Par Moubarack LO
Président du Mouvement pour un Sénégal Emergent (MOUSEM)
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» La force de la cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens. » (Thucydide)
Le virus du COVID-19 continue de se répandre dans le pays, par le biais de la transmission communautaire. Ceci préoccupe tout citoyen soucieux du devenir de son pays.
Le Sénégal, qui avait renversé, au 8 avril 2020, la courbe des cas sous traitement (les cas confirmés moins les personnes guéries et les décès), a vu la trajectoire de la maladie reprendre vers le haut depuis cette date. Il n’est donc pas étonnant que son classement mondial, pour l’indice de sévérité du COVID-19, développé par le Bureau de Prospective Economique (BPE), soit passé de la troisième à la onzième place, entre le 8 et le 18 avril 2020.
Cette place honorable, même en retrait, le pays la doit à sa stratégie de prise en charge précoce des cas suspects (qui sont confinés dans des établissements hôteliers et plus rarement chez eux) et des malades confirmés, ainsi qu’à l’application de bons protocoles par nos vaillants médecins et personnels de santé qui démontrent ainsi leur talent à la face du monde. Le taux de guérison au Sénégal est supérieur à 50% tandis que le taux de létalité (le pourcentage de décès) représente aujourd’hui 1,2%, selon les chiffres officiellement publiés. La pandémie du COVID-19 demeure ainsi à sévérité très faible dans le pays.
Toutefois, cette performance du sénégal est aujourd’hui gravement menacée par l’accélération des nouveaux cas confirmés ; faisant peser une pression potentielle énorme sur nos structures sanitaires qui sont celles d’un pays en voie de développement, malgré les prouesses de notre personnel médical.
De fait, les cas dits communautaires sont devenus l’alpha et l’oméga de la menace qui plane sur le pays. Ils se chiffrent officiellement, à ce jour, au nombre de 55. Mais chacun de ces cas possède de nombreux contacts et le gros lot des nouveaux infectés se recrute parmi ceux-ci ; un seul cas communautaire pouvant transmettre le virus à plus de vingt personnes et plus, comme on l’a vu dans certains endroits du pays. Et, rien ne dit que d’autres cas communautaires et plusieurs autres contacts ne circulent pas dans la société, sans qu’ils soient connus par les services de santé à la base.
Le pays vit donc dans une grande incertitude qui ne peut générer qu’une inquiétude pour les populations et un vrai risque sur leur santé.
L’heure est donc venue de changer de paradigme, afin de gagner durablement la bataille de la transmission communautaire du COVID-19, en mettant en œuvre trois règles d’or.
La première règle d’or, c’est la maîtrise de l’information sur la circulation réelle du virus au sein de la société.
A la date du 23 avril 2020, le Sénégal compte officiellement 479 personnes atteintes du COVID-19, dont 257 sont guéries, 6 sont décédées, une est évacuée et 215 sont sous traitement. Globalement, le taux d’infection demeurerait donc extrêmement faible et resterait très en deçà des niveaux de morbidité enregistrés par le pays pour certaines maladies comme le paludisme (taux de prévalence parasitaire de 0,4% en 2017 selon les résultats de l’EDS continue; l’équivalent de 650.000 personnes en 2020, contre 479 seulement pour le COVID-19).
La découverte quotidienne de nouveaux cas communautaires et de leurs contacts renseigne que le chiffre de cas positifs au Covid-19 pourrait être plus élevé au sein des communautés. De fait, le caractère hautement asymptotique de la maladie la rend invisible pour 80,9% des personnes atteintes qui développent une forme bénigne, selon les résultats d’une grande étude menée en février dernier par le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, sur un échantillon de 72.000 personnes. La même étude a découvert que 13,8% des malades développent des formes graves (qui nécessitent une hospitalisation ou des soins particuliers) et seuls 4,7% des cas deviennent critiques et génèrent éventuellement des décès.
Les hôpitaux sénégalais n’étant pas surchargés ces dernières semaines par des cas graves de COVID-19 inconnus des services (on l’aurait su s’il en était autrement, dans cette société de l’information immédiate et des réseaux), l’on peut penser que les cas critiques inconnus sont quasi-nuls et que les statistiques officielles concernant les cas graves sont très proches de la réalité. Le grand défi demeure donc les cas asymptotiques qui peuvent générer des cas positifs développant des formes graves chez certaines personnes à risque (les personnes âgées et/ou atteintes de certaines pathologies).
Le Sénégal doit donc déployer, hic et nunc, une stratégie offensive pour traquer et dénicher les cas asymptotiques au sein des communautés. A cet effet, il urge de mener des dizaines de milliers de tests sérologiques, notamment dans les « Clusters » qui concentrent actuellement la maladie (Dakar et sa région, Touba, Louga, Goudiry, Ziguinchor), afin d’identifier les éventuels cas asymptotiques et ceux qui ont pu développer des anticorps contre le Covid-19 parce qu’ils ont été, à un certain moment, l’hôte du virus, peut-être sans le savoir.
La seconde règle d’or, c’est la mise à niveau des structures sanitaires de base.
Selon l’indice de sécurité sanitaire mondiale (GHS Index), développé par l’Université John Hopkins des Etats Unis, le Sénégal était, en octobre 2019, moyennement préparé à faire face à une épidémie ou à une pandémie du type du COVID-19. Il se situait au 95ième rang mondial sur 195 pays, avec un score global de 37,8 sur 100. Sa meilleure note est obtenue dans la catégorie « Normes » (pour laquelle, le pays se classe au 47ième rang mondial ; ce qui est excellent pour un pays en développement) et ses plus faibles notes concernent les dimensions « prévention » et « détection ». Le pays est également très mal noté (192ième rang sur 195) pour ce qui concerne la capacité sanitaire dans les structures de santé, du fait notamment du manque de personnel suffisant et de la faiblesse des équipements de tests.
L’Etat sénégalais, dans le cadre de la riposte au Covid-19, a dégagé des ressources, à hauteur de 64 milliards de FCFA, pour renforcer les équipements et prendre en charge les dépenses courantes, y compris le recrutement temporaire de personnels de santé ou auxiliaires. Il a également reçu des dons de matériels de protection et de tests en provenance des partenaires au développement. Ceci permettra sans doute de combler, en partie, le gap constaté ci-dessus. Mais, il faudrait sans doute aller beaucoup plus loin et engager, dans les fonds du COVID-19, beaucoup plus de moyens financiers pour mettre à niveau durablement les structures de santé à la base qui manquent encore d’énormes ressources humaines et matérielles. J’ai pu m’en rendre personnellement dans une visite impromptue effectuée récemment dans certains postes et cases de santé de la commune de Niomré dans le département de Louga. Or, ce sont ces structures à la base qui sont les premiers contacts des malades éventuels et ce sont leurs responsables qui les orientent vers les structures de référence, y compris pour le coronavirus. Et, aujourd’hui, l’urgence absolue est de sauver des vies, en plus de permettre aux ménages de pouvoir s’alimenter convenablement. L’Etat devrait donc profiter de l’élan du COVID-19 pour mettre sur pied un plan ambitieux de modernisation de toutes les structures sanitaires niveaux (cases de santé, postes de santé, centres de santé, hôpitaux de rang 1, 2 ou 3), en les dotant de personnels adaptés, de matériels de protection en nombre suffisant, d’équipements (y compris des ambulances médicalisées), de médicaments, de toilettes, d’eau et d’électricité.
La troisième règle d’or, c’est la responsabilisation des citoyens et des communautés.
La première ligne de défense contre la transmission communautaire est constituée par les populations. Ce sont elles qui doivent s’auto-discipliner en premier et suivre les instructions reçues des Autorités. Car, aujourd’hui, le pays est mobilisé pour la bataille contre le coronavirus. Le vote de la loi d’urgence, mesure exceptionnelle, en est une preuve. L’instauration du couvre-feu et les limitations de mouvement de personnes et de véhicules aussi. Mais, le confinement, qu’il soit partiel ou total, ne suffit pas pour faire remporter la guerre contre le COVID-19. Chaque citoyen doit s’engager et se dire qu’il lui revient de servir de barrière à la maladie, en portant systématiquement un masque et en respectant les normes de distanciation sociale. Chaque famille, chaque communauté de quartier doit être à l’avant-garde de la lutte et signaler très vite les cas suspects aux structures de santé, si les personnes concernées refusent de le faire.
Une stratégie de communication intense doit être déployée dans les quartiers et les villages, pour convaincre les populations d’adopter les bons comportements. Les forces de défense et de sécurité, sous la coordination des autorités administratives territoriales, doivent être mobilisées tout le jour durant, et pas seulement la nuit, pour veiller aux normes de distanciation sociale au sein des communautés.
Ainsi, le pays pourra très vite sortir, la tête haute, du combat contre la transmission communautaire et du confinement, et retourner au travail pour favoriser l’émergence du Sénégal et la qualité de vie pour tous.