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Merci Président ! CHRONIQUE DE WATHIE

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Jamais écrire ne m’a paru aussi difficile. Quatre jours sans que je puisse terminer un paragraphe. A chaque fois que je me retrouvais seul chez moi, décidé à écrire ce texte, c’est sous le drap que je finissais. Les larmes, ruisselant tout le long de mon corps, le rendaient aussi amorphe qu’un matelas. Les doigts, engourdis au contact du clavier, abdiquaient face à des touches qu’ils malmenaient quotidiennement. Mes lèvres refusant de laisser sortir ce que ma langue essaie d’articuler, je me suis, jusque-là, acharné à éviter caméras et dictaphones, pour ne pas avoir à commencer un hommage que je ne terminerais pas. Jamais parler de toi ne m’a paru si pénible. Ma peine est grande. Ma perte incommensurable. Tu m’as pris au dépourvu Président. Tu as coupé ma voix et érodé mon inspiration. Mais, rien, même l’Aurore qui se confond au Crépuscule, ne peut m’empêcher de répéter partout les derniers mots que tu as entendus de moi, dimanche passé, moins de 48 heures avant ta disparition : «MERCI PRESIDENT».

Avant de leur dire pourquoi je te remerciais, laisse-moi, Président, les informer que tu n’as rien laissé au hasard. Toi qui aimais que tout soit bien ordonné, tu as tout bien arrangé. Les symboles et les signes, auxquels tu attachais une grande importance, en témoignent. En effet, toi, qui es né le huitième mois (aout), toi, qui as perdu ton père à 8 ans, tu es parti à 68 ans, en 2018 à 8 heures et quelques emplissant Dakar de papillons blancs annonçant ta montée céleste. Le journal que tu as créé de tes propres mains en était à son 8008eme numéro. Les ouvrages que tu as fini d’écrire sont au nombre de huit. Tu es parti un quatre, il a fallu quatre jours pour qu’ils daignent se séparer de ta dépouille. Comme tu me l’aurais certainement demandé, j’ai fait un recoupement avec le Livre Saint et ce que le Verset 8 de la Sourate 8 dit est éloquent : « afin qu’Il fasse triompher la vérité et anéantir le faux, en dépit de la répulsion qu’en avaient les criminels ». Tu es certes parti aussi inopinément que prématurément mais après que le Tout-Puissant t’a balisé le chemin menant aux Huit portes du Paradis. Tu auras à choisir. Car, là-bas est ta véritable demeure.
Ce n’est pas de toi dont il faut se préoccuper. Ta vie sur terre a été plus que bien remplie, ta place auprès des Saints assurée. C’est nous que tu laisses seuls qui nous retrouvons dans l’embarras. Tu n’étais même pas inhumé que ma plume se ramollit. Comment arpenter, sans toi, ce si long désert ? Tu es le A sans lequel WALFADJRI est imprononçable. Plus que celui ouvrant l’Alphabet, ou l’Aurore annonçant ce que sera la journée, tu es le A de l’Ame sans laquelle il ne peut y avoir d’Animation.
Ma peine est grande. Ma perte incommensurable. Ma relation avec Sidy Lamine NIASS va au-delà de mon livre qu’il a préfacé. Ma défense qu’il a prise lors de mon arrestation, menaçant de marcher sur le palais de la République si je n’étais pas libéré, n’est que la partie visible de ce qui me lie à cet homme qui était à la fois père, ami, maître, patron,…
Avant de fréquenter Sidy Lamine NIASS, du point de vue de la religion, j’étais plus proche de mes ancêtres qui accompagnaient Bour Sine que de mon père qui ne manquait jamais une prière. Au contact de Sidy Lamine NIASS, je n’osais plus me coucher sans avoir accompli les cinq prières quotidiennes. Et jamais, il ne me l’a demandé. Sans que je comprenne pourquoi, il avait une confiance totale en moi. Il tenait toujours à ce que ce soit moi qui traduis tous ses textes en français. « Toi, tu me comprends », se limitait-il à m’expliquer. Il arrivait, durant des mois, que je passe plus de temps dans son bureau que dans le mien. Et quand je m’y trouvais, aussi invraisemblable que cela puisse paraître à ceux qui ne le connaissent pas, c’est Sidy Lamine qui préparait le café et m’en servait à chaque fois qu’il sentait que j’en avais besoin. Les samedis, quand il nous fallait enchaîner toute la journée, il venait avec un repas. Et tu auras beau insister, mais c’est lui qui va débarrasser la table et nettoyer les plats. Travailleur infatigable, intellectuel insatiable, Sidy Lamine NIASS, qui accordait à la production intellectuelle une importance hors du commun, aimait partager son savoir, échanger, débattre. Chaque vendredi, il faisait une chronique religieuse sur la vie et l’œuvre des Prophètes que nous travaillions lui et moi dans son bureau. Quand il a fallu aller à la Mecque pour les besoins du pèlerinage, Sidy Lamine me demanda de me référer à des enregistrements qu’il m’avait remis pour continuer les chroniques qu’il ne voulait voir s’arrêter. Seulement, je ne pouvais pas me permettre de publier un texte signé Sidy Lamine NIASS qu’il n’avait pas lu. Le vendredi suivant, c’est très tôt qu’il m’appelle au téléphone. « Birame (c’est comme cela qu’il m’appelait), je n’ai pas vu la chronique », me dit-il après les salamalecs. « Oui, j’ai tenté de te joindre. Je te l’ai envoyée par mail et j’attendais ton feu-vert pour la publier», répondis-je. « N’est-ce pas toi qui l’as fait ? », reprend-il. « Oui, du début à la fin ». « Alors tu n’as pas besoin de mon feu-vert, publie ça. Et pour les suivantes ne me les envoie pas, publie les directement ». Ainsi, je prenais ses enregistrements que je transcrivais en français sous forme de texte que je signais ensuite par Sidy Lamine NIASS tout en étant conscient qu’un seul mot équivoque pouvait secouer tout le Sénégal. Il en était de même à chaque fois qu’il entamer l’écriture d’un ouvrage. Dès qu’il finissait un texte en arabe il faisait appel à moi. C’est en traduisant ces écrits que j’ai immergé dans la religion musulmane. A force d’écrire les histoires des Prophètes, je me suis entiché et attaché du dernier d’entre eux (PSL), dont je connais maintenant presque toute l’histoire. Grâce à Sidy Lamine. Source de savoir intarissable qu’il est, je ne saurais quantifier ou qualifier tout ce que j’ai appris à ses côtés, notamment sur la société sénégalaise qu’il connait comme la paume d’une de ses mains. Notre proximité et notre complicité étaient connues de tous les travailleurs de Walfadjri. Je ne compte pas le nombre de collègues qui m’ont dit « sa wadji démna ni rek» (ton ami est parti comme ça).
C’est cette proximité avec lui qui m’a permis de savoir qu’être grand, n’a jamais empêché à Sidy Lamine NIASS de reconnaitre la grandeur d’un autre homme et de lui accorder le respect la considération qui sied à son rang. Quand, au courant du mois de février dernier, des individus se sont amusés à sortir une vidéo dans laquelle ils attaquent et insultent Cheikh Ahmadou Bamba, c’est lui qui a été le premier à s’en offusquer publiquement. Je me rappelle du jour où vers 22 heures il m’a appelé pour demander si j’avais vu ou entendu parler de ladite vidéo. Je répondis par la négative et il me dit qu’il venait à Walfadjri. Le temps que j’aille chercher un café en face des locaux du groupe, Sidy Lamine était déjà là, haletant. « On ne peut pas laisser passer de tels propos. Personne n’a le droit de parler de Serigne Touba comme ça. Je vais faire une déclaration», expliquait-il, reprenant à peine le souffle qu’il avait perdu en montant les escaliers. Des exemples comme cela sont tellement nombreux.
C’est aussi cette proximité avec lui qui me permet d’attester que, contrairement à ce que beaucoup pensent ou affirment, Sidy Lamine est loin de dicter aux journalistes ce qu’il faut écrire ou dire. Il s’est toujours attaché à mettre ses employés à l’aise. Il découvrait le contenu du journal WalfQuotidien en même temps que les autres lecteurs. Au mois d’avril dernier, je l’ai appelé pour lui dire que je voulais faire un « poisson d’avril » concernant sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Après avoir obtenu son onction qu’il avait donnée avec beaucoup de réserves, je publiais le texte qui a été par la suite amplement relayé. Agents de renseignements généraux, proches et sympathisants, tout le monde voulait savoir si réellement Sidy Lamine allait se présenter. Je sentis que la pression commençait à s’accentuer sur lui, je lui ai alors proposé de faire un autre texte de précision. « Ce n’est pas la peine. Tu ne peux pas te démentir comme cela. Ils sauront d’eux-mêmes, s’ils n’étaient pas encore au courant, que le pouvoir ne m’intéresse pas », m’avait-il répondu.
Inutile de revenir sur la piété de l’homme. D’autres bien plus placés que moi en parleront à suffisance. Ils sont tous témoins qu’il jeûnait deux jours sur sept toutes les semaines du mois et de l’année, qu’il a fait 38 fois le pèlerinage à la Mecque où il célébrait, tous les deux ans, le Mawlid. Mais je ne pourrais ne pas revenir sur notre dernière conversation. Ceux qui ont l’habitude de lire ma chronique ont constaté dimanche dernier un retard inhabituel. A 17 heures passées de quelques minutes, Sidy Lamine m’a appelé. Et pendant près d’une heure et demie, nous avons discuté de l’actualité politique et de bien d’autres sujets. Je l’ai interpellé sur une question qui m’a été inspirée par ma mère. Comme lui, quelques jours plus tôt, j’avais eu un accident qui m’a immobilisé pendant près de dix jours. « J’ai parlé à ma mère de ton accident et elle trouve que tout ce qui arrive ces derniers jours n’est pas le fruit du hasard ». Sa réponse a été nette et sans ambages : « Birame, l’homme peut être perfide. Il peut certes retarder ou rendre plus difficile, mais il ne peut empêcher».
Nous avons été sans doute proches de toi, ce qui rend notre chagrin plus patent, mais c’est le Sénégal tout entier qui perd un serviteur, une sentinelle. Témoin oculaire de tes derniers combats, j’étais toujours fasciné par toute cette énergie que tu pouvais déployer dans un combat qui n’était a priori pas le tien. « Pourquoi aider le plus fort qui a déjà tous les moyens d’asservissement ? ». Cette question t’a accompagné jusqu’à ton dernier soupir.
Merci de m’avoir permis de te dire ce que des millions de Sénégalais souhaiteraient aujourd’hui te murmurer à l’oreille : Merci. Merci pour les nombreux combats. Merci pour les nombreux sacrifices. Dort bien père, ami, maître, patron… ! Que ton sommeil soit apaisé à tout jamais. Et sois assuré, que l’aventure se poursuive à WALFADJRI ou pas, ma plume, celle que tu as toujours flattée, ne servira une cause autre que celle à laquelle tu as consacré toute ta vie.
Mame Birame WATHIE

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