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De l’esprit du Mawlid : Quand Tivaouane perpétue l’œuvre du Messager Universel (Par Dr. Bakary Sambe)

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En ces moments traversés par d’innombrables questions existentielles et où, plus que jamais, se pose le problème de la destinée humaine, au regard des crises morales et socio-politiques, il est important de revenir sur l’expérience du Prophète de l’Islam à l’occasion d’un évènement phare institutionnalisé par Seydi el Hadji MalickSy.

 

Certes, « désenchantement du monde » au sens weberien et le sécularisme triomphaliste semblaient induire l’obsolescence du religieux au profit d’une victoire sans appel du rationalisme. Mais ce serait sans compter avec l’éternelle quête de sens qui n’a jamais cessé de hanter l’humain. Malgré la désaffection à l’égard des religions traditionnelles et/ou classiques, les formes de religiosités qui meublent notre espace – se disant modernes – subsistent, surgissent et ressurgissent ça-et-là avec une ampleur plus ou moins perceptible.

La manifestation la plus nette du phénomène de l’attachement humain aux « moyens de productions » du sens est l’impossibilité conceptuelle et matérielle de distinguer, aujourd’hui, à la manière de Durkheim les domaines du « profane » et du « religieux » dans l’activité sociale. On peut croire que ce besoin de sens est inhérent à la nature humaine et gît en son sein même.

Les religions, en général, et l’islam en particulier, avec la montée en puissance des extrémismes, sont au ban de la « société pensante » et des médias d’aujourd’hui. L’islam dont l’approche ne bénéficie pas de la même disposition d’esprit que celle adoptée pour l’étude des autres monothéismes se trouve indexé comme la parfaite illustration du péril religieux menaçant les libertés, la démocratie et aux antipodes de l’esprit de progrès.

En cette période de Gamou dont Cheikh El Hadji Malick Sy a fait un le lieu de réappropriation du legs spirituel et humaniste du Prophète de l’Islam, un retour sur son parcours permettrait de voir, sous plusieurs aspects, comment cette religion qui naquit au 7ème siècle a toujours été source de dynamisme et facteur de changement façonnant aujourd’hui la vie de plus d’un milliard d’individus sur cinq continents. Evoquant la personnalité de Muhammad (PSL), on se rend compte de l’extraordinaire manière dont la religion qu’il a professée a su épouser les contours de diverses cultures, unir dans leur diversité des peuples aux traditions différentes et rapprocher des contrées aussi éloignées. Image loin de celle que veulent préconiser les extrémistes de tous bords.

Quelles que soient les opinions contradictoires émises par les uns et les autres sur ses formes, l’expansion de l’islam a toujours intrigué les analystes les plus rompus aux processus historiques. L’échelle de temps, l’étendue du champ et les adaptations sociologiques de cette expansion qui n’a pas nui à l’harmonie sociale des sociétés ayant embrassé l’islam sont tant d’éléments qui méritent réflexion.

« Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens et l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie humain, qui oserait comparer un homme de l’histoire moderne à Mahomet ? », se demandait Alphonse de Lamartine en 1854. Ces questionnements s’inscrivent dans cette absence d’explication exhaustive du phénomène Muhammad (PSL). Loin de nous, la prétention d’essayer de fournir toutes les clefs permettant d’établir une grille performante de lecture de l’histoire de cet homme hors du commun pour les Musulmans.

S’adossant à l’ouvrage en or de Cheikh El Hadji MalickSy qui a décanté les énigmes sur le parcours de l’homme sublime que nous célébrons chaque année à Tivaouane. Rien qu’en se limitant sur l’évocation des étapes de sa vie en nous arrêtant surtout sur les conséquences de cette prédication et de ce message sur le cours de l’Histoire. Malgré les désaccords et les divergences de vues, on peut convenir que la naissance du Sceau des prophètes ce 22 juin 570 (ou 571 d’après d’autres sources) à la Mecque marquera les esprits et le destin du monde pour toujours.

 

Selon les termes de Mujtaba-Musawi Lari, « un autre soleil se leva dans le ciel obscurci dont la lumière éclaira soudain l’horizon sombre de la vie ». Le mérite d’un tel être fut, selon ses adeptes, de devenir l’homme le plus sublime au monde après avoir été élevé dans une société corrompue et injuste.

Les moyens pour arriver à son but ne pouvaient être que très modestes à l’égard de sa condition sociale d’orphelin à l’enfance secouée de péripéties douloureuses. N’ayant jamais vu son père disparu peu avant sa naissance, séparé, très tôt de sa mère par la mort, puis privé de l’assistance de son grand-père Abdelmutallib, ce notable de Quraysh, qui lui fit défaut dès qu’il eût huit ans, Muhammad (PSL) sera sans défense dans la société qu’il voulut transformer et où il ne pouvait plus compter sur l’appui de son oncle, Abû Talib qui quitta ce monde alors que le futur prophète n’avait pas encore commencé sa prédication. Cheikh El Hadji Malick situe cette étape à l’âge de huit ans (âma thamânî). Dans son Khilâs al-Dhahab fî Sîrat Khayr al-‘arab, Seydi El Hadji Malick Sy de Tivaoaune qui a fait de la célébration du Mawlid cet événement d’une grande ampleur, décrit bien cette jeunesse de Muhammad (PSL) et ses multiples péripéties : l’orphelin qui voulait devenir le père de l’humanité, le refuge des opprimés dans une société inégalitaire et le compatissant des misérables, puisera étonnamment dans l’accoutumance à la souffrance, des dénuements et des malheurs, la force indispensable pour accomplir sa mission.

La tradition universitaire des années 70 fortement inspirée par une analyse marxisante dans sa démarche, a longuement insisté sur la dialectique caractérisant les premières années de la prédication muhammadienne. Il est vrai que certains aspects de sa vie et de sa prédication ont bien l’air sinon d’une « révolution », du moins d’une profonde mutation sociétale.
Les premiers adeptes de l’islam naissant viennent de différents horizons mais partagent tous la même condition sociale de dominés dans un contexte hautement hiérarchisé où l’inégalité est érigée en règle.
Bilâl, l’esclave affranchi selon la tradition musulmane, dit ‘al-habashî (l’Abyssin), venant de l’autre côté de la Mer Rouge, de l’Abyssinie (Ethiopie), Souhayb est al-Rûmî, provenant certainement des régions sous la domination de Byzance, Salmân est al-Fârisî, (le Persan) allusion au domaine de l’empire Perse. Les premiers signaux d’une universalité qui imprimera ses marques à une religion de l’ouverture, malgré les thèses identitaires qui polluent cet esprit premier.

Mais la révolution était aussi économique pour cette religion qui institue le partage des richesses en véritable pilier au point que le poète Ahmed Shawqi voulut en faire romantiquement « l’Imam des Socialistes » (Al-Ishtirâkiyyûn anta imâmuhum). L’émergence de l’islam a coïncidé avec une période où l’Arabie vivait un tournant. La sédentarisation progressive, la reconversion de sociétés bédouines, nomades, au commerce et à la finance, faisaient que certaines vertus cardinales de l’homme arabe avaient du mal à perdurer devant l’appât du gain et l’accumulation. Un tel système est de nature à creuser les inégalités et à modifier les hiérarchies. La notion même et les critères du prestige social s’en trouvent bouleversés.

 

Ceux qui sont à la marge du système sont plus que jamais attentifs et réceptif à l’égard de ce Prophète qui leur proposait la justice, l’égalité, le respect de l’orphelin, la charité à l’égard de l’étranger.

Cette révolution n’en était pas moins socio-politique. Malmenés pour avoir porté atteinte au système établi et défié la puissance de la hiérarchie mecquoise, les membres de la première communauté de l’islam connaîtront très tôt l’exil. Le Négus, souverain de l’Abyssinie, les accueillera avec hospitalité et charité, les protégera dans la pure tradition chrétienne. Quelle heureuse rencontre, quel symbole de tolérance et d’acceptation mutuelle !

Mais c’est l’éveil des consciences qui éternisa ce message dans les mémoires. Dans son Regard sur l’histoire du monde, Nehru exprimait cette interrogation en ces termes : « Chose surprenante, la race arabe qui semblait durant des siècles demeurée dans une contrée sans renom, endormie, ayant perdu totalement sa vivacité, isolée du monde, ignorait apparemment tout ce qui s’y passait, se réveilla soudain, bouleversant avec une force vigoureuse le monde ! ». il conçoit comme « un des merveilles du monde dans l’histoire humaine »,

Comme le rappelle Nehru, « la pensée motrice qui éveilla le monde arabe et le combla de la confiance en soi et de la force créatrice ne fut que l’islam prophétisé par Muhammad ». Cheikh Ahmed Tidiane Sy, le disait lors d’une visite à la Mecque « Si ce n’était pas le Prophète, messager de l’islam, qui connaîtrait cette civilisation se distinguant par l’hospitalité envers l’étranger » (lawla-n-nabiyyu rasûlullâh imâ ‘urifat/hadâratunsha’nuhâ-t-takrîmu li-l-ghurabâ).

La diversité fut sa force, la justice sociale son leitmotiv. Autour d’un prophète, d’un message et d’une foi, elle a donné au monde l’une de ses plus brillantes civilisations. Dan sa pédagogie du Gamou, Maodo a institué la récitatio de la Burdah d’Al-Bûsayrî (XIIIème s.) qui se contentera de conclure qu’il est certes homme mais le meilleur des créatures : fa mablaghul ‘ilmiannahûbasharun/ wa annahû khayru khalqi lâhi kullihimi.

Mais Cheikh El HdajiMalickinsitera dans une Qâcida sur les mêmes rimes (qâfiya) et mètre (basît), en affirmant que pour tout qualificatif afférant à la noblesse de l’âme, Muhammad (PSL) mérite le superlatif absolu ! : Min kulli wasfin hamîdin hâza af‘ala tafdîlin rajâ’ul barâyâ yawma muzdahamî

Le sens du Gamou est surtout que ce message soit revivifié dans toutes ses dimensions, une fois libérés des préjugés dans lesquels aussi bien les extrêmes qui le dénaturent et en usent, que les tenants de l’essentialisme, portent la même responsabilité. Mais quelles que soient les tensions, malgré les déchirures et la percée du virus de l’animosité dans le monde d’aujourd’hui, on ne pourra jamais nier que cette religion appelle au dialogue au respect et à la coexistence pacifique.

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