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Vous avez dit secrets d’État ? L’amnésie sélective (Par Cheikh Faye)

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Le livre de Thierno Alassane Sall, « Le protocole de l’Élysée. Confidences d’un ancien ministre sénégalais du pétrole », continue d’alimenter les discussions dans l’espace public. À ce jour, aucun des faits révélés dans ce livre de 500 pages n’a pas encore fait l’objet d’un démenti étayé par des preuves probantes. Tout au plus, nous assistons à des menaces pour divulgation de ce qui seraient des secrets d’État et à des attaques ad hominem à l’endroit de son auteur. Ce qui dommageable pour un pays qui se réclame un État de droit. Dans un pays démocratique, la gestion des ressources publiques repose sur des principes et valeurs sacrés, voire sacralisés. Des principes qui ont une résonnance forte et une signification concrète pour tous les citoyens. Au nombre de ces principes et valeurs figurent notamment la reddition de comptes, l’imputabilité et la transparence.

Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, auteurs de révélations, ne seraient pas des hommes d’État

Si nous nous référons au principal argument de défense des responsables et thuriféraires du régime, ni Abdou Diouf, ni Abdoulaye Wade, a fortiori, Macky Sall ne seraient des « hommes d’État ». En effet, pour se défendre des graves révélations de prévarications sur nos maigres ressources publiques la ligne de défense reste la même : Thierno Alassane Sall « n’est pas un homme d’État », parce qu’il aurait, tout simplement, trahi des « secrets d’État ». Cela paraît léger comme moyen de défense pour des responsables qui s’étaient fait élire en prenant l’engagement de gérer nos maigres ressources publiques de façon « sobre et vertueuse ». Pourquoi ont-ils peur de la transparence, laquelle découle directement de leurs engagements ? Ont-ils des choses à se reprocher et/ou à nous cacher ? Leur attitude pousse à répondre par l’affirmative.  En outre, cela montre leur méconnaissance de l’histoire politique contemporaine du Sénégal, à moins de faire preuve d’une amnésie sélective. En effet, dans un passé récent, plusieurs hommes politiques ayant servi à des niveaux élevés de l’État ont eu à porter sur la place publique, par l’écrit et/ou la parole, plusieurs informations sensibles connues dans l’exercice de leurs fonctions. 

Dans ses mémoires (Éditions du Seuil, 2014), le Président Abdou Diouf révèle que le Chef d’État-major général des armées d’alors, Joseph Louis Tavarez de Souza, avait préparé un coup d’État contre lui en essayant de tirer profit de « l’atmosphère prérévolutionnaire » que l’opposition avait réussi à créer. Il écrit « c’est d’ailleurs le moment que choisit le Général Tavarez pour préparer sournoisement un coup d’État » (p. 265). Le Président Abdou Diouf ne s’est pas arrêté là. Il est revenu, avec quelques détails sur un évènement qui avait défrayé la chronique et que plusieurs croyaient relever de la légende lorsqu’il écrit « Moustapha Niasse était assis à ma droite, avec Djibo Kâ à ses côtés (…) contre toute attente, l’inattendu se produisit. (…) je vis tout d’un coup Moustapha Niasse se pencher, pour asséner des coups de poing à Djibo Kâ. Les gens restaient là, médusés » (p. 237).

Les révélations du Président Abdou Diouf sur un prétendu coup d’État touchent directement à la défense nationale et à la sûreté de l’État. Pourtant, personne n’a cru opportun de remettre en cause sa stature d’homme d’État pour avoir révélé des « secrets d’État », même s’ils ne sont pas des crimes économiques.

Voir chronique du 28 août 2020 : Révélations de Thierno Alassane Sall : la notion de «secret d’État» en question

Le Président Abdoulaye Wade est allé plus loin dans les révélations. Celles faites, en 2014, avaient un fort écho au plan international comme en témoigne leur couverture par le magazine panafricain Jeune Afrique et Radio France internationale. En effet, ces deux médiums relayaient, en octobre 2014, les révélations du Président Wade en annonçant que « l’ancien président a accusé Macky Sall d’avoir favorisé l’attribution en juin 2012 de deux permis de recherche et d’exploitation des blocs de pétrole découverts au large du pays à la société Pétro-Tim Sénégal, société dont l’administrateur n’est autre qu’Aliou Sall, le frère du chef de l’État. Pétro-Tim est la propriété de l’homme d’affaires australo-roumain Frank Timis ». C’est ce que dit et confirme Thierno Alassane Sall dans son livre. Comble d’ironie ou amnésie sélective, les thuriféraires du régime et certains journalistes feignent d’oublier ces graves révélations du Président Abdoulaye Wade. Ce dernier ne s’était pas privé d’ajouter une couche supplémentaire en affirmant que « le chef de l’État (MAcky Sall) et son ministre des Mines (Aly Ngouille Ndiaye), qui avaient négocié avec le groupe Arcelor Mittal, ont reçu des pots-de-vin » lors du règlement du contentieux qui a opposé ce groupe à l’État du Sénégal. Où étaient les pourfendeurs de Thierno Alassane Sall lorsque le Président Abdoulaye Wade tenait de tels propos sous un ton affirmatif et direct en plus de leur gravité ? 

Non plus, Macky Sall ne serait pas un homme d’État avec son lot de révélations 

Avant Thierno Alassane Sall, le Président Macky, en personne, s’était distingué dans le registre des révélations dans son ouvrage « Le Sénégal au cœur » publié en janvier 2019. Le Président Macky Sall y relate la réunion convoquée par l’ancien Premier ministre d’alors, Idrissa Seck, sur l’avenir des carrières de Thiès. Il était représenté à cette rencontre par son Directeur de cabinet, qui lui rendit compte aussi la réunion terminée : « le Premier ministre nous donne jusqu’à ce soir 18 heures pour présenter un projet de décret ordonnant la fermeture des carrières de Thiès ! » (p. 42). Le Président Macky Sall continue sa narration « je demande un ordre écrit, je veux avoir un document officiel. Vers 18 heures, mon collaborateur reçoit le papier et m’en informe. Dès lors, mes instructions à mon directeur de cabinet sont claires : rangez le document et stoppez la procédure jusqu’à lundi » (p. 42). Par cette révélation, Macky Sall nous apprend avoir refusé d’exécuter les instructions reçues du Premier ministre. Thierno Alassane Sall révèle avoir refusé d’obtempérer devant Abdallah Boune Dionne et, cela lui vaut, par contre, un lynchage en règle de la part des partisans de ce même Macky Sall. Il est manifeste que nous sommes devant un poids, deux mesures. À moins que cela ne soit une amnésie sélective comme nos hommes politiques et certains journalistes savent en faire preuve. 

Plus grave, Macky Sall est allé jusqu’à révéler le contenu de ses entretiens téléphoniques avec le Président de la République, Me Abdoulaye Wade, en les transcrivant comme le prouve ce passage « j’ai encore dans l’oreille les mots de Wade au téléphone : tu dois me rendre ce que je t’ai donné ! Je ne te fais plus confiance » (p. 51). Il ne s’est pas limité à ça. Il a révélé et transcrit dans son livre, à la page 58, les échanges qu’il a eus avec Abdoulaye Wade dans le bureau présidentiel. Ces échanges portaient sur leurs dissensions, le constat qu’ils ne s’entendent plus et les conditions dans lesquelles ils s’étaient séparés. Pourtant, frappés d’amnésie sélective, les thuriféraires du régime et certains journalistes ont beaucoup glosé sur les échanges SMS entre Abdallah Boune Dionne et Thierno Alassane Sall sortis par ce dernier pour réfuter les accusations de limogeage du premier. 

Au total, les révélations faites par Thierno Alassane Sall ne constituent pas une première, outre le fait qu’elles ne trahissent aucun secret d’État. Elles participent à la transparence dans la gestion des ressources publiques. Il est fallacieux, voire réducteur de circonscrire le débat à des considérations de forme (secret d’État, homme d’état, etc.) au lieu d’aller au fond. Ceux qui sont cités dans le livre doivent prendre la parole et éclairer notre lanterne, plutôt que de faire mener des combats par l’intermédiaire de mercenaires de la plume et de la parole. Seuls les auteurs des crimes économiques dénoncés dans le livre de Thierno Alassane Sall seraient les gagnants de ce débat troqué dont le but est de cacher aux populations la gestion gabégique de nos maigres ressources et, ultimement, de s’accorder une impunité.

Cheikh Faye

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