Il y a encore quelques temps, tenir de tels propos dans ce pays pouvait relever dune in- congruité voire dune provocation. Au regard de certains actes posés par des compatriotes, la question demeure aujourdhui forte.
En effet, lhistoire bégaie follement dans le pays. Le Sénégal qui se distinguait en Afrique par un caractère curieusement personnel est vite devenu nerveux et plein de contrastes.
Le malaise nous paraît trop réel et sérieux pour que ce texte ne débute par un ton: celui de la gravité et un mot dordre: laction.
Notre modèle du vivre-ensemble se fissure .Il devient légitime de sinterroger sur la question de savoir si nos forces dhier ne sont pas devenues nos faiblesses daujourdhui.
Plusieurs signes montrent que nous vivons dans une phase inquiétante, néfaste pour notre coexistence sociale. Certains sont récents et dautres persistants.
La polémique sur lécriture de lHistoire Générale du Sénégal a révélé létat dagacement de la communauté religieuse. De manière publique, elle na pas manqué daccuser les auteurs de louvrage de commettre des erreurs historiques graves.
Le coordonnateur du projet a fait son mea culpa.
Dès lors, notre quête dune mémoire collective (pour décoloniser le passé) a démontré ses limites consensuelles.
La polémique sur le port du voile à lInstitution Sainte Jeanne dArc de Dakar posait la question de savoir sil fallait exclure les jeunes filles ou exclure le voile de lécole.
Cette affaire a posé les jalons dun débat sociétal avec pour terrain: lécole et pour toile de fond: la religion.
Par la négociation, les parties ont finalisé un accord. Mais la question de fond reste entière.
LEtat est donc tenu de rappeler clairement la législation applicable dans le cadre de lenseignement religieux.
Dans les deux cas ( Histoire Générale du Sénégal et port du voile au Collège de Sainte Jeanne dArc), les débats ont été houleux, agressifs et convulsifs.
Les polémiques portaient sur un sujet sensible : la religion. Cette dernière demeure le ressort, le prétexte, linspiration de la plupart des violences et des conflits au 21ème siècle.
La question religieuse mérite une attention particulière pour ne pas froisser les personnes dans leur intimité confessionnelle, leurs croyances.
Fort heureusement, une approche prudente des choses et une certaine sagesse ont permis de trouver les mots qui apaisent et les décisions qui simposent.
La prolifération de la violence physique, verbale, comportementale voire décisionnelle dans lespace public nous interpelle furieusement. Retenons dabord que la violence nest pas fondatrice. Elle ne pourrait être lhorizon politique du Sénégal
Les invectives et les injures sont flétrissables, elles ne servent à rien, sauf à dégrader davantage la personne qui les prononce.
Pour détester une politique ou une opinion, on nest pas condamné à perdre toute décence.
Imaginez le pays vivant dans une discordance de majorités, à savoir une cohabitation. Elle ne serait pas émolliente. Elle serait terriblement guerrière.
Ce Sénégal ne doit pas être en proie à une crise de bêtise, de crédulité et de bestialité trop évidente. La vérité est trop sévère.
Sans risque dêtre trop démenti, on peut affirmer que la rigueur saffaisse, le temps et leffort de réflexion samenuisent au profit de lagitation. Le refus du dépassement séloigne.
Pourtant notre pays a réalisé sans heurt et dans la sérénité, des alternances politiques.
Pourquoi vouloir donc maintenant semer un monde de haine ? Cultiver un champ de mine ? Pour espérer quoi ? Récolter les fruits de latome?
Plonger le pays dans « la banalité du mal » ? Cette inhumanité que dénonçait déjà avec force Hannat Arendt dans lOrigine du totalitarisme.
Aujourdhui, nos concitoyens sont réduits à rappeler à des politiques exerçant des responsabilités au nom du peuple, ayant transformé leurs écarts de conduite en stratégie, quil faudrait de la tenue et de la retenue en République.
Laissons les fioritures qui masqueraient la vérité pour nommer les choses.
Le Sénégal ne doit pas être un théâtre de boulevard où la politique nest que comédie, où lon alterne tous les rôles. Le peuple amusé attend désormais être représenté avec sérieux et res-pect.
Les Sénégalais ne sauraient se satisfaire trop longtemps ni du conformisme flasque ni de lirresponsabilité destructrice.
Il faut nécessairement mépriser les gens parfois sans avoir le sentiment même avec une bonne conscience, pour semployer à les réduire à leur place.
Les dérives des réseaux sociaux sont trop à craindre pour le vivre-ensemble.
Ces outils de communication encouragent par nature le simplisme des idées et la radicalisation des opinions, la désignation des boucs émissaires.
Ils témoignent dune dégradation constante de la politesse singulière et de lurbanité collective.
Des gens qui ne revendiquent rien, si ce nest détruire la cohésion sociale et « le système»,
profitant de la catastrophe absolue dune culture de lexcuse qui a fini par gangréner le Sénégal.
Ne perdons jamais notre capacité dindignation cest-à-dire notre part dhumanité devant la violence de leurs dérives ordurières de la liberté dexpression.
Puisque la prévention et lexplication sont vaines pour ces types dindividus, reste lordre.
La banalisation de la transhumance politique ne participe pas à la moralisation de la vie publique. Elle divise notre société.
Les transhumants portent atteinte à notre vivre-ensemble en foulant au pied des valeurs morales chères à notre modèle dexistence nationale : le jom (la dignité), le kersa (la pudeur).
Ils ont réussi à banaliser la méritocratie, à casser le travail déducation et de sensibilisation de la société civile, à bafouer la volonté populaire et à installer le Sénégal dans une campagne électorale permanente. Plus grave, ils donnent le sentiment à la jeunesse que leffort et le mérite sont devenus inutiles.
Par leurs mollesses et leurs postures, leurs artifices et leurs ruses, ces gens-là, au verbe haut et à laction faible, et qui ont tous les goûts dans leur nature, ont ouvert la voie au populisme , aux approches simplistes, à labsence de civisme, de conviction républicaine, à labstention électorale et à la fin de la bipolarisation politique.
Si les pouvoirs samusent encore à vouloir les recycler dans lunique but de massifier leur parti, parions bientôt pour la fin de la politique .Et craignons alors que lopinion ne se radicalise et que le pays nemprunte les chemins de laventure.
On souhaite des gouvernants: une normalité démocratique, une écoute républicaine, une discussion avant laction, une considération plus tôt quun mépris, une série dexigences et de principes pour redonner de la confiance.
Dautre part, le renouveau dune justice libre et responsable devient une exigence citoyenne. Le pouvoir judiciaire est attendue pour incarner cette rupture dans le laisser-faire, laisser-passer . Les mêmes règles doivent sappliquer à tous les citoyens, quelles que soient leurs situations ou leurs opinions. Plus par efficacité que par vertu.
Si la justice se fait de plus en plus rare, le doute sinstallera sur sa détermination de pouvoir protéger convenablement notre vivre-ensemble.
Face au flot dincertitudes et de menaces de toutes sortes qui pèsent sur lavenir de notre pays, on ne doit céder ni à la clameur publique ni aux pires tentatives populistes qui nous raméne- raient au temps de lobscurantisme.
Le contexte sous-régional marqué par linsécurité et les récentes découvertes dhydrocarbures sur notre territoire (pétrole et gaz) nous incitent fermement à être lucides et vigilants.
Notre conviction est formée sans doute comme beaucoup dentre vous, quon ne peut encore raisonner en termes dattente et de repliement ou se complaire dans une mollesse de pensée.
Il est donc plus quurgent que vital de tenter de redresser la barre, doù la nécessité impérieuse de sortir de ce climat délétère et de placer lintérêt général au cur des préoccupations na- tionales.
Si pendant longtemps, notre pays a su rester un havre de paix, il le doit à lintelligence et à la vigilance de tout son peuple. Sans oublier le génie du Président Senghor, partisan du dialogue et théoricien de la dialectique des ethnies et du métissage culturel.
Lexemplarité du pays de lhospitalité ( téranga) consiste à offrir des références compor- tementales associées à une exigence éthique.
Le Sénégal doit rester un pays de tempérance avec un peuple avec ses normes, ses limites et ses devoirs.
Ainsi le moindre renoncement à ces principes nous serait préjudiciable. Car les liberticides, les empêcheurs de tourner en rond, les énergumènes auront dressé au nez de la République leur drapeau dexclusion, leur hymne de haine et leur devise de fer.
Ils tueront la loi. Ils tueront la foi. Chez eux, plus de sanctuaire, plus de tabou.
Le Sénégal, que nous chérissons tant, est une idée qui sincarne dans la volonté de vivre ensemble avec une histoire et un projet.
Cela requiert un fonds commun : lattachement aux valeurs de respect, de tolérance, de liberté et de démocratie, quels que soient les changements de majorité politique.
Lorsquon a des valeurs communes, on doit construire et partager ensemble
Cest pourquoi, il nous appartient tous ensemble dapprécier ce qui passe actuellement dans notre pays, de prendre la mesure de notre intervention, de notre utilité, de son sens.
Nous devons donc faire preuve dun humanisme de refus qui introduirait partout la raison avec ce ton qui sonne comme un élément de charge contre ceux qui, sous nos yeux, infanti- lisent nos institutions, distillent la culture du mépris, de peur et de force.
Si nous restons amorphes avec un bandeau sous les yeux se contentant de parlottes éternelles, notre système de valeurs reculera à léchelle du continent, qui voyait en nous un modèle dexception.
Le plus grand malheur qui pourrait arriver à notre pays, le Sénégal, à ses valeurs et à sa morale, du fait des politiques, des intellectuels, des républicains, des patriotes, serait que par intérêt ou par dégoût, par pusillanimité ou par lâcheté, davoir mal usé de sa liberté, il se laisse doucement enfermer dans un silence lourd de sens et de conséquences.
Il est encore temps de revenir à une perception dune République sereine et consensuelle, qui na pas peur delle-même, ni de son avenir, ni de ses talents , ni de son envergure.
Une République démocratique, vertueuse et humaniste, plus grande, plus forte, plus sûre delle-même parce quelle aura rassemblé tous les enfants de son Histoire.
Mamadou DIALLO
Avocat au Barreau de Paris
docteur en droit
Responsable des Cadres de la Délégation AFP FRANCE
Cher confrère
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Bravo