Juridiquement, M. Moustapha Diakhaté a tort de faire la leçon au Président de la République
Macky Sall, à propos de son décret de réquisition de l’ensemble du personnel de la SDE lors du
récent mouvement de grève. En l’espèce, le Président de la République Macky Sall n’a commis
aucune illégalité, et encore moins « une grave remise en cause du droit constitutionnel de
grève ».
Pour le démontrer, il faut revenir à la substance de l’article 25 de la Constitution, en ce qui a trait
à l’exercice du droit de grève dont il est question ici.
En effet, l’article 25 de la Constitution dispose : « (…) Le droit de grève est reconnu. Il s’exerce
dans le cadre des lois qui le régissent. Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte à la liberté de
travail, ni mettre en péril l’entreprise (…) ».
Il en découle que, si le droit de grève est constitutionnellement « reconnu », il n’en demeure pas
moins qu’il est aussi constitutionnellement encadré, limité voire atténué par cette même
disposition de la Constitution, en ces termes : « Il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent.
Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte à la liberté de travail, ni mettre en péril l’entreprise
(…) ».
Donc, parler ici de violation de la Constitution n’a aucun sens d’un point de vue juridique.
Pourquoi ? Parce que, c’est la Constitution elle-même qui reconnaît le droit de grève, et qui, en
même temps, y apporte des limites (Exemples : ne pas porter atteinte à la liberté de travail, ne pas
mettre en péril l’entreprise de distribution d’eau gérée par la SDE, mais aussi, le droit de grève en
tant que moyen ultime des travailleurs dans l’exercice de leurs droits syndicaux, « s’exerce dans
le cadre des lois qui le régissent »).
Or, concrètement, qu’est-ce que l’on trouve parmi ces lois qui régissent le droit de grève au
Sénégal ? On trouve justement le Code du travail sur lequel s’appuie légalement le décret de
réquisition du personnel de la SDE par le Président de la République. En matière de réquisition,
la loi et précisément l’article L.276 du Code du travail dispose en effet que : « L’autorité
administrative compétente peut, à tout moment, procéder à la réquisition de ceux des
travailleurs des entreprises privées et des services et établissements publics qui occupent des
emplois indispensables à la sécurité des personnes et des biens, au maintien de l’ordre public, à
la continuité des services publics, ou à la satisfaction des besoins essentiels de la nation (…). ».
De plus, en vertu de la loi, c’est l’autorité compétente qui règle les conditions et modalités de
réquisition des travailleurs. Contrairement à ce qui a été dit ou écrit dans les médias ou la presse,
il faut savoir qu’en réalité une réquisition peut légalement prendre plusieurs formes.
En effet, une réquisition peut être :
- notifiée au travailleur (individuellement) ;
- ou publiée au journal officiel ;
- ou diffusée à la radio ou à la télévision ;
- ou affichée sur les lieux de travail,
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- ou précisée dans un décret du Président de la République ou du Premier ministre.
Dans toutes ces hypothèses, c’est légal. L’autorité administrative est libre de choisir le procédé
qui convient le mieux à la situation. Il n’y a aucune illégalité juridique d’une telle réquisition.
En dehors de la notification, dans toutes les autres hypothèses, les travailleurs impliqués par la
réquisition seront cités collectivement et anonymement par l’autorité. Mais aussi, dans toutes les
hypothèses, les travailleurs devront obligatoirement rejoindre leur poste pour ne pas s’exposer à
des sanctions légales. D’autant plus que, le droit de grève ne doit pas porter atteinte à la
continuité du service public et à la mission d’intérêt général en matière de distribution d’eau
potable, entre autres.
Donc, s’il y a un conseil très sage à donner au personnel de la SDE : ce serait de leur dire qu’en
l’espèce, ni la Constitution, ni la loi, ne sont en leur faveur. Or, quand le droit n’est pas en votre
faveur et que vous êtes intelligent, qu’est-ce que vous faites ? Vous négociez, mais, vous ne
tenterez pas le forcing sans succès.
Toutefois, le Président de la République doit aussi veiller à concilier le droit de grève avec la
continuité du service public, en faisant en sorte que la réquisition ne soit pas monnaie-courante
dans la République, en l’utilisant qu’en ultime recours pour permettre aux travailleurs d’exercer
leur droit de grève. Parce qu’il ne faudrait pas que la réquisition soit une brèche pour mettre fin à
l’exercice du droit de grève dans un État démocratique. La réquisition est une arme dissuasive qui
doit être utilisée au dernier moment avec tact, finesse et intelligence. Mais, dans le cas précis du
personnel de la SDE, l’utilisation de la réquisition est totalement légale ; elle est régulière au nom
de la continuité du service public de distribution d’eau pour la satisfaction des besoins essentiels
de la nation. Et ce n’est pas la justice qui dira le contraire, parce que ceci est le droit positif
sénégalais.
Par conséquent, si les libertés publiques renvoient aux droits de la personne devant être respectés
par les pouvoirs publics, et qui constituent une catégorie de droits jugée fondamentale et
impliquant donc une protection particulière, leur exercice dans la relation de travail obéït à des
régles bien établies qu’il faut concilier et non opposer.
En définitive, ce qui est donc inquiétant, ce n’est pas le décret de réquisition du personnel de la
SDE ; c’est plutôt l’incapacité ou l’incompétence des juristes qui entourent le Président de la
République Macky Sall. Lesquels se sont illustrés à travers leur silence assourdissant pour
défendre juridiquement le décret de leur mentor. Décidément, il faut être médiocre pour se faire
une place de choix dans la République…
Alioune GUEYE,
Professeur de Droit public,
Expert auprès du F.R.S. – FNRS (Belgique),
Membre du Comité scientifique à la Revue juridique et politique des États francophones (France),
Membre (évaluateur) au Comité scientifique de la Revue québécoise de Droit international (Canada),
Ancien Professeur/Chargé de cours en Droit public à l’Université de Montréal (Canada),
Ancien A.T.E.R en Droit public en France, Rang 1 er
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Merci pour cette éclaircissement Monsieur le Professeur