La Côte d’Ivoire et le Ghana, les deux premiers producteurs mondiaux de cacao, suspendent leurs ventes jusqu’à nouvel ordre pour le cacao qui sera récolté en octobre 2020. Les deux pays essaient ainsi d’obtenir des marchés un prix plancher. Objectif affiché : mieux rémunérer les producteurs.
C’est un bras de fer qui s’est engagé ces deux derniers jours à Accra. Pour la première fois, les acteurs ivoiriens et ghanéens de la filière cacao – près des deux tiers de la production mondiale – unissent leurs forces pour tenter d’infléchir les marchés.
Leur alliance vise à obtenir un prix plancher : 2 600 dollars (2300 euros) la tonne. Concrètement, pour faire pression sur ces marchés, la Côte d’Ivoire et le Ghana suspendent jusqu’à nouvel ordre la vente du cacao qui sera récolté lors de la campagne 2020-2021. Il faut savoir que l’essentiel de la récolte est vendu avant le début de chaque campagne.
Le but affiché de cette épreuve de force, qualifiée d' »historique » par certains opérateurs, est de mieux rémunérer les producteurs. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire où le cacao pèse 10% du PIB, le prix bord champ, fixé par l’État à 750 francs CFA le kilo (1,14 euros) cette année, n’est pas respecté.
Il se situe en réalité plutôt entre 500 et 700 francs CFA (0,76 et 1,07 euros) le kilo, selon l’Association nationale des producteurs de Côte d’Ivoire, l’Anaproci, dont le président Kanga Koffi est très réservé sur l’issue des discussions d’Accra.
« On attend de voir quel sera l’impact réel sur le terrain pour les producteurs. L’État de Côte d’Ivoire a déjà décaissé 38 milliards de francs CFA [60 millions d’euros] de subventions, mais les producteurs n’en ont pas bénéficié », explique le président de l’Anaproci.
Selon Kanga Koffi, compte tenu des charges, officielles ou officieuses, qui pèsent sur les producteurs ivoiriens, un prix décent se situerait autour de 1 000 francs CFA le kilo (1,52 euros).
Les producteurs devraient en savoir plus le 3 juillet lors d’une réunion technique à Abidjan, convoquée pour discuter de la mise en œuvre de ce prix plancher.
? L’industrie ne semble pas ébranlée par l’annonce
L’industrie ne semble pas effrayée par cet ultimatum car, pour le moment, le marché du cacao est plutôt favorable.
Négociants et chocolatiers attendent d’en savoir un peu plus, mais ils ne sont pas plus ébranlés que cela par l’exigence d’un prix plancher de la part du Ghana et de la Côte d’Ivoire. « Le cacao n’est pas une matière première assez chère », confie même le PDG du chocolatier français Cémoi.
« Tout ce qui va dans le sens des producteurs est bon », juge de concert un négociant. Quant à Nestlé, la multinationale suisse dit « attendre avec intérêt la poursuite des discussions constructives qui identifieront des mesures réalisables ».
Il faut dire que le marché du cacao est plutôt porteur actuellement, la demande est forte sur tous les continents. Les cours sont d’ailleurs plutôt bons depuis un an, et mercredi, ils ont quasiment rejoint le niveau demandé par les deux géants africains du cacao.
Si les marchés à terme devaient replonger de nouveau, ce serait évidemment une autre affaire, ces marchés financiers intègrent d’autres acteurs, comme les fonds d’investissement. « On espère, confie le chocolatier Cémoi, qu’en 2020-2021, le prix demandé par le Ghana et la Côte d’Ivoire deviendra le prix de marché. »
? Un rapprochement stratégique
Au-delà de cette annonce, la grande nouveauté est ce rapprochement stratégique entre la Côte d’Ivoire et le Ghana qui a débuté récemment.
Après la chute des cours du cacao en 2016 et 2017 et les difficultés sociales et économiques qui avaient suivi, les deux pays voisins et concurrents avaient tout intérêt à s’entendre. Première étape, une tentative d’harmonisation des prix de rémunération des producteurs ghanéens et ivoiriens, comme l’explique François Ruf, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) : « Sur la définition du prix au producteur, les différences de politiques favorisaient énormément la contrebande, donc beaucoup de cacao passait du Ghana en Côte d’Ivoire, puis de la Côte d’Ivoire au Ghana. Il a fallu très longtemps pour que les deux pays s’accordent et fixent des prix assez proches pour aller réduire l’intérêt de la contrebande ».
Et cette annonce commune de vouloir désormais fixer un prix plancher à 2 600 dollars la tonne représente une nouvelle étape de rapprochement, selon lui. « On passerait à une étape supérieure, explique François Ruf, où il y aurait une position commune vis-à-vis de l’exportation. Est-ce que ça va tenir ? Est-ce que les deux pays ont la capacité de faire face à leur prétention ? C’est encore une inconnue, mais il y a déjà un premier pas qui est très intéressant. »
Plus forts à deux que seul pour tenter de garantir des prix élevés. Une stratégie qui comporte toutefois un risque : s’ils remportent leur bras de fer, cela pourrait décider d’autres pays à se lancer dans la culture du cacao, devenue bien plus rentable. Et donc leur faire concurrence.