Monsieur le Président, je vous présente d’abord mes condoléances les plus attristées, car vous avez perdu un fils, un camarade et un ami. Vous êtes celui qui l’avez remarqué , l’avez politiquement formé, et l’avez propulsé au-devant de la scène à cause de son caractère, de son efficacité et surtout de sa discrétion. Monsieur le Président, je vais vous rappeler comment vous avez accepté de sacrifier votre carrière politique pour Ousmane Tanor Dieng.
Pendant que les dirigeants africains sont prêts à tout pour rester au pouvoir jusqu’à leur mort ou y mettre leur membre de famille, vous avez fait preuve de grandeur par pure conviction. Vous avez perdu le pouvoir bien que vous auriez pu rester au pouvoir si vous aviez sacrifié votre fils adoptif, feu Ousmane Tanor Dieng. Quand vous vous êtes distancé du parti pour être le président de tous les sénégalais, vous aviez délégué le parti à Tanor, car vous aviez vu quelque chose en lui qui n’était pas commun chez ses camarades de parti, la discrétion.
Senghor a attendu la fin de son règne pour faire entrevoir une ouverture démocratique en libérant les prisonniers politiques et en permettant la formation d’autres partis, même si leur nombre était toujours limités. Vous avez préféré faire l’inverse en instaurant le multipartisme dès votre première année. Cela paiera en 1993, quand vous auriez le soutien de Dansokho, de Puritain Fall, de Demba Ba, et même de Majemout Diop. Bien entouré, sans oublier Moustapha Niasse et Djibo Ka au sein de votre parti, vous aviez toujours porté votre choix sur ce natif de Nguéniène, qui comme la majorité des politiciens sénégalais, a obtenu son diplôme de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) avant de gravir rapidement les échelons.
Tanor devient très vite votre homme de confiance et vous lui confiez les dossiers les plus secrets de l’Etat. Il était l’homme de l’ombre, celui qui travaillait bien sans faire beaucoup de bruit. N’ayant officiellement intégré le comité central qu’en 1988, il n’était pas considéré comme un militant de souche, comme Djibo Leyti Ka, qui a rejoint les rangs depuis sa jeunesse. Secrétaire national chargé des relations internationales, vous l’avez promu en faisant de lui votre directeur de campagne. Cela a créé beaucoup de mécontents parmi ses camarades de parti, certains ne pensant pas qu’il l’ait mérité et d’autres se voyaient à la tête du comité directeur. Tanor est désormais directeur de cabinet et directeur de campagne.
Tanor ne vous décevra pas, car il fera un très bon travail dans la discrétion et il vous fera gagner les élections de 1993. Tout ce qui l’intéresse, c’est vous faire triompher. Il sera l’intermédiaire entre vous et les ministres, vu qu’il était le secrétaire général de la présidence. On voit ainsi une implosion au sein du PS, un parti qui est très divisé entre pro et anti Tanor. Les membres du PS collent toute décision que vous prenez à une volonté de Tanor alors que ce n’était pas toujours le cas. Djibo Leyti Ka, qui était toujours au sein du gouvernement depuis 1978, n’est pas reconduit dans ses fonctions de ministre de l’Intérieur pour une bonne cause. Durant la crise de 1994, il n’a pas pu empêcher les manifestants moustarchidine d’atteindre les grilles du palais présidentiel. Et pourtant vous ne l’avez pas immédiatement demis comme c’était le cas avec Ibrahima Wone lors de la grève policière de 1987.
Quand vous aviez décidé de ne plus être président du votre parti, car vous voudriez être actif au lieu d’inaugurer des infrastructures, il y avait une guerre de succession. Les trois pressentis étaient Tanor, Djibo Ka et Moustapha Niasse. Pendant votre maladie en 1995, vous avez reconnu ceux qui se souciaient de vous et ceux qui se souciaient de faire la course au palais. La discrétion tanorienne a payé, car il a su garder son sang-froid face à cette course au palais présidentiel. C’est ainsi que lors du congrès de 1996, vous faites ses louanges devant tous les membres du parti. C’est clair que votre successeur a été choisi. C’est la naissance officielle du binôme Diouf-Tanor. Djibo Ka démissionne en 1998 pour s’allier aux formations d’extrême gauche. Durant la même année, Moustapha Niasse vous demande une audience que vous lui accordez et il vous fera part de son désir de démissionner du gouvernement, sans être très clair sur ses ambitions.
Le 16 juin 1999, Moustapha Niasse déclare sa candidature aux élections présidentielles de 2000. Il dira « j’ai toujours refusé de m’inscrire dans la dynamique d’un dauphinat, pour remplacer qui que ce soit, à la faveur de mécanismes qui se situent toujours en dehors de la morale et de l’éthique démocratique ». Au total, huit candidats se sont présentés et vous êtes naturellement venu premier avec 41,33 % des voix, Niasse troisième avec 16,76 % des voix et Djibo Ka quatrième avec 7,09 % des voix. La division du PS qui a refusé d’accepter Tanor a été la raison de la première alternance politique au Sénégal.
Il vous suffisait juste de démettre Tanor pour mettre Moustapha Niasse ou Djibo Ka pour facilement gagner les élections de 2000. Cependant Monsieur le Président, vous aviez eu parfaitement raison d’avoir choisi Tanor comme directeur de campagne, directeur de cabinet, secrétaire général de la présidence, car c’était un homme discret qui n’était animé que de votre triomphe. Le choix de Tanor a été un bon choix, même si les camarades de parti ont toujours refusé sa légitimité. Tanor disait toujours « j’ai un destin que les hommes ne pourront pas changer. »
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