Orphelin de sa figure de proue disparue le 12 août 2019 dans un accident de moto à Abidjan, le coupé décalé doit inventer l’après-DJ Arafat. À l’occasion des cérémonies organisées pour célébrer ce premier anniversaire, RFI Musique revient sur cette année de transition et dresse un état des lieux des candidats à la succession.
Allusion délibérée ou simple coïncidence chorégraphique ? Quelques pas de danse de la chanteuse américaine Beyoncé dans le clip de sa nouvelle chanson Already ne sont pas passés inaperçus. À peine la vidéo venait-elle d’être mise en ligne ce 31 juillet que déjà la séquence était disséquée, examinée de près sur le Web et les réseaux sociaux. Et le verdict, sans appel : aucun doute, il s’agit d’un hommage à DJ Arafat et son titre C’est moi, rendu par la star internationale qui a joué la carte africaine sur son précédent album The Lion King : The Gift.
Le souvenir de l’artiste ivoirien, un an après l’accident qui lui a coûté la vie, reste un sujet qui continue de déclencher les passions. La fièvre, qui s’était notamment manifestée lors des funérailles du Yôrôbô, n’est guère retombée : prononcer son nom, c’est souffler sur des braises encore incandescentes sous douze mois de cendres. La « Chine » et les « Chinois », comme il appelait son fan-club et ses membres, lui sont demeurés fidèles : sa page Facebook compte toujours près de 2,5 millions d’abonnés ! Un bémol, toutefois : les titres posthumes Peter les plombs, en combinaison avec le rappeur camerounais Tenor, et Kong n’ont pas explosé les compteurs à leur sortie cette année – où l’attention s’est surtout focalisée sur la Covid-19, laissant peu de place à la culture en général et la musique en particulier.
L’onde de choc provoquée par la disparition tragique du chanteur aux innombrables surnoms a jeté le monde du coupé décalé dans une forme de prostration abyssale. Les réactions de certains acteurs en témoignent : considérée comme la « première dame » du mouvement et revendiquant l’influence d’Arafat, Claire Bahi explique sur scène quelques semaines après le décès de celui qu’elle voyait comme son modèle et son mentor qu’elle change de vie et abandonne « la musique profane » pour se tourner vers un autre registre : « Chanter à la gloire de Dieu ».
Six mois plus tard, c’est au tour de Molare d’annoncer sur les réseaux sociaux : « À partir de maintenant, cherchez un nouveau boss du coupé décalé. Je me retire. » Figure historique de ce style musical et ancien compagnon de route de son premier leader Douk Saga mort en 2006, il entretenait avec son « petit frère » DJ Arafat des relations notoirement tendues, au point d’être mis en cause par les supporters de ce dernier qui lui reprochent d’avoir cherché à organiser un boycott de leur idole.
Sheney et Obiang, les clashs
Dans un premier temps, Ariel Sheney a lui aussi accusé le coup, faisant savoir que ses prestations étaient « suspendues ou reportées à des dates ultérieures ». À 30 ans, il fait partie de ceux vers qui aujourd’hui les regards se tournent lorsque se pose la question de la succession artistique d’Ange Didier Houon, le nom à l’état civil de DJ Arafat.
Ancien musicien de l’orchestre de la RTI (Radiodiffusion Télévision ivoirienne), institution du paysage musical local depuis plus de quarante ans, il a été durant quelques années un des membres actifs de la Yorogang, ce collectif structuré mis en place autour et au service de l’enfant terrible du coupé décalé. De protégé, il est passé ensuite au statut peu enviable de traître peu de temps après avoir démarré une carrière solo, faisant de l’ombre au maître avec sa chanson Amina qui a pulvérisé en 2019 les records de ses concurrents sur Internet.
Autre prétendant, Safarel Obiang incarne également la relève. Celui qui a été invité en 2019 par le prince de la kora Sidiki Diabaté sur son album Béni pour le duo BKO-ABJ a été la même année récompensé aux Primud (Prix international des musiques urbaines du coupé décalé) en décrochant le prix du meilleur artiste masculin dans sa catégorie.
Entre les deux candidats au trône, Obiang et Sheney, les clashs se sont multipliés, les positions radicalisées. Pourtant, ils ont connu le même sort : adoubés puis rejetés. L’univers impitoyable du coupé décalé n’est pas sans rappeler parfois celui de la rumba congolaise, notamment quand Fally Ipupa et Ferré Gola s’émancipaient de la tutelle de Koffi Olomide.
Après le premier volume d’une compilation intitulée Hommage au Daïshi, Nous sommes tous Chinois parue en septembre 2019, avec des artistes comme Claire Bahi ou le reggaeman ivoirien Spyrow reprenant un des rares titres reggae du chanteur disparu, un concert dédié a été organisé fin décembre à Abidjan, au stade de Yopougon, sans pouvoir se dérouler jusqu’à son terme en raison d’incidents qui ont éclaté.
Cette fois, à l’approche du premier anniversaire du décès d’Arafat pour lequel les autorités avaient décrété un deuil national, les tensions semblent moindres. Parmi les cérémonies prévues programmées sur plusieurs jours, chapeautées par sa mère Tina Glamour, chanteuse haute en couleur, un live est prévu sur les lieux de l’accident. « Ce 12 août, tu auras l’hommage que tu mérites », a publié Debordo Leefunka, vétéran du mouvement, sur sa page Facebook. De la guerre des égos au temps de l’apaisement, le coupé décalé s’apprête à écrire un nouveau chapitre de son histoire, aussi courte que mouvementée.
RFI