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Et nous, le peuple, qui va nous indemniser de vos fautes? (Par Alassane K. Kitane)

Date:

Noam Chomsky a dit « On avait parfaitement compris, longtemps avant
Georges Orwell, qu’il fallait réprimer la mémoire. Et pas seulement la mémoire,
mais aussi la conscience de ce qui se passe sous nos yeux, car, si la population
comprend ce qu’on est en train de faire en son nom, il est probable qu’elle ne le
permettra pas ». La stratégie de l’amnésie populaire est, en effet, l’un des plus
vieux moyens dont se servent les hommes politiques. Comment produire
l’amnésie populaire ? Il suffit d’observer minutieusement la façon dont Macky
Sall gouverne le Sénégal pour avoir la réponse et comprendre toute le portée de
cette réflexion de Noam Chomsky. Nous allons utiliser la métaphore de la
lumière aveuglante pour expliquer comment ce gouvernement trompe son
peuple même lorsqu’il use des principes du droit et de la vérité. Quand la
lumière est trop forte, elle nous crève les yeux et nous plonge dans la pénombre
: c’est de la même façon que la flagrance suscite le doute, puis le désintérêt et
finalement l’oubli. La seule façon pour le pouvoir de réprimer « la conscience
de ce qui se passe sous nos yeux » est de jouer à la transparence pour justement
aveugler le peuple.
Ce qui s’est passé depuis la genèse de la fable de la traque des biens mal acquis
doit être compris dans deux sens. D’abord, la désignation d’un adversaire et la
concentration de la vindicte populaire sur lui ont permis de dissimuler les
nombreux crimes commis en sourdine. Ensuite, la flagrance avec laquelle on
viole le doit, libère les prisonniers, rejette les décisions du Conseil des droits de
l’homme de l’ONU, etc., finit par convaincre les plus sceptiques qu’on est dans
la droiture et la justice. Or c’est précisément le contraire qu’on était en train
d’exécuter. De la même façon, le dévergondage avec lequel on ravale ses
propres vomissures en acceptant ce qu’on a toujours refusé a pour effet cynique
de banaliser et d’avaliser le fait que la politique est une affaire de voyous de la
pègre. De la haute pègre d’ailleurs ! Voilà comment on va faire accepter aux
Sénégalais et même aux guides religieux que la politique est une affaire de
mafia, qu’elle ne se réfère à aucune éthique, qu’en politique tout est permis
(apparemment les victimes l’ignoraient !). Or quand le religieux abdique devant
les choix amoraux du politique que lui reste-il de sa posture de régulateur ?
Quand est-ce qu’on fera de la sacralité de l’État et du droit la boussole qui guide
et transcende toute action politique ?
Macky Sall et son clan sont donc enfin décidés à reconnaître le caractère inique
de la CREI et donc, forcément du verdict du procès qu’elle a intenté contre
Karim Wade. Hier sourds à tous les appels à la raison, les voilà subitement
sortis de leur congé de rationalité pour constater que la CREI n’est pas
conforme aux principes universels des droits de l’homme et aux conventions
internationales ! Et ne croyez surtout pas que la cacophonie entre le ministère

des affaires étrangères et le directeur des droits de l’homme au ministère de la
justice échappe à cette stratégie de la flagrance. Comment le gouvernement
pourrait réformer la CREI sous l’injonction des Nations unies et continuer à
appliquer les sanctions que sa forme actuelle a injustement infligées à des tiers ?
Qui serait assez dupe pour ne pas percevoir qu’ils cherchent à échapper eux-
mêmes au monstre qu’ils ont créé de leur propre fantaisie ? Macky Sall est en
train d’errer, de louvoyer, de tâtonner, car il ne sait plus quoi faire de l’affaire
Karim Wade. Ne soyons donc pas étonnés de voir ces gens venir demain
proposer, et l’annulation du verdict, et la suppression de cette cour. Après avoir
dilapidé des milliards de nos vils francs dans un procès inique et unique au
monde, ces gouvernants osent venir reconnaître tout ce qu’on leur reprochait
avec des arguments évidents. Qui va maintenant indemniser le peuple de cette
forfaiture dont il a été victime ? Comment un gouvernement qui ne sait pas
discerner les lois justes de celles scélérates ; les juridictions normales de celles
d’exception ; bref la raison de la déraison, peut-il promettre de mener son
peuple à bon port ? L’institution de la CREI a été le premier indice de
l’informel par lequel Macky Sall s’apprêtait à gouverner ce pays. Ce monsieur
n’a d’autre objectif que le pouvoir : ignorer une telle évidence, c’est perdre
toute chance de comprendre le cynisme qui oriente ses actes.
Nous n’allons pas revenir ici sur ce que nous avons toujours affirmé, à savoir
que la CREI était justement un instrument pour ne jamais faire une reddition
correcte des comptes. Nous avons même écrit que Macky n’avait aucun intérêt à
ce que la lumière soit faite sur les douze ans de règne du PDS. C’est une
évidence ! Il faut juste dire que cette affaire d’enrichissement illicite était à la
fois un enjeu politique pour Macky et du pain béni pour des entreprises
appartenant à des lobbies proches. Combien de proches du régime ont tiré profit
de cette arnaque ? On a enrichi des avocats et des sapiteurs du diable, pour faire
un procès diabolique qui n’a apporté au Sénégal ni profit matériel ni
bonification morale. La preuve, c’est que nous sommes aujourd’hui au fond du
gouffre de la mal-gouvernance. Ce procès n’a même pas servi à dissuader le
vol, le détournement et la prévarication : combien de méga scandales compte-t-
on depuis l’accession de Macky Sall au pouvoir ? Le scandale de PETROTIM à
lui seul est plus grave que tous les cas de détournement qu’on a pu commettre
dans ce pays depuis l’indépendance. C’est même peu probable qu’on en trouve
pareil au monde. Tout un peuple a été arnaqué de six mille milliards : quelle
honte ! Après l’abolition de la CREI et l’acquittement de fait des victimes de
cette juridiction, ce sera facile de tirer d’affaire les membres de la mafia : c’est
cela la stratégie de la flagrance !

Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

1 COMMENTAIRE

  1. Qualifier la CREI d’inique et la traîner dans la boue est une vue d’anticipation erronée. Laissons avec patience et circonspection le temps faire pour voir et juger valablement de ce va advenir.Le temps révèle toute chose à sa vraie nature et dimension Sachons donc douter de nos pulsions premières et ne pas les prendre d’emblée pour la vérité absolue

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