Le pourvoi de Khalifa SALL a été examiné le vendredi 20 décembre 2018, par les 6 juges suivants :
- M. Amadou BAL (Conseiller Doyen faisant office de Président),
Conseillers
- M. Waly FAYE,
- M. Adama NDIAYE,
- M. Mbacké FALL,
- M. Ibrahima SY,
- Mme Fatou Faye LECOR.
L’affaire a été mise en délibéré jusqu’au 03 janvier 2019. Une lecture des dispositions liées aux articles 8 et 10 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n°2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême prouve que la composition de la chambre criminelle le 20 décembre 2018, viole les dispositions de l’article 10 de la loi organique du 17 janvier 2017.
Article 8 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 : la Cour suprême comprend 4 chambres : La chambre criminelle, la chambre civile et commerciale, la chambre sociale, la chambre administrative.
Article 10 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 : Les chambres sont composées chacune d’un Président, de Conseillers et de conseillers délégués ou référendaires. Elles siègent obligatoirement en nombre impair.
- La violation de l’article 10 de la loi du 17 janvier 2017 par la Chambre criminelle de la Cour suprême
Les dispositions de l’article 10 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 ne laissent place à aucune ambiguïté : la chambre criminelle de la cour suprême doit obligatoirement siéger en nombre impair. Il ne s’agit pas d’une simple faculté, mais d’une obligation légale à laquelle la Cour suprême ne saurait déroger : chaque chambre doit siéger, en nombre impair. Or, le rôle d’audience de la chambre criminelle de la Cour suprême fixant l’audience publique ordinaire du jeudi 20 décembre 2018 fait état de la présence de 6 juges (nombre pair). En s’affranchissant des dispositions prévues au niveau du Titre Premier de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017, intitulé « Des compétences de la Cour suprême », notamment en son article 10 qui dispose qu’un nombre impair de juges est obligatoirement requis, pour chaque chambre, la Cour suprême a littéralement violé l’article 10 de la loi organique du 17 janvier 2017 qui définit les modalités de fonctionnement des chambres. La violation de l’article 10 est d’autant plus grave que l’article 14 de ladite loi précise « qu’afin de siéger en nombre impair, toute chambre peut être complétée le cas échéant, par des conseillers appartenant à d’autres formations ». Par ailleurs, l’article 13 de la loi organique du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême, est précis sur le nombre de Juges requis pour chaque chambre « Les chambres siègent à cinq magistrats au moins ». C’est clair, net et précis : le minimum requis est 5, mais une chambre peut siéger à 5, 7 ou 9 magistrats, etc… Dans tous les cas, la loi l’exige : le nombre doit obligatoirement être impair. Dans l’affaire Khalifa Sall, la chambre criminelle n’a pas respecté les conditions exigées par la loi, puisqu’elle a siégé à 6 magistrats (nombre pair). Lorsqu’un arrêt de la Cour suprême est frappée d’une erreur ou omission matérielle, ou d’une erreur de nature procédurale, la requête en rabat d’arrêt prévue aux articles 51 et 52 de la loi organique du 17 janvier 2017 s’impose. L’obligation pour les chambres de la Cour suprême de siéger en nombre impair, n’est pas nouvelle. Elle figurait noir sur blanc dans la loi organique n°2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême (abrogée par la loi organique du 17 janvier 2017), notamment en son article 21 libellé comme suit « Les chambres sont composées chacune d’un Président, de Conseillers et de conseillers délégués ou référendaires. Elles siègent obligatoirement en nombre impair ». Le doyen Souleymane KANE, Haut Magistrat à la Cour suprême, et ancien Directeur du Service de documentation et d’études de la Cour suprême, est formel : « la cassation d’un arrêt sur une question de procédure telle que l’irrégularité de la composition de la juridiction entraîne l’annulation complète de la décision sur le fond même si aucun moyen n’a critiqué le fond ». Dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas de casser l’arrêt de la Cour d’appel du 30 aout 2018 pour irrégularité dans la composition de la juridiction d’appel, mais de relever une grossière erreur, de nature procédurale dans la composition de la chambre criminelle de la Cour suprême !
La violation de l’article 10 de la loi organique du 17 juillet 2017 par la chambre criminelle le 20 décembre 2018, est flagrante dans la mesure où s’agissant des rôles d’audience de la Chambre criminelle en date des 07 juin 2018, 21 juin 2018, et 05 juillet 2018, la chambre a siégé en nombre impair (7 juges, dont le Président d’audience, Amadou BAL, Conseiller Doyen faisant fonction de Président).
- La loi organique sur la Cour suprême, publiée au Journal officiel le 18/01/17 comporte une erreur matérielle
L’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », signifie que la règle de droit doit être portée à la connaissance des citoyens. La publication d’un texte (loi, décret) au journal officiel lui confère une force obligatoire. La difficulté naît lorsqu’un texte publié au journal officiel diffère de celui voté par l’assemblée nationale, en raison d’une erreur ou d’une omission matérielle (par exemple : erreur de rédaction). La loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême publiée au Journal officiel N° 6986 du mercredi 18 janvier 2017 comporte une erreur matérielle, manifeste puisqu’elle omet au niveau de l’Intitulé de faire référence à la loi. L’intitulé publié au JO le 18 janvier 2017 est libellé comme suit : Loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la ….organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême. Il en ressort que le terme le plus important (Loi) a été omis par les services du gouvernement, puisqu’il est écrit « abrogeant et remplaçant la ??? organique ». Dans une telle situation, il est de pratique de recourir à un erratum ou « errata », autrement dit, un rectificatif au Journal officiel, pour corriger l’erreur affectant le texte publié. Les juges apprécieront si le texte rectifié doit être appliqué ou s’il convient de maintenir le texte initial. Par conséquent, Il appartient au gouvernement dont l’amateurisme n’est plus à démontrer (méconnaissance de la règle de droit et des pratiques administratives), de procéder, dans les meilleurs délais, à la correction de cette flagrante erreur matérielle, afin de faire prévaloir sur le texte primitivement publié, le texte ainsi rectifié. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême promulguée par le Président Macky Sall le 17 janvier 2017, et publiée au Journal officiel N° 6986 du 18 janvier 2017, est frappée d’une erreur matérielle manifeste (version papier et version électronique).
- En cas de décision négative le 03 janvier 2019, une requête en rabat d’arrêt est parfaitement fondée
Une intense campagne de désinformation est menée par le régime, tendant à faire croire à l’opinion, que dans l’affaire Khalifa Sall, « les jeux seront faits » dès que la Cour suprême rendra sa décision (qui interviendra le 03 janvier 2019). Le Professeur NDIACK FALL, spécialiste en Droit pénal, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui maîtrise son sujet s’est exprimé de manière claire, nette et précise sur la question. Sa conclusion selon laquelle le rabat d’arrêt est suspensif dans l’affaire Khalifa Sall, est parfaitement fondée du point de vue juridique. Elle est confortée par les propos de 2 ténors du barreau et par la position de 2 organisations de la société civile (Forum Civil et Forum du Justiciable).
Compte tenu de l’erreur de nature procédurale relevée dans la composition de la chambre criminelle de la Cour suprême le 20 décembre 2018 (nombre pair), une requête en rabat d’arrêt est parfaitement fondée dans l’affaire Khalifa Sall. En attendant la décision du 03 janvier 2019, la chambre criminelle de la Cour suprême, dont la composition le 20 décembre 2018 est irrégulière, au regard des dispositions de l’article 10 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 (elle doit obligatoirement siéger en nombre impair) et les services de l’Etat qui ont procédé le 18 janvier 2017 à l’insertion de la loi organique n°2017-09 au journal officiel N°6986 (insertion qui comporte une erreur matérielle) doivent prendre les dispositions idoines pour se conformer à la loi.
Ne faut-il pas désespérer de la justice sénégalaise si la Cour suprême censée garantir l’égalité des citoyens devant la loi viole certaines dispositions de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 qui définissent ses attributions et régissent son fonctionnement ?
Seybani SOUGOU – E-mail : [email protected]