Il est jeune, charismatique et se verrait bien dans le fauteuil de Donald Trump. Le Texan Beto O’Rourke, révélé par une brillante campagne sénatoriale l’an passé, est candidat à la primaire démocrate pour la présidentielle 2020. Portrait.
« Étoile montante », « espoir des démocrates », « Obama blanc », « nouveau Kennedy » : Beto O’Rourke, inconnu il y a encore deux ans, est devenu jeudi 14 mars le centre de l’attention à Washington. Le Texan de 46 ans a en effet annoncé, après un long suspense et un roadtrip en solo dans l’Amérique rurale, sa candidature à la présidentielle 2020.
C’est sa campagne contre le sénateur Ted Cruz, au Texas, qui l’a propulsé sur la scène nationale lors des élections de mi-mandat. Une course que le démocrate a certes perdue, mais avec moins de trois points d’écart. Dans cet État conservateur, on n’avait pas observé une telle performance depuis des décennies. À cette période commence la comparaison avec l’ex-président Barack Obama. Sa jeunesse, sa fougue et sa modernité rappellent par certains aspects le sénateur de l’Illinois de 2008.
Sa spontanéité aussi. En mars 2017, alors qu’il représente El Paso à la Chambre des représentants, une tempête hivernale cloue les avions au sol et l’empêche de rejoindre Washington. Il ne renonce pas et entame un voyage en voiture de plus de 2 500 kilomètres du Texas jusqu’à la capitale américaine, accompagné par un de ses collègues républicains, le représentant Will Hurd. Ce « roadtrip bipartisan », suivi par des milliers d’internautes en direct sur Facebook, rappelle alors aux Américains des temps pas si lointains où les deux camps opposés pouvaient discuter. Comme un clin d’œil, Beto O’Rourke a choisi d’annoncer sa candidature deux ans, jour pour jour, après ce moment. « Je veux être président car je pense que je peux rassembler ce pays », a-t-il déclaré.
« Un rêveur pragmatique »
Jennifer Mercieca, spécialiste des discours politiques à la Texas A&M University, observe que le candidat « présente un message extrêmement positif mais aussi pragmatique ». « On pourrait le décrire comme un rêveur pragmatique », estime-t-elle, interrogée par France 24. « Son credo lorsqu’il se présentait au Sénat, c’était que la bonne chose à faire était également la chose la plus pragmatique. Ainsi, cela coûte plus cher à long terme de ne pas investir dans l’éducation et de ne pas s’attaquer au problème du changement climatique, de la justice ou encore de l’immigration. J’imagine que son message sera similaire pour sa campagne présidentielle. »
Côté démocrate, certains voient dans ce candidat l’espoir de rallier les centristes, alors que plusieurs de ses rivaux, comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, penchent très à gauche. Beto O’Rourke, lui, a réussi jusqu’ici à ne pas se voir coller d’étiquette idéologique. De quoi rassurer les électeurs du Midwest dont le vote a tant manqué à Hillary Clinton en 2016. Côté républicain, il est vu comme un choix possible pour les plus modérés, ceux qui sont gênés par la politique de l’administration Trump envers les réfugiés. Une image qui lui a bien servi au Texas.
Selon Shannon Bow O’Brien, politologue de l’université de Texas-Austin interrogée par France 24, Beto O’Rourke a ses chances de remporter la primaire démocrate. « Cependant, il devra prouver qu’il suscite de l’intérêt au-delà du Texas. De plus, le champ démocrate est déjà bien chargé. (Une douzaine de candidats se sont déclarés, NDLR.) Il devra se positionner comme un candidat national sérieux qui peut affronter Trump et l’emporter. »
Apprécié pour son authenticité
L’universitaire Jennifer Mercieca note que comme Donald Trump, qui aime sortir du discours de son télé-prompteur, Beto O’Rourke est apprécié pour son authenticité. Mais les deux hommes ne se ressemblent pas pour autant : « L’authenticité de Beto est très différente de celle de Trump. Trump est ironique, grossier et belliqueux. Beto est sérieux, réfléchi et gentil. » Jeudi 14 mars, interrogé sur la performance du démocrate dans sa vidéo de lancement, Donald Trump s’est moqué de sa gestuelle. « Il fait beaucoup de mouvements avec ses mains. Je n’en ai jamais vus autant. J’ai dit : ‘Il est fou ou bien il est juste comme ça ?’ »
À l’état civil, « Beto », né en 1972, s’appelle Robert. Mais il préfère son diminutif hispanophone dont on l’a affublé depuis tout petit dans sa ville natale, El Paso, à la frontière avec le Mexique. Son père était un juge républicain, sa mère tenait un magasin de meubles. Dans sa jeunesse, il part en tournée avec son groupe de punk rock, « Foss », dont l’un des membres n’est autre que Cedric Bixler-Zavala, qui connaîtra plus tard le succès avec At-the-Drive-in et The Mars Volta. Puis il décroche un diplôme de littérature à l’université Columbia de New York.
En 1999, après quelques temps sur la côte Est, il retourne dans sa ville texane pour monter une société informatique. Il se marie en 2005 avec Amy, avec qui il a trois enfants. Sa carrière politique commence à la même date, avec son élection au conseil municipal d’El Paso. En 2012, il est élu à la Chambre des représentants en 2012 où il servira trois mandats – le dernier a pris fin en janvier.
Depuis le porche de sa maison d’El Paso, le candidat qui parle parfaitement espagnol peut voir la ville mexicaine de Juarez. Il estime que son expérience intime de cette frontière si complexe et tant décriée par Donald Trump lui donne un avantage sur le président. C’est d’ailleurs El Paso qu’il a choisie pour implanter son quartier général.
Ni PAC, ni sondages
Lui qui a amassé 80 millions de dollars de contributions, la moitié via de petits donateurs, lors de sa campagne de 2018, compte bien appliquer la même recette aujourd’hui. Il refuse les dons des groupes d’intérêts, des entreprises et des comités d’action politiques, les fameux « PAC » qui servent d’intermédiaires entre les donateurs et les candidats. Il refuse aussi d’employer des consultants et des sondeurs. « Je ferai tout ce qui est nécessaire pour gagner en restant fidèle à mes valeurs. Je n’utiliserai jamais de sondage pour qu’il me dicte quoi penser ou dire, a-t-il promis. Je n’aurai jamais recours à un consultant pour qu’il trouve mes mots à ma place lors d’un meeting, pour le meilleur ou pour le pire. (…) La seule manière pour moi d’apprendre, c’est d’écouter le peuple de ce pays. Ce sera lui, mon consultant. »
Le jeune candidat est pourtant attendu au tournant. Une publicité contre lui a déjà été lancée par le groupe conservateur Club for Growth, où la richesse de sa famille est pointée du doigt et où il est accusé de profiter de ses « privilèges d’homme blanc ». Durant sa campagne contre Ted Cruz, celui-ci n’a pas manqué de rappeler l’accident de voiture d’un jeune Beto O’Rourke en état d’ivresse à l’âge de 26 ans. Un épisode que ses nouveaux opposants pourront eux aussi utiliser contre lui.
D’autres lui reprochent son manque d’expérience et ses réponses parfois vagues, lors de sa campagne sénatoriale, lorsqu’on lui demandait des solutions à des problèmes précis. Même sa vidéo de lancement a été critiquée jeudi sur les réseaux sociaux, certains raillant son côté « old school » : durant trois minutes, il disserte face caméra pendant que son épouse, accrochée à son bras, le regarde d’un air admiratif sans ouvrir la bouche. Pas très 2019.
France 24