Ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire est inédit, insolite et même ubuesque. On assiste à une situation institutionnelle inimaginable qui ne pouvait exister qu’en Afrique où, deux candidats, après le verdict des urnes, réclament et revendiquent chacun la légitimité et la légalité de statut de Président de la République de Côte d’Ivoire. C’est un nouveau cas d’école pour les professeurs de Science politique.
Mais, au-delà de la clameur populaire et des prises de positions passionnées et passionnelles, il faut juste essayer d’analyser pour comprendre et expliquer les ressorts politiques et les incidences internationales de ce scénario ivoirien.
Il apparait clairement qu’il existe une cacophonie monstrueuse autour de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara alimentée par les différentes pressions internationales (l’ONU, UE, France, Etats-Unis, CEDEAO…) faisant exhumer au cœur de certains ivoiriens le sentiment et le préjugé toujours tenace que Ouattara est le candidat des « étrangers ». Et ceux qui ont une fibre africaniste sensible et aveugle parleront à tort ou à raison d’une entorse à la souveraineté nationale et d’une ingérence maladroite dans les affaires intérieures d’un pays indépendant.
Voilà des considérations que Gbagbo, en homme politique averti, va prendre en compte et l’inscrire dans sa dynamique de « résistance » qui finalement n’est rien d’autre qu’une sorte de vœu secret de jouer le rôle d’un leader africain nationaliste et panafricain qui refuse la domination des puissances occidentales.
Et Ouattara dans tout ça ?
Il se trouve dans une situation embarrassante qui ressemble à un dilemme profond. Il considère qu’il a le droit et la légitimité en plus de l’adoubement des Nations-Unies (au risque de passer pour une marionnette des occidentaux). Donc pour lui, négocier ou partager le pouvoir avec Gbagbo, ce serait un aveu de faiblesse et un manque de caractère puisqu’il a le droit et la vérité des urnes avec lui. Faut-il utiliser la force, les fourgons blindés des casques bleus de l’ONUCI et l’armée des Forces Nouvelles pour déloger Gbagbo comme le demande Guillaume SORO au risque d’accepter qu’il ait du sang sur les murs et de marcher sur des cadavres pour entrer avec fracas et dans une ardeur guerrière dans le palais de Cocody ? C’est un douloureux pas que le technocrate Ouattara hésite à franchir allègrement.
Dans ce décor lugubre et explosif, les africains sont interpellés à travers leur conception de la démocratie.
L’attitude de Laurent Gbagbo tout au long du processus électoral est à condamner. Il n’a pas le droit de confisquer la voix du peuple ivoirien sous prétexte qu’il y a eu des fraudes au Nord du pays. On ne peut pas utiliser des artifices et des ruses pour empêcher la proclamation des résultats de l’élection par un organe indépendant (la CEI), pour finalement accepter que Paul Yao N’dré un membre et militant de son propre parti(FPI) et Président du Conseil Constitutionnel donne les résultats en sa faveur. Voilà autant de faits qui prouvent incontestablement que Gbagbo n’a pas la stature d’un démocrate capable de respecter et d’accepter le verdict des urnes. N’en déplaise à Monsieur Ousmane Tanor Dieng !
Que dire d’Alassane Ouattara ? Sinon qu’il doit avoir comme souci fondamental de convaincre les ivoiriens de sa légitimité et de sa capacité à gouverner en tenant compte des intérêts du pays tout en ne transigeant pas sur la souveraineté économique de la Côte d’Ivoire.
Pour les africains, les enseignements à tirer de ces élections ivoiriennes c’est qu’il faut travailler à mettre en place des institutions fortes, fiables et indépendantes. Surtout faire comprendre à nos Chefs d’Etat qu’ils ne pourront pas gouverner convenablement leur pays sans le consentement populaire à travers des élections libres et transparentes. Et en démocratie, tout homme qui gouverne sera, un jour, victime du suffrage universel. Seuls, les dictateurs et les démagogues de tout acabit refusent cette réalité. Malheureusement, ils l’apprendront tôt ou tard à leurs dépens.
Lamine SOUANE
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