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Maitre Golbert, présence, évanescance, essence (Par Dalla Malé Fofana PhD)

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Maitre Golbert, présence, évanescance, essence 

J’ai découvert El haji Alioune Badara Diagne, un soir, au Sénégal, à la télévision, avec, bien sûr, la pièce de théâtre Bara Yeggo. Golbert, un homme entier et riche, aux multiples talents. Il s’est aussi bien sûr illustré dans le journalisme. Mais, je n’ai pu l’observer, d’assez loin d’ailleurs, que dans le domaine du théâtre. Et il n’y est pas mal, non plus.  

J’ai été étonné de découvrir cet homme, là seulement, à la fleur de son talent. Mais en réalité, il a longtemps cheminé avec la troupe de quartier, puis Libidor, bien connue à Saint-Louis. 

L’incarnation d’un personnage

Alioune Badara Diagne est de ces acteurs qui incarnent ce qu’ils jouent. Le terme « incarner » porte encore sa racine latine « carnis » (pensons à carnivore ou charnier ou charnel), une reconstitution, de la matière, de la chair (pour un être) ou de l’essence (pour un trait de caractère). L’incarnation est le résultat d’une performance qui donne une idée expérientielle de la réalité ou de la personne représentée. 

Il s’agit de performances comme celle de Marion Cotillard qui ressuscite Édith Piaf dans La vie en rose, Ben Kingsley qui fit revivre Gandhi, le Mahatma (1982). C’est aussi et surtout une performance comme celle de Henry Czele dans Chaka Zulu. Cet éblouissant acteur parti en 2007, à l’âge de 58 ans, permit à tout un continent de pouvoir expérimenter la stature du plus grand stratège martial de l’Afrique noire. L’histoire de Chaka reste polémique, avec de grands enjeux politiques. On ne se rappelle même plus comment elle finit, mais le personnage fait l’unanimité…. Henry Czele a endossé  et fait revivre le personnage de Chaka au point que le peuple sud-africain refusait de le voir jouer dans d’autres films ou encore de faire de la publicité. 

C’est aussi l’exemple d’acteurs comme Denzel Washington. Avec le personnage de Malcom X, il a permis à beaucoup de jeunes de comprendre la réalité et la complexité de ce personnage, à la dimension très souvent simplifiée et caricaturée.

Au théâtre, Denzel Washington, une fois, joua le rôle d’un mari violent (Raisin in the Sun?). Dans une scène, où le personnage du mari s’apprêtait à charger, encore, sa victime, celle-ci mit par miracle la main sur l’arme  à feu de son mari. Denzel relève avoir entendu, sur scène, une dame, aux premiers rangs, tellement capturée par l’authenticité du jeu de rôle, qu’elle soufflait sans s’en rendre compte, « shoot him! shoot him! »  (tue-le!). Il remercia le ciel que ceci ne fût d’une fiction et que l’arme pointée vers lui ne soit qu’un jouet en plastique.

Un homme d’extrême et d’équilibre

Si vous avez bien remarqué, Bara Yeggo I, malgré son impact dans l’univers social sénégalais, a été joué dans un endroit clos. Il s’agit en fait d’une pièce de théâtre. La force des acteurs réside dans la capacité de transcendance pour nourrir l’imaginaire social.

Le rôle social de l’acteur est cela : provoquer un ressenti expérienciel de la situation représentée, capturer l’essence d’un individu ou d’une réalité pour que les jeunes générations comprennent et ressentent physiquement les aspects visés sans avoir à les vivre. Il aurait été dramatique qu’une victime doive vivre la violence conjugale pour ressentir ce que c’est, et de la prévenir, oh si bénéfique que l’agresseur comprenne la profondeur de ce mal pour ne pas l’infliger. Il aurait en effet été tragique qu’un jeune vive nécessairement l’enfer de la drogue pour avoir une idée claire de ses ravages. Un des mystères de la communication est de faire de sorte que la personne  à qui nous parlons ait une idée la plus précise possible de ce dont nous parlons. Imaginez  un parent qui parle à son enfant  et le prévient du danger de l’alcool, par exemple. Comment et pourquoi pensez-vous que ce jeune se retrouve à tenter l’expérience interdite malgré, ce que ses parents lui en ont dit, et malgré la confiance qu’il place en eux. 

Il ne suffit pas de parler d’overdose pour que quelqu’un en ait une idée parfaite: 1- Les mots comptent, 2- l’exemple de celui qui les émet aussi, ainsi que 3 – la réceptivité (ressenti) de celui qui les reçoit. C’est comme un alignement rare de planètes furtives.

Une des autres leçons que Alioune Badara Diagne nous a servie par son exemple de vie, est qu’il a su ne pas s’enfermer dans la fiction, ce qui l’oppose peut-être à certains acteurs auxquels, nous l’avons comparé.  Il avait, de son vivant, choisi la place où il souhaitait être enterré. Il achetait le linceul dans lequel il voulait être enveloppé. Il le donnait en offrande, et s’en procurait un autre, s’il avait eu le privilège de vivre jusqu’à la fin du mois.

Il cristallise et incarne, le dogme bien connu dans l’univers soufi qui est « travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais  mourir demain. Maxime presque impossible à réaliser pour une personnalité sous les feux de la rampe.

Un rôle social essentiel

Une des forces de la troupe Libidor, puis (Bara Yeggo), a été une intelligence sociale hors du commun. Imaginez la virtuosité avec laquelle, ils ont pu s’approprier une loi de la civilisation musulmane, sans heurter les sensibilités.

Cette troupe a réussi à illustrer et vulgariser sans caricaturer le principe du ba’da zawdj plus connu au Sénégal comme « baara sawudj » (un principe de glissement linguistique que je vais me retenir d’analyser) qui montre comment la civilisation islamique lutte contre la violence conjugale que ce soit une violence purement verbale (cf. al Mujaadalah) ou celle plus radicale qui mène au divorce (cf. al Baqarah, al Tahreem). Le but du Baada zawdj est de contraindre tout simplement un homme à réaliser que sa conjointe ne lui appartient pas, car cela existe, tout comme l’inverse apparait de plus en plus: une femme qui conçoit son mari comme sa propriété. La vie n’est pas simple….

On se rappelle la polémique que la troupe du Soleil Levant, dans la série Wiri-wiri, a connu en voulant illustrer les divergences dans certaines jurisprudences islamiques pour les cas du mariage nul ou non autorisé. L’erreur commise par cette troupe a été d’avoir fait intervenir des personnalités religieuses de profession dans la vie réelle (Oustaz Makhtaar Sarr et Ahmed Khalifa Niass) pour les opposer dans la fiction. Il n’y aurait pas eu de problème, s’ils avaient pris de vrais acteurs. En prenant des personnalités qui ont un rôle réel dans le culte  et les inclure dans un échafaudage fictif, ils amènent les populations à vivre une crise d’interprétation et de représentation.

C’est heureux de voir que Alioune Badara Diagne a été approché dans le téléfilm Wiri-wiri pour revigorer la civilisation de la vie de couple.

Une performance hors du commun

Alioune Badara Diagne a connu la réalité de l’interprétation parfaite. Pour son rôle dans Bara yeggo, il s’est fait souvent apostropher, et même agressé physiquement par des femmes. Le summum de cette situation est sûrement le fait de se faire balancer un poisson dans le dos, dans le marché au poisson, par une vendeuse outrée par le calvaire qu’il faisait vivre à celles qui lui donnaient la réplique de fort belle manière dans le téléfilm : Mame Séye Diop, paix à son âme, et Marie Madeleine Valfroy Diallo.

Vous rappelez-vous quand son personnage est rentré chez lui à midi avec un poisson de taille et a exigé de son épouse qu’elle le prépare immédiatement, car il ne concevait pas, à cette heure-là de la journée, midi, manger autre chose que du « ceebu jeun » ? Y lisez-vous, entre autres, l’idiosyncrasie du sénégalais qui ne peut se départir de ses habitudes alimentaires?

Alioune Badara Diagne a livré une performance en or, pour tous les hommes face à leur épouse. La renaissance de la sacralité du mariage, la compassion de l’homme, la patience de la femme, tout un équilibre, dans le sacre de la foi. En incarnant le genre de mari-roi, d’un caprice intenable, il a enseigné la compassion en montrant ce qu’elle n’est pas…On n’enseigne pas une qualité en l’exposant nécessairement. En illustrant son opposée, vous enseignez ce qu’il n’est pas, et vous laissez la liberté à tout un chacun de personnifier le sentiment visé et de le vivre authentiquement selon ses principes et valeurs.

L’Islam a érigé de redoutables barrières pour protéger la femme. En effet, en tant qu’enfant (son éducation garantit le succès suprême de ses parents), en tant qu’épouse (la manière dont un époux la respecte représente la moitié de sa foi), puis en tant que mère (l’enfant ne gagne la félicité que par la satisfaction de sa mère) …

Dans le téléfilm Baara yeggo, scénario écrit par le journaliste Daouda Guissé, Alioune Badara Diagne illustre à la perfection les libertés d’un mari difficile à vivre, avec les dégâts et blessures qu’il peut semer autour de lui, ainsi que le danger qu’il constitue pour son entourage et pour lui-même.

On est dans la fiction

Malheureusement, il existe encore, de ce genre-ci, dans la vie réelle, cette fois-ci.  Des hommes avec un des rares comportements qui peut émouvoir ou énerver le placide Oustaaz Alioune Sall. Le respecté patriarche, un jour, excédé, ne put s’empêcher de lâcher dans sa barbe blanche:  » comment un homme peut-il s’occuper de détails de décoration, au point de divorcer sa femme pour une histoire de pot de fleurs !! »

Si la vie d’acteur d’Alioune Badara Diagne devait servir à quelque chose, en tout cas pour moi, ce serait celle-ci : la compassion de l’époux. Puissions-nous tous en apprendre. Ce serait le plus petit hommage à rendre à ce grand acteur.

Malé Fofana PhD

ComUnicLang-Bataaxel

Cabinet de communication

Linguistique, Sciences du langage et Communication

Sherbrooke, Québec, Canada

https://www.comuniclang.com/
Dalla Malé Fofana PhD
ComUnicLang  Linguistique, Sciences du langage et Communicationhttps://www.comuniclang.com/

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