Selon cette chercheuse à l’Institut des sciences humaines de Bamako, l’intervention de l’armée apparaît, aux yeux des Maliens, comme une solution pour résoudre la crise politique qui ébranle le pays depuis plusieurs mois
Le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, a annoncé sa démission dans la nuit de mardi à mercredi, sous la contrainte de militaires qui ont organisé son arrestation. Depuis les élections législatives de mars et avril, sa démission était réclamée par l’opposition.
La chute de l’homme fort du pays, dont l’arrestation par l’armée a été condamnée par la communauté internationale, rappelle celle de son prédecesseur, en 2013.
Que penser de ce putsch ? Bintou Koné, anthropologue à l’Institut des sciences humaines de Bamako, explique à 20 Minutes les causes de la chute d’« IBK » et le rôle joué par l’armée dans cette crise politique.
Il était jusqu’ici considéré comme l’homme fort du pays. Enlevé mardi par des militaires, Ibrahim Boubacar Keïta n’est plus le président du Mali. Dans la nuit de mardi à mercredi, il a été contraint d’annoncer lui-même sa démission à la télévision nationale ORTM. L’Union africaine (UA) a exigé ce mercredi la « libération immédiate » du président Keita, tout comme l’Union européenne (UE), qui a aussi réclamé le « retour de l’Etat de droit » au Mali. Quant aux Etats-Unis, ils ont dénoncé, par la voix du chef de la diplomatie, Mike Pompeo, une « prise du pouvoir par la force ».
Il y a plus de huit ans, en mars 2012, c’était son prédécesseur, Amadou Toumani Touré, qui était aussi renversé par l’armée, accusé d’« incompétence » face à une offensive des rebelles touaregs dans le Nord du Mali. La crise avait alors entraîné l’opération française «Serval» au Mali, puis l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2013. Pour mieux comprendre ce que signifie le « coup d’Etat » qui vient d’avoir lieu, nous avons interrogé Bintou Koné, anthropologue, chercheuse à l’Institut des sciences humaines de Bamako.
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Il y a plus de huit ans, Amadou Toumani Touré avait été débarqué suite à une intervention de l’armée. C’est désormais le tour d’Ibrahim Boucabar Keita. L’histoire se répète-t-elle ?
Il existe un lien, mais les deux contextes sont différents. En mars 2012, Amadou Toumani Touré a été renversé car il n’était pas parvenu à résoudre à gérer la crise dans le nord du pays, qui était alors attaqué par les rebelles touaregs avec une implication des groupes djihadistes. La promesse d’Ibrahim Boucabar Keita était de ramener l’ordre, mais la situation s’est aggravée. Alors qu’à l’époque, ce problème se cantonnait au Nord du pays, désormais, le centre est également occupé par les groupes terroristes, délaissé par l’État. Désormais, il n’y a pas une région où il n’y a pas d’attaque.
Mais la situation sécuritaire n’explique pas tout à la crise actuelle. La crise est multidimensionnelle. Cela fait trois ans que l’école malienne est en panne et, depuis 2012, dans certaines zones au nord du pays, il n’y a plus d’école. Les écoles publiques sont délaissées. Quant aux écoles privées, elles sont inaccessibles, car trop chères pour les citoyens lambda. Les jeunes diplômés n’arrivent pas à trouver du travail, malgré leur formation. Les Maliens ont l’impression que leur pays ne se développe plus, à cause de la corruption et de l’impunité. A cela s’est greffée la crise politique, après les élections législatives organisées en mars et avril.
Comment expliquer la chute d’Ibrahim Boubacar Keita, pourtant élu en 2013 puis réélu en 2018 avec 67,7 % des voix ?
Il y a une crise de confiance entre les Maliens et le gouvernement. Les manifestations qui se déroulent dans le pays depuis le mois de juin rassemblent toute une série de mécontentements, contre le système politique, la gouvernance du pays dans sa globalité.
Si cette lutte ne vise pas spécifiquement IBK, les élections législatives du printemps ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Déjà, en 2018, sa réélection était contestée. Là, certains résultats ont été annulés par la Cour Constitutionnelle dans des zones où l’opposition avait pourtant gagné. La nomination du président de l’Assemblée nationale du Mali, un ami du fils d’IBK, a ensuite été très contestée. Le fait que le Premier ministre, Boubou Cissé, ait été reconduit à son poste alors qu’il devait normalement démissionner à la suite des tueries du 11 et du 12 juillet 2020, a également envoyé un très mauvais signal. Finalement, c’était IBK et son système de gouvernance qui devaient prendre fin pour le M5. Une grande partie de la jeunesse et de certains leaders du M5, voulaient purement et simplement sa démission.
Dans un tel contexte, comment le coup d’Etat de l’armée est-il perçu ?
En juillet, les manifestants présents auprès de l’imam Mahmoud Dicko, qui mène le mouvement d’opposition, avaient été matés par l’armée. Aujourd’hui, les militaires changent de position. Comme la rue n’a pas réussi à contraindre le président à la démission, c’est comme si l’armée venait désormais à son secours. C’est l’acheminement d’une lutte populaire qui a duré des mois.
Cette initiative de l’armée est donc plutôt bien accueillie par la population. L’armée est considérée comme apolitique. Et on se rend compte que l’arrestation du président, des ministres et de certains députés a été bien planifiée, bien menée, dans le sens où tout a été fait pour qu’il n’y ait pas d’irruption de violence. L’armée a aussi fait appel à toutes les couches de la société civile, aux partis politiques, aux rebelles et à la communauté internationale pour organiser une période de transition politique civile.
On peut penser que, comme en 2012, le pouvoir va finir par être remis entre les mains de la société [le départ d’Amadou Toumani Touré, renversé par les militaires, avait été suivi d’une élection présidentielle]. D’où mes doutes sur le concept de coup d’Etat : le terme n’est peut-être pas le plus adapté dans notre contexte, car la destitution d’IBK vient en l’occurrence en grande partie d’une volonté de la rue.
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