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Moubarak: la chute du Sphinx. Le derniers des pharaons est tombé

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Moubarak: la chute du Sphinx

LE CAIRE (AP) — Le derniers des pharaons est tombé. Hosni Moubarak, à la tête depuis 1981 du plus peuplé des pays arabes, a démissionné vendredi sous la pression de la rue, après 18 jours de manifestations lancées par la jeunesse.

Au fil des années, le raïs âgé de 82 ans avait glissé vers l’autoritarisme, garant de la stabilité d’un régime converti au libéralisme, menacé par l’islamisme et pivot régional. Le tout avec la bénédiction de l’Occident, et en premier lieu des Etats-Unis, dont il fut l’indispensable allié au Proche-Orient. L’Egypte avait été le premier pays arabe à signer un accord de paix avec Israël, en 1979, et reste le seul de la région avec la Jordanie (1994).

Pour une partie de la jeunesse, galvanisée par la « révolution du jasmin » qui a renversé le président Zine el Abidine ben Ali à la mi-janvier en Tunisie, Hosni Moubarak en était venu à incarner tous les problèmes du pays. Ses apparitions publiques de plus en plus soigneusement chorégraphiées et son style de gouvernement autoritaire semblaient de plus en plus en décalage avec les soubresauts du monde, lui valant son qualificatif de « Sphinx ».

Mohammed Hosni Moubarak, enfant de la petite bourgeoisie, est né le 4 mai 1928 à Kafr el-Moseilha, gouvernorat de Menoufia (Delta du Nil). Diplômé de l’Académie militaire en 1949, il fait carrière dans l’aviation alors que l’Egypte entre dans la révolution nassérienne: pilote formé en URSS, instructeur, commandant de l’Académie de l’air, chef d’état-major, puis commandant en chef en 1972.

Lors de la guerre du Kippour d’octobre 1973 contre Israël, il acquiert la stature d’un héros en menant l’offensive aérienne égyptienne. Succès qui favorisera sa désignation par Anouar el-Sadate, à la surprise générale, comme vice-président en 1975. Puis, pendant six ans, le terne Moubarak reste dans l’ombre du flamboyant Sadate.

Jusqu’au 6 octobre 1981: Sadate est assassiné par un extrémiste musulman. Moubarak, qui se trouvait à ses côtés, survit à la fusillade, lance la répression contre ces islamistes dont la menace était sous-estimée par son prédécesseur et, désigné le lendemain de l’assassinat candidat unique, est élu président le 13 octobre avec 98,5% des voix.

Débute alors un règne de près de 30 ans qui verra Moubarak, immuablement réélu, enterrer Hussein de Jordanie et le Syrien Hafez el-Assad et devenir le despote immobile de l’Egypte.

Sans posséder le charisme ni la stature de ses deux prédécesseurs, Sadate le faiseur de paix et Nasser le héraut du nationalisme arabe, ce combatif entêté, sérieux et précautionneux, réussit pourtant à réconcilier l’Egypte, ostracisée pour avoir signé la paix avec Israël, avec ses pairs. Elle regagne en 1989 la Ligue arabe, qui retrouve son siège cairote, et un prestige international qui ne se démentira plus. Si Moubarak s’engage à respecter les accords de Camp David, il garde ses distances avec Israël: il ne s’y rendra qu’une fois, aux funérailles du Premier ministre Yitzhak Rabin, en 1995.

En 1990, l’Irak envahit le Koweït. Moubarak s’allie avec les Etats-Unis et l’Arabie saoudite. En échange de son rôle central, et malgré l’opposition féroce de la « rue égyptienne » à la guerre du Golfe, il y gagne l’annulation de milliards de dollars de dette et devient l’allié principal de Washington, le garant de la stabilité d’une région-poudrière, acteur central du processus de paix et médiateur inlassable des efforts de paix. Il n’y a quasiment que chez lui, au Caire ou à Charm-el-Cheikh, sur la mer Rouge, que toutes les parties acceptent de se rencontrer.

Sur le front intérieur, le raïs était d’abord devenu populaire en libérant plus d’un millier d’opposants enfermés par Sadate, hommes politiques, journalistes, religieux musulmans ou coptes.

Mais il rate le virage de la démocratisation et s’enfonce dans l’autoritarisme. On lui reproche aussi de n’avoir jamais désigné de vice-président, ce qu’il n’avait fait qu’in extremis en pleine crise il y a quelques jours, en désignant le général Omar Souleimane, chef des redoutés services de renseignement.

Jamais accusé des mêmes pratiques répressives qu’Assad ou Saddam Hussein, Moubarak fut cependant un despote à l’orientale, régnant à l’aide d’un redoutable appareil de sécurité, les Moukhabarat, s’en prenant à partir des années 90 à ceux qui critiquent le régime: journalistes, militants des droits de l’Homme… Ou encore aux homosexuels, cible en 2001 d’un procès géant instrumentalisé par le pouvoir.

Les Frères musulmans, plus ancien mouvement fondamentaliste du monde arabe, sont interdits et ont subi une grande vague de répression ces dernières années. Ils possèdent toutefois des députés élus sous l’étiquette indépendante, dans un Parlement dominé par le Parti national démocratique (PND).

Les années 90 sont marquées par l’insurrection islamiste: politiques, intellectuels, journalistes, hauts fonctionnaires sont assassinés. L’écrivain Naguib Mahfouz en réchappe, tout comme Moubarak lui-même, en juin 1995, lors d’un sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) en Ethiopie.

La répression s’abat sur le sud et le centre de l’Egypte: les villageois y sont pris entre deux feux, dans un conflit qui fait des milliers de victimes, souvent en silence.

Moubarak instaure des tribunaux militaires, infligeant de lourdes peines aux militants, signe d’innombrables ordres d’exécution. Les terroristes s’en prennent aux étrangers: à Louxor, en 1997, le massacre de 58 touristes tarit cette importante source de revenus pour des années.

Le gouvernement affirmait avoir gagné cette guerre et soutenait que seule la répression avait permis la stabilité. Pour l’obtenir, la recette Moubarak consistait à compenser le manque de démocratie par une économie en bonne santé. D’où ses efforts pour faire de son pays le « tigre du Nil »: en 1991, il lance un ambitieux programme de réformes économiques, privatisations et dégraissage de la machine étatique, appliquant les recettes libérales du FMI (Fonds monétaire international)…

Mais, après quelques années de croissance forte, l’Egypte, à nouveau en crise, était redevenue un pays pauvre, à l’économie vulnérable aux facteurs extérieurs. Stagnation des investissements, 20% de chômage, près de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, bureaucratie pléthorique, richesse concentrée entre les mains de l’élite, secteur informel considérable, aggravation des déficits, malgré la perfusion étrangère: avec plus de 2 milliards de dollars par an, l’Egypte est le second plus important bénéficiaire -derrière Israël- de l’aide américaine.

Dans le même temps, son étoile de médiateur incontournable des conflits régionaux avait pâli, face à l’influence croissante du camp des extrêmes -Hamas, Hezbollah, et leur « parrain » iranien. Le régime Moubarak s’est ainsi retrouvé à gérer conjointement avec l’Etat hébreu le blocus de la Bande de Gaza, petit territoire dirigé par le mouvement islamiste du Hamas à sa frontière. Il y récolta les foudres d’une opinion publique qui le vit comme l’ami d’Israël.

S’il esquissa une démocratisation au compte-gouttes avec la première élection présidentielle multicandidats en 2005, Moubarak fit vite machine arrière, emprisonnant son principal rival laïque, l’opposant Ayman Nour, et les dirigeants des Frères musulmans.

Les dernières années sont marquées par les émeutes de la faim en 2008, la montée de l’islamisme et les violences anti-coptes dans une société déchirée et aux abois, où à la brutalité sans bornes de la police répondait comme en écho la corruption d’un régime dans lequel seule une poignée d’élus bénéficiaient des réformes économiques.

Cette classe favorisée était incarnée à la perfection par Gamal, fils de Moubarak et considéré comme son successeur le plus probable. Son ascension foudroyante dans les instances du pouvoir avait fait craindre que, à l’image de l’hermétique Syrie, le pays des pharaons ne devienne à son tour une république dynastique.

Mais tout comme en Tunisie, c’est la rue qui a eu raison du « Sphinx ». Après avoir transféré ses pouvoirs à Omar Souleimane jeudi, Hosni Moubarak a gagné son palais de Charm el-Cheikh, sur la mer Rouge, vendredi, puis annoncé sa démission et confié la direction du pays au Conseil suprême des forces armées. Une immense clameur de joie s’est alors élevée de la place Tahrir, au Caire, quand les centaines de milliers de manifestants ont compris qu’ils avaient gagné. AP

nc/div/jp/st/sb

tempsreel.nouvelobs.com

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