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L’Afrique, le dernier Mohican peut-elle renaître des cendres de la Covid-19 ? (Par Dr. Ibrahima SEYDI BA)

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Introduction

Aussi loin qu’on remonte dans le temps, l’histoire nous offre des témoignages de crises sans précédent auxquelles l’humanité a été confrontée de manière cyclique. Leur dimension, leur gravité et le chaos qu’elles ont instaurés durant leur passage varient d’une époque à une autre, d’une société à une autre et leurs manifestations ont recouvert plusieurs visages. Ces crises peuvent apparaitre sous formes de guerres, de catastrophes naturelles ou d’épidémies et, telles un sphinx , elles parviennent toujours à échapper au contrôle des hommes, faisant de nombreuses victimes.
Et pourtant, quelle que soit la profondeur de ce mal, les sociétés humaines ont toujours su trouver la force nécessaire à leur résilience. Tout se passe comme si un être supérieur voulait les purger de leurs tares, de leurs vices et de leurs excès. Théologiens, hommes de science ou citoyens simples, tous ont tenté de comprendre ce qui est à l’origine de tels fléaux. Le dernier en l’espèce est l’épidémie du Coronavirus partie de la Chine, de la ville de Wuhan et qui, comme une trainée de poudre s’est propagée à travers le monde se transformant ainsi en pandémie. Ses victimes se comptent par milliers et ses conséquences sur le plan économique, social et politique risquent, si une solution n’est pas trouvée au plus vite, de conduire le monde dans un gouffre.
S’il est aujourd’hui permis de ne pas être trop pessimiste, alors il faut penser à l’après Covid-19, à un nouveau ordre mondial où de nouveaux équilibres seront réinventés sur tous les plans pour donner au monde la capacité de se recréer et de se réorganiser face à n’importe quelle épreuve dans l’avenir.
Dès lors, il est légitime de se poser un certain nombre de questions : comment le monde parviendra-il à se relever d’une telle pandémie ? L’Afrique peut-elle sortir résiliente d’une telle crise et prendre un nouveau départ pour sortir de sa situation de dépendance ?
Réfléchir sur la pandémie du Covid-19 nous amène à faire un petit rappel des crises similaires auxquelles l’humanité a été confrontée dans le passé et à propos desquelles les savants, les scientifiques, les spécialistes du corps médical, la société dans toutes ses composantes ont tenté de donner une explication sans toujours aboutir à des réponses concordantes. Si les peuples parviennent souvent à sortir saufs mais affaiblis de ces dures épreuves en dépit des ravages qu’elles ont causés, alors pour éviter que ce jardin terrestre soit privé des fruits vermeils qui doivent assurer sa renaissance, il faut repenser un nouvel ordre mondial où rien ne sera plus comme avant.

I- La Covid-19 : Punition divine, « bêtise » humaine ou processus naturel ?
L’homme a toujours tenté de trouver des explications aux malheurs qui frappent le monde. En effet, les causes de ses maux, ont toujours été l’objet d’interprétations et de commentaires des mortels. À côté des arguments religieux, les esprits plus cartésiens défendent des thèses plus rationnelles. Ainsi adeptes des religions et défenseurs de la science, chacun a ses convictions.
Les premiers pensent que les pandémies telles que le Coronavirus pourraient être les signes d’un effondrement des modes de vie et de notre planète telle que nous la connaissons. Celles-ci existent pourtant depuis des millénaires et les exégètes des différentes religions révélées telles que le Christianisme et l’Islam, s’appuyant sur les textes sacrés , ont toujours fait une relecture de ces événements dans une autre perspective que celle terrestre.
En général, les religions monothéistes considèrent le présent historique de l’épidémie ou de la peste comme signes annonciateurs de la fin des temps ou eschatologie. En effet, ces maux traduiraient tout simplement la colère de Dieu indigné par les péchés perpétrés par l’homme sur terre. Cette vision théologique du monde peut se justifie car, avec un passé constitué de fautes qu’il faudra expier, un présent marqué par la maladie, on se projette aisément dans un futur annonçant la fin des temps.
À l’opposé de cette pensée religieuse qui justifie les malheurs par la colère d’un Dieu tout puissant, la pensée moderne leur trouve des explications plus scientifiques.
Pourtant, l’agent responsable de la pandémie, le Coronavirus n’est pas étranger à l’humanité. Il appartient à une famille de virus susceptible de provoquer des maladies plus ou moins graves. L’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) survenue en Chine en 2003, celle de MERS apparue en Arabie Saoudite en 2012 avaient déjà été causées par un Coronavirus. Celui que le monde scientifique a baptisé SARS-CoV-2 connu désormais sous le nom de Covid-19 est apparu une seconde fois en Chine le 17 novembre 2019. Mais les points de vue des spécialistes de la science divergent quant à sa provenance. Certains doutent de son origine naturelle et affirment qu’il est le fruit d’une manipulation humaine : bioterrorisme, théorie du complot, virus échappé d’un laboratoire, les avis sont à la fois nombreux et discordants.
Le Professeur Weifeng , montre que cette dernière thèse est aussi fallacieuse et gratuite que les deux premières. Ses défenseurs partent d’une caractéristique particulière : celle de l’existence au sein de l’agent pathogène d’une insertion d’acides aminés qui pourrait confirmer la thèse d’une manipulation humaine.
Dans son article « Coronavirus : de nouvelles preuves qu’il est d’origine naturelle » , Nathalie Mayer, partant des études du professeur montre en quoi la thèse d’une origine humaine de la Covid-19 relève de rumeurs non fondés. Selon cette journaliste d’investigation celle-ci est bien d’origine naturelle. Le fait que ses insertions soient similaires mais pas identiques à celles observées sur le SARS-CoV-2 indique qu’elles se sont produites lors d’événements indépendants. Par conséquent, de tels événements qui semblaient très inhabituels peuvent bien se produire naturellement. Et les chercheurs d’en conclure que le RaTG13 reste le Coronavirus le plus proche du SARS-CoV-2.
Cependant, considérant l’ensemble des génomes, ni le SARS-CoV-2, ni le RaTG13 ne sont ancêtre direct de celui qui inquiète aujourd’hui l’humanité. Toutefois, peut-être l’échantillonnage de plusieurs espèces pourrait permettre de trouver un ancêtre du SAR-CoV-2 et comprendre comment il a émergé chez l’homme, supposent Weifeng et son équipe.

II- Un monde en chaos
D’une simple endémie, Le Coronavirus plus connu sous l’appellation de Covid-19, s’est vite muée en pandémie. Surprises par une maladie dont la puissance de propagation a dépassé les spécialistes de la science et de la médecine, l’Amérique, les pays d’Europe et d’Asie seront impuissants devant ce « virus couronné » par on ne sait quelle force du mal. Telle la peste et ses ravages dans l’œuvre d’Albert Camus qui porte le nom de cette maladie, des milliers de morts sont chaque jour dénombrés. Ceux qui sont les plus touchés sont les personnes âgées dont le système immunitaire est vacillant ou les patients atteints de maladies chroniques. Le continent africain qui semble être le dernier des Mohicans n’est pas aussi épargné par l’infection à Coronavirus : le Sénégal, le Maroc, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, la liste est loin d’être exhaustive, seront aussi frappés de plein fouet. Le bilan des flambées pandémiques et des morts est terrifiant selon l’O.M.S (l’Organisation mondiale de la santé).
Les pays de l’Afrique de l’Ouest semblent pour le moment les moins touchés. Malgré tout, l’environnement quotidien est complètement déstructuré dû à l’isolement des malades et la mise en quarantaine des cas suspects. Partout dans les grandes villes affectées par la pandémie, les établissements scolaires, le transport, le commerce, l’administration sont quasiment paralysés, des mesures hardies sont prises pour contenir la pandémie. Au Sénégal, le chef de l’Etat monte au créneau et arme ses troupes pour affronter l’ennemi invisible, l’Etat d’urgence est décrété, une loi d’habilitation votée et un budget de 1000 milliards doit être reunis comme butin de guerre. La population sénégalaise comme un seul homme se range derrière le « général président » pour lui apporter tout le soutien nécessaire. Acteurs de la santé, partis politiques, société civile, chefs d’entreprise, chefs religieux et coutumiers, artistes, tous sont déterminés à « découronner » le virus, terreur de la population. Des mesures barrières sont recommandées et le port du masque exigé.
Mais les menaces de la famine, de la récession économique viennent tempérer les ardeurs. La distribution des vivres pour calmer la souffrance de la population ne peut résister à la pression des masses populaires habituées à chercher leur subsistance au jour le jour. L’Etat est obligé de lâcher du lest. Il faudra alors, par un assouplissement progressif des mesures prises au départ, apprendre à vivre en présence du virus en adaptant nos comportements individuels et collectifs en fonction de l’évolution de la maladie.
Seulement, le virus semble ne pas se laisser apprivoiser par l’homme. Pour vivre avec lui, il faut une stratégie de guerre clairement peaufinée et non pas du tâtonnement ou de l’improvisation. Les conditions dans lesquelles les enseignants ont été convoyés pour la reprise des cours montrent l’échec total d’un système mal élaboré. On ne vit pas avec un virus, on doit l’anéantir. Des lors, il faut plutôt « apprendre à vivre contre le virus ».

III- L’Après Covid : un nouveau monde est possible.
Comme les autres pandémies dont l’humanité a été victime, celle du Covid-19 se propagera, atteindra son pic, faiblira avant de disparaitre. Cette disparition pourra être précipitée par l’action de l’homme à travers les mesures barrières et d’hygiène ou par l’invention d’un vaccin ou d’une thérapie efficace. Cependant, même si le mal arrivait à être vaincu, le monde devra faire face à une crise multidimensionnelle et les pays africains doivent désormais prendre conscience de l’impérieuse nécessité de mettre sur pied une politique sanitaire capable de faire face à de telles épreuves à l’avenir.
Dès lors, l’Agence de développement de l’Union africaine doit mettre une stratégie efficace pour accompagner le relèvement du niveau du système sanitaire des pays africains et anticiper les réponses à apporter pour que l’histoire ne se répète pas. Même si on ne peut minimiser les efforts entrepris par l’Union africaine et le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, (Africa CDC), ces organismes et structures ne doivent pas attendre que la crise nous tombe sur la tête pour créer un fond de réponse Covid-19. Ce fond de riposte doit être permanent. L’Afrique sur le plan sanitaire est trop dépendante de l’extérieur. Pour garantir une souveraineté sanitaire Ibrahima Assane MAYAKI propose de se doter de ses propres filières pharmaceutiques. Il note que La pénurie que l’on a pu observer est malheureusement la conséquence de la dépendance de l’Afrique à l’égard des génériques et des principes actifs importés . La santé dans la majeure partie des pays d’Afrique a toujours été le parent pauvre comparée aux autres secteurs à vocation purement politique. Les pays africains, le Sénégal en premier devront augmenter de manière conséquente le budget alloué au secteur de la santé et dorénavant doter chaque région d’infrastructure médicale de dernière génération. Les grandes villes comme Dakar, doivent disposer de centres virologiques modernes et les agents de santé, ces vaillants soldats qui mettent leur vie en danger pour sauver des vies doivent voir leur statut valorisé.
L’avènement du Covid-19 a aussi prouvé que les pays africains regorgent de potentialités énormes sur le plan des ressources humaines. La jeunesse africaine a fait preuve de créativité surtout dans le domaine technique et scientifique. Dans les universités et autres instituts, des gèles hydro-alcoolisés fabriqués, des appareils respiratoires, des rebots humanoïdes dont la tâche est de distribuer nourriture et médicaments aux malades inventés, des milliers de masques confectionnés sont la preuve que si cette jeunesse, fine fleur de toute société bénéficiait d’un peu plus d’encadrement et de financement, les pays africains n’auraient rien à envier aux pays développés.
À cette affirmation de la jeunesse africaine, il faut apprécier à sa juste valeur l’engagement et la détermination de jeunes chefs d’Etat nés après les indépendances dont les prises de position assez courageuses annoncent déjà la fin d’une certaine dépendance vis-à-vis des pays occidentaux. En dépit des réticences de l’OMS et du refus des lobbies pharmaceutiques de reconnaitre les effets thérapeutiques de l’hydroxychloroquine, ces dirigeants africains ont décidé de l’utiliser. Les positions assez courageuses du président de Madagascar Andry Rajoelina sur l’utilisation du Covid-Organic annoncent une nouvelle ère où l’Afrique devra compter sur elle-même avant tout.
Sur le plan de l’éducation, le focus doit être mis sur le recours au numérique qui doit assurer la continuité des enseignements-apprentissages. Dans cette époque postmoderne, on ne peut comprendre que l’Etat du Sénégal procède à la fermeture systématique des Établissements d’Enseignement Supérieur publics (EES publics) et les Écoles Privées d’Enseignement Supérieure (EPES) dans sa stratégie de lutte contre la pandémie. Environ 200 000 étudiants dans ces institutions sont aujourd’hui privés d’enseignements-apprentissages et de formations, compromettant ainsi leur éducation, leur avenir et le devenir de notre chère Nation. Des plateformes performantes déjà existantes pouvaient être expérimentées. Il est impératif de s’engager vers une généralisation et une institutionnalisation de l’enseignement à distance. Cette politique doit s’accompagner d’une mise à disposition d’infrastructures technologiques fiables. Le slogan un étudiant, un ordinateur doit etre une réalité. Des Instituts de Formation Professionnelle tels que l’I.S.M (l’Institut Supérieur de Management) de Dakar ont déjà réussi ce pari de la formation en ligne et se sont montrés très résilients face au Covid-19.
Sur le plan politique et économique, les pays africains doivent entreprendre des réformes audacieuses pour renforcer l’intégration de leurs économies et libérer le potentiel de croissance endogène. Alors qu’en période de crise, les pays occidentaux ont la capacité de faire de larges tirages de billets de banque pour faire face à la pandémie, ceux de l’Union africaine pensent à envoyer des émissaires pour développer un plaidoyer efficace en faveur d’un moratoire sur le service de la dette des pays pauvres à défaut de son annulation. Ce moratoire a d’ailleurs été accordé par le G20 Finances lors de sa réunion du 15 avril 2020.
L’Afrique doit sortir du cycle infernal de la dette en développant une véritable souveraineté monétaire, une monnaie unique dont la valeur par rapport aux autres pourrait mieux soutenir les objectifs de croissance économique et de création d’emploi. Une monnaie dont le régime de change sera flexible et sans encrage à l’Euro. Cela suppose une Banque centrale forte sous contrôle démocratique exclusif des États, capable de maitriser l’émission monétaire, les taux d’intérêt, de décider du cours de la monnaie et du change.
Sur le plan alimentaire, avant la pandémie du Covid-19, un rapport du Programme alimentaire mondial informait que 73 millions d’Africains souffraient d’insécurité alimentaire. On peut imaginer alors aisément comment le système alimentaire est fragilisé par cette maladie. L’Afrique doit cesser d’importer l’essentiel de ses besoins de consommation et se lancer résolument vers une politique agricole et industrielle véritable. Chaque région du Sénégal devrait être érigée en pôle agro-industriel en rapport avec ses potentialités naturelles : le mil , le mais au sine Saloum et dans le reste du Sénégal, la culture du riz en Casamance et dans la vallée du fleuve Sénégal, l’exploitation et la transformation de la pomme d’acajou à Kolda, de la mangue à Ziguinchor et le reste de la Casamance, du coton à Tambacounda, de l’arachide et de ses dérivés dans le Saloum, l’agroalimentaire à Saint-Louis, etc., autant de potentialités qui pourraient nous rapporter une forte valeur ajoutée dans le domaine de l’exportation si de véritables unités industrielles de transformation existaient.
CONCLUSION
L’avènement du Covid-19 nous a rappelé la faiblesse de la nature humaine. Aussi bien les puissances mondiales que les pays pauvres, tous ont compris que l’humanité peut basculer dans un chaos sans précèdent si elle continue à être obnubilée par une compétition aveugle et effrénée au nom du progrès. Il est temps pour les habitants de notre planète de marquer un temps d’arrêt et faire le tribunal de leur conscience pour éviter certaines dérives. Aujourd’hui avec la mondialisation, les frontières sont abolies et le monde est interconnecté. Aucun pays ne peut assurer sa survie en vase clos. Dès lors toute invention et toute recherche de quelque domaine qu’elles puissent être, doit prendre en compte les répercutions et les conséquences qu’elles peuvent provoquer dans le monde. Un nouvel ordre mondial est possible à condition que les pays développés d’une part parviennent à tirer des leçons de vie sur cette pandémie qui continue à ravager la population mondiale. De l’autre, Les pays africains doivent aussi prendre leur destin en main sans toujours tout attendre des autres. L’Afrique n’est pas un continent pauvre, elle est appauvrie. Tous les peuples doivent militer pour un monde plus juste et plus équilibré.

Dr. Ibrahima SEYDI BA, Professeur de Lettres Modernes
Au Lycee Taïba I.C.S de MBORO
Chargé d’Enseignements à l’UCAD
Formateur a l’I.SM / Dakar.
Cadre PASTEF/ Membre de l’École du Parti.

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