Quoiqu’on puisse dire, Amath Dansokho a, avec plusieurs autres militants progressistes, écrit quelques-unes des pages glorieuses des luttes démocratiques et anti-impérialistes dans notre pays, qu’ils ont contribué à hisser au rang de vitrine démocratique en Afrique.
Sa vaste culture générale et sa fabuleuse expérience politique le prédestinaient, un peu comme Mandela, à une carrière politique remarquable, au cours de laquelle, il a tant œuvré pour l’approfondissement de la démocratie et la préservation de la paix civile. Mais à quelques mois du vingtième anniversaire de notre première alternance démocratique, n’est-il pas temps pour la gauche d’évaluer ses politiques d’alliance ?
A L’ORIGINE, UNE VOLONTÉ DE RASSEMBLEMENT
C’est tout à l’honneur de la génération de nos valeureux aînés, malgré les divergences – dont certaines bien dérisoires, avec le recul – qui ont pu les opposer, d’avoir tenté, vaille que vaille, de préserver leurs convictions originelles de militants indépendantistes et panafricanistes, quand ils défiaient le Général de Gaulle à la Place Protêt.
Depuis lors, ils n’ont cessé de se positionner comme des sentinelles vigilantes pour la défense de la souveraineté nationale, l’approfondissement de la démocratie et l’instauration de normes de justice sociale, malgré les bouleversements géostratégiques intervenus sur la scène mondiale depuis la fin des années 80, notamment la chute du mur de Berlin. Il est significatif, à cet égard de constater la survenue de deux alternances démocratiques dans notre pays au moment où les élites de l’ancien camp socialiste s’initiaient aux subtilités et pièges de la démocratie bourgeoise.
Parmi les différentes stratégies mises en œuvre pour la libération nationale de notre pays, il faut distinguer l’option résolue du PAI/PIT, dès la Conférence rectificative de 1967, confirmée au second Congrès de 1972, d’œuvrer à l’unité des forces patriotiques et démocratiques, qui laissait certains camarades de la gauche marxiste assez sceptiques et les avait conduit à mettre sur pied d’autres formations politiques (LD, And-Jëf). Ce désir d’unité se traduira, vers la fin de l’ère senghorienne, par l’établissement de liens étroits avec le groupe de Mamadou Dia, à travers le journal And Soppi, avec le RND, et même avec le PDS, nouvellement reconnu, qui pourtant se définissait, au départ, comme un parti de contribution. Au bout du compte, c’est bien cette ligne de large rassemblement, qui allait finir par nous valoir la première alternance démocratique de 2000, qui a porté Me Wade au pouvoir.
LES LIMITES DU SOPI
Mais bientôt, les observateurs politiques avertis allaient se rendre compte des limites de ce changement de régime. Même s’il était clair, que cette première alternance pouvait être considérée comme une victoire significative du peuple sénégalais, en ce qu’il avait démontré sa capacité à congédier le régime socialiste quarantenaire, les indices de continuité prédominaient largement sur les éléments de rupture.
Pire, par des pratiques politiques perverses telles que la transhumance et l’instrumentalisation systématique des institutions, le régime présidentialiste semblait connaître une seconde jeunesse, installant un nouveau monarque républicain.
Tel un caméléon, le Parti-État avait tout simplement changé de couleur, passant du vert au bleu, ce qui allait avoir des conséquences désastreuses. Il s’agissait du dévoiement accentué des mœurs politiques, avec une perte de repères idéologiques, faisant de l’activité militante, qu’elle soit politique, syndicale, citoyenne ou même religieuse un moyen de promotion sociale avec possibilité d’enrichissement rapide.
Tout cela conduisit à une déliquescence des partis politiques classiques, dont pâtirent, en premier, les partis de gauche.
On comprend alors mieux les rivalités et dissensions au sein de Benno Siggil Senegaal, qui n’avaient aucun fondement programmatique, mais avaient grandement facilité l’accession au pouvoir d’un des membres de la mouvance libérale. Cela explique aussi ce ralliement massif ressemblant, à s’y méprendre, à une reddition sans conditions, de certains porte-drapeaux des Assises, parmi les plus significatifs au nouveau régime marron-beige.
UNE ÉMERGENCE MENSONGÈRE
L’affaiblissement des partis de gauche se poursuivit, doublé d’un discrédit d’éminents membres de la société civile, tous deux entamés sous l’ère Wade, mais qui se sont renforcés depuis, tant et si bien que les ressorts démocratiques de la Nation semblent maintenant cassés.
De fait, après avoir avalisé les reniements et les forfaitures du premier mandat, aucun des alliés de la grande Coalition présidentielle n’envisage de mettre fin à cette alliance contre-nature, malgré les signaux alarmants de crise socio-politique manifeste.
Dans ce regroupement hétéroclite, qui n’exclut pas d’évoluer vers l’unité organique, et dont le chef est censé dérouler son dernier mandat, l’ambition politique devient un délit. Autant dire que Benno devient un obstacle pour le progrès social, car synonyme de stagnation politique.
Contrastant avec l’apathie des élites politico-syndicales, on observe, depuis peu, une effervescence principalement portée par des forces sociales souvent issues du secteur informel, évoluant en marge des règles de “bienséance démocratique”.
Ne se reconnaissant ni dans des syndicats ou regroupements professionnels trop complaisants avec le pouvoir ni dans des partis, qui semblent se réduire à leur fonction de lanceurs d’alerte ou se complaire dans un électoralisme effréné, de larges franges de notre société sont de plus en plus tentées par la radicalisation.
VERS UNE NOUVELLE PLATEFORME DE GAUCHE ?
Elles comprennent de plus en plus le parti pris manifeste de nos décideurs, si prompts à exonérer les multinationales d’impôts, au moment où ils pressurisent de taxes les commerçants et les travailleurs. Elles fustigent, avec la dernière énergie le double jeu du gouvernement, dans sa volonté de dissimuler l’austérité induite par un prétendu instrument de coordination des politiques économiques, qui ne serait rien d’autre qu’un ajustement structurel camouflé.
Le prolétariat des villes et des campagnes ne veut plus de politique de rassemblement pour cautionner la soumission aux recettes maléfiques des institutions financières internationales, mais d’une démarche unitaire prenant en compte leurs intérêts spécifiques.
Le 21 septembre dernier se sont tenues quasi-simultanément les retrouvailles d’anciens militants d’AJ/MRDN et l’hommage national du comité central du PIT à leur défunt Président. Pur hasard du calendrier ou signe prémonitoire d’un renouveau de la gauche sénégalaise ?
Ces deux forces politiques, malgré les divergences qui ont semblé les opposer pendant plusieurs décennies, n’en ont pas moins apporté une contribution significative à la lutte du mouvement national démocratique sénégalais.
Il est temps, pour qu’ensemble avec d’autres formations politiques progressistes, elles se regroupent autour d’une nouvelle plateforme de gauche pour stopper notre lente descente aux enfers du Libéralisme amorcée depuis 2000.
NIOXOR TINE