Comme avec Guy Marius Sagna, il a fallu attendre les derniers instants de la garde-à-vue du journaliste-consultant, Adama Gaye, pour connaître les charges retenues contre lui. Et la sentence, comme la procédure, renseigne de la volonté des tenants du pouvoir d’en découdre avec «l’ancien ami» devenu trop loquace et très acerbe. Un règlement de comptes qui risque grandement d’entacher la crédibilité de l’institution judiciaire déjà pointée du doigt.
«Atteinte à la sûreté de l’Etat». Celle-là, le doyen des juges est allé la chercher loin, très loin. Alors qu’il était, après presque 48 heures de garde-à-vue, question «d’écrits contraires aux bonnes mœurs» et «d’offense au chef de l’Etat», le juge Samba Sall a greffé ce chef d’inculpation au dossier d’Adama Gaye, avant de valider le ticket envoyant ce dernier à la citadelle du silence. Un «yobaal» (envoi) à Rebeuss qui alourdit sensiblement les nombreux bagages du prévenu parti pour y faire un temps. «En invoquant l’atteinte à la sûreté de l’Etat, la justice s’assure que le mandat de dépôt soit illimité. Mon client ne pourra jamais obtenir sa liberté provisoire sans l’autorisation du procureur. C’est comme ça qu’on garde en détention ceux qui ne sont pas d’accord avec le régime ! Désormais, sa libération dépend du fait du prince. Or, dans un Etat de droit, c’est aux juges de rendre la justice, et non au procureur», explique l’un de ses avocats, Me Seydou Diagne, dans un entretien avec Jeune Afrique. Même son de cloche pour son collègue Me Cheikh Khoureichi Ba qui précise qu’avant le doyen des juges, c’est le procureur qui a annoncé la couleur en requérant l’article 139 qui, indique-t-il, «dans son alinéa 2 précise que même si vous demandez la liberté provisoire, votre demande est irrecevable». «On a abandonné l’article 256, c’est-à-dire les charges relatives aux écrits contraires aux bonnes mœurs, et dans la foulée, on s’est arrangé pour que les mêmes écrits constitutifs d’atteinte aux bonnes mœurs, soient aujourd’hui les actes et manœuvres dont parle l’article 80», ajoute Me Ba.
Quelques heures après l’arrestation d’Adama Gaye, avant même son face-à-face avec le doyen des juges, le ministre de la Justice indiquait la voie devant mener au verdict d’un procès non encore démarré. Comme il commence à en habituer les Sénégalais, Me Malick Sall s’est désastreusement illustré en fusillant froidement la présomption d’innocence du prévenu. «La justice n’autorisera personne de fouler aux pieds les fondamentaux de la République et les institutions. (… ) Je ne peux pas personnellement, en tant que Garde des Sceaux, voir qu’un individu, par ses écrits, ses déclarations, passe son temps à insulter la plus haute institution de ce pays, en l’occurrence le président de la République. Je ne peux pas rester les bras croisés», a-t-il soutenu, ne laissant d’autre choix à son subordonné de procureur.
Ainsi, l’étau de la justice s’est sensiblement resserré autour d’Adama Gaye dont les conseils ne sont plus les seuls à constater la volonté manifeste d’enfoncer le journaliste. Pourquoi tant d’acharnement ? Adama Gaye est-il le seul à s’en prendre aussi vigoureusement au régime de Macky Sall décrié et qualifié de tous les noms de voleurs, tous les vendredis, à la Place de la Nation ? Il semble qu’au-delà de la langue certes bien pendue d’Adama Gaye qui dérange, Macky Sall et son ministre de la Justice en veulent au journaliste. Pour des raisons personnelles ? Certains le croient dur comme fer. Qu’est-ce qui s’est passé pour que Me Malick Sall, témoin du mariage d’Adama Gaye, son colocataire de chambre à l’université, lui en veuille à ce point ? Qu’est-ce qui a fait sortir Adama Gaye du cercle restreint des conseillers en hydrocarbures de Macky Sall ? Comme l’indique le premier dans sa contribution polémique, les deux hommes ont eu à travailler sur bien des dossiers du temps de Me Abdoulaye Wade. «C’est ainsi qu’après être passé à côté d’un échec à Abuja, après une rencontre avec Obasanjo – n’est-ce pas Carmelo Sagna ? – suivi d’un rejet arrogant de Gaius Obaseki, gourou et Pdg de la compagnie nationale de pétrole du pays (NNPC), tu n’eus d’autre ressource que de m’appeler à la rescousse, à la demande de Wade», écrit Adama Gaye qui ne précise pas si Macky avait demandé son numéro pour pouvoir le joindre.
Un trio qui se connait assez bien et qui se retrouve au cœur d’une affaire aux relents de règlement de comptes que la justice tente de démêler. Mais, sans étendre sa balance, celle-ci envoie celui qui a le moins de pouvoirs, aujourd’hui, au fond du trou. Et pour longtemps puisqu’il n’y aura aucun acte d’instruction concernant ce dossier durant le congé du doyen des juges Samba Fall, dont le retour n’est attendu que dans quarante-cinq jours.
Il avait deja condamner Badji Seras d’atteinte a la surete de l’etat… ce pays tranquillement fout le camp.