« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir… »
Si tu peux… si tu peux…
« Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils ! »
À lire et à relire ce célèbre poème de l’écrivain britannique, Rudyard Kipling, publié en 1910, on se surprend à écraser une larme. On se rend compte aussi de son actualité, plus d’un siècle après sa publication. Comment s’empêcher de penser aux deux tragédies familiales, survenues cette semaine, qui plongent toute une population sénégalaise dans l’émoi ? Un colonel de la Douane qui égorge sa fille de 6 ans, aux Mamelles à Dakar ! A Tivaouane, un autre père de famille de 20 ans seulement, qui tue et son fils et sa femme avant de se suicider à son tour !
Ôter la vie à son fils ou à sa fille n’est-ce pas bien détruire l’ouvrage de (sa) vie ? C’est également renoncer à jamais à la fierté de pouvoir s’adresser à l’être qu’on a bâti de son sang et baptisé de son nom, en ces termes : « Tu seras un homme, mon fils » ou « … une femme, ma fille ».
Quand on sait ce qu’un père représente pour son enfant ; quand on mesure l’importance de ce même enfant pour ce même père, on est traversé par une pensée : il est des crimes indicibles. Innommables même ! Qui vous coupent la parole et les jambes. En réalité que peut-on faire face à des drames familiaux d’une telle gravité ? Rendre justice ? Sûrement. Mais à qui ? Contre qui (l’auteur du crime de Tivaouane s’etant lui-même donné la mort) ? Pour qui ?
Ce qui vient de se passer tant au Cap-Vert (Dakar) qu’au Cayor nous laisse sans voix. Et même impuissants. La double tragédie nous invite cependant à une profonde méditation sur les monstres que nous sommes devenus. On ne peut plus prétendre que cela n’arrive qu’aux autres. On est bien en présence de signes d’une société sénégalaise qui a touché le fond de la déchéance. Il y a pourtant très longtemps que les signaux sont au rouge. Les scènes de violence physique et verbale dans les foyers, sur la place publique et les réseaux sociaux sont la preuve que toutes les limites ont été franchies. Ce mauvais pli n’est que la résultante de crises jamais adressées encore moins solutionnées tant au sein des familles qu’en dehors : crise de confiance, crise de conscience, crise de d’autorité, crise de responsabilité…
La crise morale qu’est la déchéance sociale représente la totale. La famille sénégalaise n’est plus le lieu d’éducation par essence des enfants, futurs parents, et des parents, on semble l’oublier, qui ont été enfants. L’école quant à elle, celle dite occidentale comme celle orientale, a cessé depuis belle lurette d’être un lieu de socialisation. La société est prise dans une schizophrénie alors que l’Etat semble avoir démissionné. Le dialogue national aurait dû être un « ndëp » national. Il s’en est encore réduit à la seule question électorale. Egoïsme politique quand tu nous tiens ! Un autre rendez-vous manqué ? On peut le craindre.
Ecoutons encore Kipling :
« Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront… »
On peut le complétait en concluant :
« Alors tu seras guérie, ma société. »
lol. , mais franchement comment on peut publier un torchon comme ca