où c’est quelqu’un qui ne se considère pas comme un roi ou la projection orthogonale de Dieu sur terre. Mais quelqu’un qui pense que le pouvoir doit être partagé avec ses concitoyens.
Est-ce que vous vous êtes fixé une échéance pour décider du choix de Benno ?
Ce que Benno avait décidé, c’est de faire une série de séminaires pour discuter des stratégies électorales et de la question de la candidature. Ces questions seront au menu du séminaire du 21 novembre 2010. Il faut aller à ce troisième séminaire. Si j’y vais, mon point de vue c’est de dire que nous pourrons discuter de la candidature de Benno mais celle-ci n’a de sens véritable que si nous sommes dans des conditions normales d’organisation des élections. Car si nous y allons dans des conditions anormales, Abdoulaye Wade va réussir son coup de force et se proclamer président de la République.
Est-ce que votre combat n’est pas perdu d’avance si on sait que Wade ira aux élections car il a déjà nommé un directeur de campagne, un ministre de l’intérieur et semble avoir pris une longueur d’avance sur Benno et vraisemblablement ne reviendra pas en arrière ?
Je ne crois pas qu’on ait perdu le combat. Abdoulaye Wade est déjà revenu en arrière dans l’affaire Global Voice. Je ne le pense pas, vu la division de son camp, le vrai tassaaro (éclatement) est là bas et il va s’accentuer inévitablement. Car il y a des patriotes dans le camp qui ne supportent pas le coup de force constitutionnel. C’est pourquoi je ne pense pas que ce combat soit perdu d’avance. Benno a la chance de gagner ce combat. La preuve : sur la question du fichier, nous avons fait accepter à Abdoulaye Wade un audit international du fichier électoral avec l’Union européenne et l’Usaid. Il faut mener le combat non pas pour des visées électoralistes mais pour l’avenir du Sénégal. Pour pousser les Sénégalais à avoir confiance en leurs institutions et en eux-mêmes.
Pour 2012 Benno n’a pas pour seul adversaire la coalition Sopi, il y a également les mouvements citoyens qui émergent, est ce que vous vous préparez aussi à cette offensive ?
A mon avis cela ne pose pas problème. Quelqu’un comme Lamine Diack a signé la charte de la gouvernance démocratique, donc je considère que c’est quelqu’un avec qui on doit discuter. Egalement si on définit le rôle du président de la République, ceux qui veulent devenir des présidents rois comme Abdoulaye Wade n’ont pas leur place au sein des Assises nationales encore moins au sein de Benno Siggil Sénégaal. Et je pense que les Sénégalais en ont conscience. C’est pourquoi il y a cette demande de transparence, le développement de mouvements citoyens.
Ma conviction est que ces mouvements citoyens ne sont pas contre l’opposition. S’il y a quelqu’un qui peut être Premier ministre ou président de la République pour conduire le Sénégal sur les rangs à l’émergence citoyenne, tant mieux. Et dans la doctrine de Tekki, nous avons clairement dit que le pouvoir se partage. Comme l’avoir comme le savoir. Si des forces politiques importantes qui ont exercé le pouvoir dans ce pays ont accepté de signer la Charte de gouvernance démocratique pour dire que le mode de gestion qu’on a conduit pendant quarante ans est à changer, rééquilibrer le pouvoir au sein de l’Exécutif et entre l’Exécutif et le Législatif, qu’il faut une justice indépendante, une neutralité de l’administration, j’estime que c’est un grand pas en avant. Les mouvements citoyens commencent à réaliser l’importance de la réalité du pouvoir, l’importance du partage du pouvoir pour résoudre les problèmes des Sénégalais dans un monde devenu plus complexe. Donc, leur arrivée n’est pas gênante dans la mesure où nous cherchons à construire une équipe capable de résoudre les problèmes des Sénégalais.
(A suivre)
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