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INVITE DE LA REDACTION : LAMINE DIACK, PRESIDENT DE L’IAAF « J’ai l’impression que nous sommes maudits »

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Itinéraire d’une icône sportive ! Voilà la piste que le président de la Fédération internationale d’athlétisme a empruntée dans cette deuxième partie de l’interview accordée à la Rédaction de La Gazette. Et tout y passe. Il retrace sa vie sportive. Du haut du sommet de l’athlétisme mondial à l’Iaaf qu’il dirige à ses débuts de manager du sport au Foyer France Sénégal, actuel Jaraaf de Dakar. Le président d’honneur de ce club brosse la genèse et les limites de la Réforme Lamine Diack, très chère au football sénégalais, revient sur son passage au commissariat général du Sport sous Senghor, la création du mouvement navétanes dont il est l’initiateur, ses relations avec son club de cœur et enfin, conclut par un bilan et les perspectives pour l’athlétisme national et mondial. Top !

Voulez-vous revenir sur les grands axes de la « réforme Lamine Diack » ?

Cette réforme porte mon nom mais il faut surtout savoir que j’étais au moment de son lancement responsable du Foyer France-Sénégal. A ce titre, je me suis dit que si l’on ne regroupait pas le potentiel au niveau des différents clubs, on n’aurait jamais d’équipes fortes. On ne pouvait pas avoir dix clubs à Dakar, cinq à Kaolack, sept à Saint Louis et vouloir disposer d’équipes fortes. Cependant, notre erreur ou la faiblesse de la réforme a été de vouloir faire des formations omnisports. La réforme exigeait des clubs de première division la pratique d’au moins quatre disciplines. Le football, l’athlétisme, le basket étaient obligatoires, tandis que la quatrième option était soit la boxe, le cyclisme, le hand ball. Mais excepté trois formations, les clubs ne remplissaient pas ces conditions. Voilà un peu ce qu’était la réforme Lamine Diack qui ne s’est pas réalisée. Elle est restée à l’état de projet. Le commissaire général au Sport que j’étais a expliqué au président Léopold Senghor la raison de l’inefficacité de la réforme. Pourtant, à l’époque et malgré les difficultés du sport, j’avais eu une forte adhésion parce que j’avais un bel itinéraire. Certes, je n’ai rien gagné en tant que joueur mais en tant qu’entraîneur du Foyer France Sénégal, j’ai remporté tous les titres. Avec l’équipe nationale aussi tout est allé comme sur des rails. Tout me réussissait.

Mais pourquoi la réforme n’a pas connu la réussite escomptée ?

Un jour, Jean Collin (Ndlr : secrétaire général de la présidence de la République sous Senghor et Diouf) m’a demandé, si je pensais pouvoir réussir ma réforme du sport sénégalais. Je lui ai répondu, que j’y croyais, vu l’adhésion massive qu’il y avait autour du projet. A son tour, il m’a dit que ce n’était pas la peine que je fasse Science Pô. Ensuite, il me demande si je lisais Machiavel. Je lui ai rétorqué « oui, mais ce n’est pas mon livre de chevet ». Et là il m’a dit : « Moi je l’ai toujours entre les mains ». Il m’a révélé que le 18 juin, au moment de l’état de siège, quand j’ai décidé de prendre Senghor par la main pour l’emmener au stade, ils (les politiques) pensaient qu’on allait se faire huer par le public. Mais, à leur grande surprise, le Président s’est fait applaudir à travers les rues de la capitale et au stade. Alors, Collin m’a raconté que depuis ce jour je devenais l’homme à éliminer. Il m’a dit que l’on cherchait un Premier ministre auprès du pouvoir présidentiel déconcentré et que, pendant trois mois, à chaque fois que Senghor recevait un ambassadeur, il lui disait : « Vous connaissez Diack ? Si je l’avais nommé ministre en 1967, je n’aurais pas eu les évènements de 1968 ».

La réforme Diack demeure toujours d’actualité. Est-ce à dire qu’il n’y a vraiment pas une véritable politique sportive dans ce pays ?

J’ai dit à Abdou Diouf, au détour d’une discussion que nous avons eue, que nous n’avons rien fait ensemble pour notre pays pendant 29 ans. Je lui ai expliqué qu’en 2010, nul ne devait être là à parler de “Réforme Lamine Diack”. D’autant que ceux qui en parlent aujourd’hui n’étaient pas nés. J’ai également ajouté que si nous avions réalisé cette réforme, nous aurions été un pays extrêmement en avance sur les autres en matière de sports. Aujourd’hui, il est plus facile de développer le sport. Les organismes internationaux sont réceptifs à l’importance du sport. En tant que maire, j’ai rencontré le directeur de la Banque mondiale de l’époque, Robert McNamara. Lorsque je lui ai parlé des problèmes de notre sport, il m’a dit : « Nous nous intéressons à des investissements productifs ». A mon tour, j’ai persisté en ces termes : « je suis maire de Dakar et j’ai un budget de 4 milliards de FCFA pour 1 500 000 habitants. Mon collègue, Marion Barry (Ndlr : ancien maire du district de Columbia, Etats-Unis) a 200 000 habitants avec un budget 100 fois supérieur au mien. Je suis assis sur une bombe et vous dites que vous ne pouvez pas m’aider. » N’empêche, il a répondu de manière catégorique : « Non ça ne m’intéresse pas ». Mais, aujourd’hui, les organisations internationales s’intéressent aux questions sportives et nous demandent même de l’aide. Le Sénégal a le meilleur réseau et l’essentiel, c’est qu’on y réfléchisse et qu’on sache où on veut aller. Nous avons les Navétanes avec au moins 7000 à 8000 clubs.

Les Navétanes sont aujourd’hui dans la fédération mais est-ce qu’elles correspondent à l’idée que vous en aviez ?

Le problème, c’est la structuration. Les Navétanes se jouent en plein championnat. Alors que quand j’ai conçu les Navétanes, j’ai constaté que pendant l’hivernage, les étudiants et les élèves rentrent chez eux et profitaient de leurs vacances. Les phases départementales se déroulaient en grandes vacances, les Régionales aux vacances de Noël et la semaine de la Jeunesse était l’occasion de faire les phases nationales. C’est quand même possible, il suffit de s’y atteler. J’ai eu l’occasion d’intervenir pour le rassemblement de la famille footballistique. Je leur ai dit que c’est le moment de se pencher sur l’essentiel. Beaucoup de présidents de fédération ont eu des problèmes parce qu’ils ont confondu fédération et équipe nationale. Quand Ndoye (Ndlr : Mbaye Ndoye, ancien président de la Fédération sénégalaise de football) a eu des problèmes à la Fédération, il m’a dit : « Président, on nous attaque etc., il faut que tu interviennes ». J’ai dit : « Si j’interviens, tu es mort parce qu’il n’y a pas de championnat jusqu’en février. Moi, quand je m’occupais du football, dès le mois d’octobre, on jouait en Réserves, en juniors et en équipe première et régulièrement. Maintenant que tu as l’équipe nationale, on ne joue plus au football au Sénégal. Quel argument tu peux développer ? Aucun. Il n’y a pas de championnat, aucun joueur n’est ici. On va les chercher en Europe ». Aujourd’hui, refaire le mouvement sportif, c’est beaucoup plus facile. C’est une question de volonté politique. J’ai entendu dire qu’il y a eu un conseil présidentiel sur le sport. J’espère qu’on en sortira des conclusions. Mais si c’est pour faire une réunion de plus, on va continuer à tourner en rond. Il y a des dossiers sur lesquels on a réfléchi et qui ont été bouclés depuis 40 ans.

Justement, pouvez-vous revenir sur l’origine des navétanes ?

Déjà en 1966, j’avais bien étudié les problèmes de jeunesse. C’est moi qui ai créé les navétanes. Issa Diop de la Sénélec avait fait au Conseil économique et social un document formidable dans les années 1966 sur les problèmes de jeunesse du Sénégal. On était arrivé à la conclusion que les jeunes ont besoin de trois facteurs essentiels : formation, emploi et loisir. Concernant ce dernier volet, on a mis en place des structures de participation, communément appelées navétanes. Ses activités se pratiquent dans les quartiers, les villages et rassemblent toutes les personnes de sept à soixante-dix sept ans. Petit à petit tous les villages du Sénégal ont eu leurs clubs. Autour de ces équipes de navétanes il n’y a que le football. Pourtant on avait bien dit Association Sportive et Culturelle. On y avait même adjoint un « A » de plus qui signifiait Artisanat car le constat était que devant les mosquées, d’anciens bobineurs, tourneurs, tisserands…,chapelets à la main, se retrouvaient sans rien faire, puisqu’étant à la retraite. Ces retraités devaient être chargés de donner une formation et un métier aux chômeurs.

Avez-vous toujours votre carte de membre du Jaraaf de Dakar ?

Je suis Président d’honneur du Jaraaf. Je n’ai pas besoin de carte puisque je ne vote pas. Je suis le président d’honneur et quand il y a des problèmes, on m’en fait part.

Est-ce vrai que c’est vous qui avez parrainé Mbaye Thiam à l’époque où son camp s’opposait à celui de Wagane Diouf, l’actuel président du Jaraaf ?

Vous me voyez parrainer des camps ? Vous savez, au Foyer France Sénégal, on jouait au football le dimanche, le lendemain quand un joueur recevait 500 FCFA de quelqu’un, il le déclarait en réunion. Voilà le type de club qu’on a eu. On mettait tout sur la table. C’est de cette façon que j’ai été éduqué. C’est également de cette manière que je faisais la politique. Moi, je n’ai rien à cacher. Il y a des choses que j’accepte et des choses que je n’accepte pas. C’est tout. Alors parrainer un camp ? Je ne m’occupe même pas de camps. Des gens m’ont dit : « il faut que tu reprennes le club ». J’ai répondu : « j’aimerais bien. Mais à condition que vous compreniez une chose : vous ne pouvez pas élire un Comité directeur pour, ensuite, aller vous coucher ». Je ne suis plus membre du comité directeur depuis 2003. A l’Assemblée générale, je suis arrivé et j’ai dit : « écoutez, je suis là pour dix jours. Est-ce que vous voulez qu’on en reparle la semaine prochaine ? ». Mais la réponse a été négative. J’ai pris ma voiture et je suis reparti. J’avais quitté le Comité olympique, la confédération et j’étais content de ne plus être président de club. Maintenant, s’ils ont des problèmes avec leur club, je n’essaie même pas de savoir. Les résultats du Jaraaf ne me regardent pas. J’ai d’autres choses à faire.

En 2012, l’IAAF fête ses 100 ans. Quelles sont les difficultés actuelles de l’Athlétisme ?

Je pense que nous avons un sport qui ressemble à une science exacte. Le résultat de l’athlétisme, c’est la progression. C’est pourquoi j’ai fait, à côté, un peu de football. Quand on ne gagnait pas au football on disait que c’est le marabout qui n’était pas bon. Comme je gagnais sans saafara (mystiques), ce n’était pas le marabout qui n’était pas bon mais c’est moi qui n’étais pas assez bon au football (rires). En athlétisme, le potentiel du continent a toujours été énorme. On a créé la confédération en 1973 mais il faut dire que l’Afrique a déjà marqué un sacré coup en 1960. J’étais à Rome, je n’avais pas participé aux Jeux olympiques. Bikila (Ndlr : Abébé Bikila), pieds nus a remporté le marathon.Le Marocain Abdeslam Radi s’était classé deuxième. Mais c’est en 1973 que la Confédération africaine d’athlétisme a été créée. On m’a dit d’en prendre le conseil supérieur, autrement, c’est un fainéant qui était proche de l’Afrique du Sud qui allait s’en charger. Alors, j’ai accepté en janvier 1973 et je me suis trouvé confronté à un problème essentiel parce qu’au mois d’août, on m’a dit : « Nous avons la compétition Afrique-Etats unis et nous allons l’organiser en Afrique. Est-ce que le Sénégal est en mesure de le faire ? » Le président Léopold Sédar Senghor était disposé. Je lui en ai parlé, il m’a dit : « Comment on fait ? » Je lui ai dit : Avec Pape Gallo Thiam on peut refaire au stade Iba Mar Diop une piste avec six couloirs ». Il me dit : « Bon, allez-y ! ». On a fait un stade qui abrite le siège de la confédération, Afrique-Etats-Unis. Donc, à l’époque, on ne pouvait même pas prendre la parole à la fédération internationale. Il y avait des batailles terribles à mener. Il fallait donc qu’on trouve les moyens de développer l’athlétisme. Or, à l’époque, pour cette discipline, il n’y avait qu’une manifestation tous les quatre ans. En dehors de celle-ci, il n’y avait rien d’autre. Il y avait le Cross-country et une compétition de marche. Mais on n’était pas au Cross-country parce qu’on n’en avait pas les moyens. Donc, les autres gagnaient tout. Alors en 1977, après le boycott, on a créé, la Coupe du monde d’athlétisme et on a eu un bénéfice de 300 000 dollars consacrés au Fonds de développement et l’Afrique a eu 23%, c’est-à-dire 69 000 dollars. J’ai demandé aux sept zones de donner chaque année chacune 7000 dollars pour qu’on puisse organiser un championnat cadet, les 20 000 dollars devant servir à administrer la confédération. Maintenant, on a créé notre championnat du monde d’athlétisme et les cadets ont un budget annuel de 45 millions de dollars. (…)

Donc, les difficultés financières sont derrière vous maintenant ?

Cette année, j’ai eu beaucoup de difficultés parce que j’avais signé un contrat mirobolant avec les télévisions européennes en 2000 qui me rapportait 25 millions de dollars par an. Cependant en 2009, le contrat est arrivé à expiration. Au moment du renouvellement, la télévision européenne ne pouvait pas offrir plus de 13 millions de dollars et demi. Vous voyez la différence. J’ai refusé et il me fallait trouver un autre partenaire. Donc, on a eu des secousses terribles au niveau de l’IAAF. Le conseil a été très dur, les Européens montaient de petites cabales contre moi, mais on s’en est sortis quand même. Au niveau local, on a mis en place le Centre régional de développement que Amadou Dia Bâ (Ndlr : Sénégalais médaillé d’argent à Séoul 88) dirige. C’est pour les francophones. Il y en a un à Nairobi pour les Anglophones, un autre au Caire pour les Arabophones. De temps en temps Dia Bâ fait des stages pour les lusophones parce que nous n’avons pas encore réussi à implanter un centre chez eux. Nous avons créé en 1997 le centre de haut niveau pour rattraper le retard accusé dans certaines disciplines. Nous avons évolué et nous sommes devenus un sport où on peut gagner de l’argent. Il fut un temps où dans ce sport, l’argent était interdit. En 1971, lors de la compétition Afrique-Etats unis, on a discuté pendant deux heures pour savoir si on peut donner aux athlètes 5 dollars par jour. L’athlète ne pouvait pas avoir plus de 2 dollars d’argent de poche par jour. Ma position était qu’on pouvait donner 100 dollars pour 10 jours. On nous a rétorqué : « S’ils le reçoivent ils seront suspendus ». Maintenant, un athlète peut gagner 1 million de dollars. Sachant qu’ils peuvent gagner leur vie, il y a beaucoup d’athlètes qui s’engagent. Voilà ce qui a changé. Le drame qu’on a dans nos pays, c’est qu’on n’a pas assez de compétitions. Il est plus facile d’avoir une course de route qu’on appelle cross que d’organiser un championnat.

Les performances africaines dans l’athlétisme sont quand même exceptionnelles alors que notre pays ne s’illustre pas dans les grandes compétitions internationales.

C’est difficile en Afrique même s’il y a des perspectives. Si on prend par exemple le Sénégal, il y a un potentiel énorme dans ce pays. A l’époque, il y avait un fond de relance qui permettait de financer le sport, maintenant il n’y a plus rien. Il est donc difficile de développer l’athlétisme s’il n y a pas une option de mettre énormément de moyens dans la Fédération pour qu’elle puisse développer des compétitions au niveau national et régional. J’espère que cette situation va changer parce qu’on ne peut s’occuper éternellement de football. A titre d’exemple, pour une simple rencontre de football, on peut sortir 100 millions de FCFA, mais sortir 50 millions et subventionner une fédération pour développer ses activités, c’est la croix et la bannière. C’est un combat qu’il faut mener et j’espère qu’on va y arriver parce que le Sénégal a un potentiel extraordinaire. Nous avons ici beaucoup de possibilités. Amadou Dia Bâ n’est pas exceptionnel, il a été tout simplement bon mais il a failli louper sa carrière.

Vous voulez dire que le Sénégal a failli ne jamais remporter une médaille olympique ?

Amadou Dia Bâ a été médaillé olympique à l’âge 30 ans. Il pouvait l’être à l’âge de 22 ans ou 26 ans. Qu’est-ce qui s’est passé à cette époque (1988) ? J’étais simple député à l’Assemblée nationale et Landing Sané était ministre des Sports. On avait fait un budget pour les Jeux africains de 1987 et les Jeux olympiques de 1988. Mais quand Landing Sané est venu à l’Assemblée nationale, il n’y avait rien dans son budget pour les compétitions olympiques. Je l’ai interpellé sur les prévisions faites au Comité olympique. Il ne pouvait pas répondre. Heureusement, Moussa Touré (Ministre de l’Economie et des Finances) me dit : « M. le président, je réponds en Commission des finances. L’argent est en dépenses communes ». Ensuite, Moussa Touré s’est retourné vers le ministre des Sports pour lui dire : « l’argent est disponible mais si je signe un décret portant virement de crédit, il faudra que tu signes en même temps l’arrêté portant subvention du Comité olympique. De ce fait, l’argent ne reste pas au ministère parce que si l’argent reste là-bas je ne le donne pas. » On s’est mis d’accord. Il y a eu un décret transférant les dépenses communes et un arrêté portant sur la subvention. Nous avons pu faire un programme de préparation avec ce budget pour Nairobi et Séoul parce qu’il fallait que Dia Bâ se prépare dans de bonnes conditions. Il a gagné Nairobi et a failli gagner Séoul parce qu’il a pu bénéficier de moyens de préparation. Il était le seul à pouvoir gagner à cette époque. Si on avait un tel programme en 1984, il aurait déjà pu être médaillé à Los Angeles. En 1988, Abdoulaye Makhtar Diop devient ministre des Sports et refuse d’octroyer plus d’argent au Comité olympique. Il y a eu après les Jeux africains de Caire (1991) et les Jeux olympiques de Barcelone (1992) et il s’en est suivi une bagarre entre le Comité olympique et le ministre. L’argument de ce dernier est qu’il avait un budget serré qu’il voulait garder pour son fonctionnement.

Vous avez certainement constaté comme nous que le sport représente moins d’ 1% du budget national. Dans ces conditions, comment notre sport pourrait-il être performant ?

Avec cela, nous n’avons aucune chance d’aller de l’avant. On parle de sponsor en disant qu’il faut avoir de l’imagination, c’est de la rigolade parce que notre marché de sponsoring n’est pas très vaste. Le peu d’argent que nous avons va directement à la lutte qui est très populaire, donc même le football ne s’en sort pas. Le gouvernement doit se demander ce qu’il peut mettre en place pour les compétitions internationales et les fédérations. Si nous avons un athlète qui a un bon potentiel, on doit lui donner les moyens pour être champion du monde ou médaillé olympique. Il n’y en a pas 100 mais cinq ou six personnes qui ont ce potentiel. On parle mais les moyens ne suivent pas et ne permettent pas d’obtenir de bons résultats. J’ai l’impression qu’on est maudits.

L’Athlétisme mondial est toujours confronté à un grand fléau : le dopage. Vous êtes intransigeants sur cette question mais il y a toujours ceux qui passent entre les mailles des filets ?

Les gens semblent optimistes. Il faut être très vigilant parce que nous ne sommes pas des anges et il y aura toujours des problèmes. Nous avons créé des conditions pour lutter contre ce fléau. Quand j’arrivais à l’IAAF, il n’y avait que trois personnes dans ce département. J’ai porté finalement leur nombre à douze. Actuellement on dépense 3 milliards de dollars dans la lutte contre le dopage. On a souvent des cas de dopage qui peuvent coûter 300 mille dollars en contentieux. Pour ne plus recourir à un cabinet extérieur, on a dû prendre deux avocats pour plaider tous nos dossiers au Tribunal arbitral du sport (TAS ). Ce qui contribue à réduire nos dépenses. On avait sanctionné John Gog Gui, champion du monde à Séoul et cinq fois champion du monde de Cross country. En 1993 on lui a envoyé quelqu’un pour faire un test hors compétitions. Il l’a éconduit et il a été suspendu pour quatre ans. C’est au Congrès olympique que le CIO nous a demandé d’harmoniser les sanctions. C’est pourquoi on est revenu à deux ans. Dans un premier temps notre congrès a refusé avant d’accepter en 1997. C’est une bagarre continue parce qu’il y a de nouveaux produits diffusés malheureusement par le canal d’Internet. On a mis les athlètes devant leurs responsabilités. On est clair avec eux en leur disant : « vous êtes responsables de ce que vous prenez et ne venez pas nous dire que vous ne saviez pas que ce sont des produits interdits. Vous avez la possibilité de nous joindre à n’importe quel moment pour vérifier les produits ».

M. le président, le sport mondial est éclaboussé par plusieurs actes de corruption comme l’attestent les dernières affaires de la FIFA. On constate, cependant que ce sont toujours des dirigeants africains qui sont cités dans ces affaires de corruption. Est-ce que c’est leur choix qui pose problème ?

Il faut rappeler l’épisode de Salt Lake City qui a été terrible parce qu’il y avait eu des corrompus et des corrupteurs. Des dirigeants africains ont été pris au piège. Les corrupteurs qui étaient des Américains ont été blanchis. Il n’y a pas eu de suite. Il faut beaucoup faire également attention parce que les villes candidates aux compétitions sont prêtes à tout pour gagner l’organisation. Les Anglais disent que Issa Hayatou (président de la CAF) a touché de l’argent (20.000 dollars) pour l’anniversaire de la CAF. Et ils le publient à quelques jours de l’élection pour l’organisation de la Coupe du monde pour semer le doute. Heureusement, ils ont été virés dés le premier tour. Il faut vraiment faire attention. En 2018, on va élire la ville organisatrice des Jeux d’Hiver. La Corée et l’Allemagne vont chacun essayer de donner des mesures incitatives pour obtenir le vote des 105 membres du CIO. Mais, nous avons trouvé une formule pour contourner cette situation : nous convoquons tout le monde le même jour à Lausanne à huis-clos. On demande à chaque candidat de dérouler en 45 minutes son projet et de répondre aux questions en 45. Tous les membres du CIO sont informés le même jour et sont au même niveau d’information le même jour.
Quand la ville de Chicago est venue présenter sa candidature, j’ai dit aux Américains : « Vous êtes trop forts en athlétisme mais vous n’avez pas un seul stade olympique dans votre pays alors que l’athlétisme est le premier sport olympique dans votre pays. Expliquez-moi cette situation. Vous ne pouvez même pas organiser un Championnat du monde d’athlétisme cadet et vous avez le culot de me demander mon vote ? »

Vous voulez dire que vous êtes soumis à d’énormes pressions ?

Le président Barack Obama m’a appelé au moment du vote pour me dire : « je n’arriverai pas tôt pour vous voir mais Michelle (épouse du président américain) viendra vous voir ». J’ai vu la charmante Michelle pendant 20 minutes et devant les membres du CIO. Je lui ai réitéré mes inquiétudes. Quand on votait pour les prochains jeux d’hiver, on m’a annoncé que Vladimir Poutine (Premier ministre russe) voulait me rencontrer. Mais je lui ai dit qu’il fallait que je voie aussi les présidents autrichien et coréen. (Rires). J’étais très important. Quand je les ai vus, ils m’ont expliqué leur projet et m’ont demandé de voter pour eux. C’est assez difficile parce que la pression est extraordinaire du fait que les Jeux olympiques constituent une grosse affaire. Pour l’organisation des Jeux d’été, le pays d’accueil reçoit 1 milliard de dollars. Pour les championnats du monde on ne donne rien. Mais par exemple Londres va recevoir 1milliard 100 millions de dollars pour les droits de télévision parce que les dépenses sont énormes.

L’Afrique reste très performante en athlétisme. Mais, elle n’a jamais organisé une compétition mondiale.

Si elle a une bonne candidature, l’Afrique peut organiser une compétition olympique. Nous avions une bonne candidature avec Cap Town (Afrique du Sud). Malheureusement, ils ont commencé à se faire la guerre au sein du Comité d’organisation alors qu’on était prêt à les appuyer. Si les Africains ont une bonne candidature, ils peuvent l’organiser. Je pense par exemple à l’Afrique du Sud qui vient d’organiser la Coupe du monde de football. Les Sud africains peuvent l’organiser mais il faut aussi préciser que les Jeux olympiques sont plus difficiles à héberger que les Championnats du monde parce qu’il ne suffit pas de construire des terrains de football dans différentes villes. Les Jeux olympiques sont constitués de 28 disciplines sportives et une seule ville doit les abriter. Les Jeux olympiques changent complètement le visage d’une ville. Athènes et Séoul n’ont pas beaucoup dépensé, et elles n’auraient pas autant changé de figure si elles n’avaient pas organisé ces compétitions.

Quelle lecture faites-vous de l’hégémonie de la lutte sur les autres disciplines sportives dans notre pays ?

Je pense que c’est une bonne chose que notre sport traditionnel connaisse un tel engouement. Je n’y vais pas parce que je ne vois que des singeries dont on dit qu’elles font partie de notre tradition. Quand je suivais la lutte, les combats se terminaient au plus tard à 18 h. C’était du temps d’Abdourahmane Ndiaye Falang. Il luttait sans mettre du safara et il était élégant. Aujourd’hui, la lutte commence parfois à 21 h et il y a tout un folklore. Tant mieux, si ça peut développer notre tourisme. C’est bien parce qu’il y a des promoteurs, des sponsors et beaucoup de monde. Mais, est-ce que les lutteurs sont soumis aux tests anti-dopage ?

La Rédaction

LAGAZETTE.SN

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