L’économie sénégalaise est confrontée aujourd’hui à trois défis majeurs. Au-delà du double challenge de la relance économique et de la maîtrise des finances publiques, le Sénégal doit opérer des réformes structurelles pour arrimer convenablement son économie aux nouvelles donnes (probable nouvel ordre économique post-covid et une économie de rente axée sur le pétrole et le gaz). La question est de savoir comment gérer le caractère urgent d’une relance et réussir à relever convenablement le triple challenge. Comment conjuguer réformes structurelles et conjoncturelles?
Jusqu’ici le Sénégal a fait preuve de résilience et de maîtrise de la crise économique pandémique, lesquelles lui ont permis – sans aucun doute – de ne pas concéder une décroissance assez lourde (considérant que la projection de 0,7% reste toujours très positive en termes de performances). Pour expliquer la résilience de l’économie sénégalaise, plusieurs paramètres peuvent être avancées : l’actif solide des performances économiques de ces dernières années en dynamique constante (entre 2014 et 2018 le taux croissance a toujours été supérieur à 6%), le programme d’auto-suffisance alimentaire dont les prémices ont été senties, mais aussi le programme de résilience économique et social (PRÈS) précité et budgétisé à hauteur de plus de 1000 milliards de Fcfa, qui est venu en appoint pour servir d’anti-chute à l’économie. Un chapelet d’approches qui rassure sur la ligne directrice de la politique économique du Président de la République Macky Sall.
Le défi de la relance économique : le PAP 2A ou de la suite ingénieuse dans les idées.
Le Plan d’Action Prioritaire (PAP 2) du PSE réajusté avec le PAP 2A avec une orientation qui nécessite 14 712 milliards de Fcfa (dont 4700 milliards attendus du secteur privé) n’est pas « une simple retrouvaille », mais une suite logique sinon plus ingénieuse du PAP1. Il s’agit là des moyens à la fois de se révéler du « ressac économique » et de parachever la dynamique d’émergence dans laquelle le pays s’est inscrit depuis 2012. Les projections économiques de 5,2% en 2021, de 7,2% en 2022 et 13,7% en 2023 restent du domaine de l’accessible, mais sur la seule base de l’efficacité du PAP 2A, des performances pétrolières et gazières (avec les mises en service de Sangomar et Ahmeyin), de l’accélération de la cadences des performances agricoles (faire progresser entre autres la valeur ajoutée agricole au PIB) et le tout cumulé avec la rigueur dans la gestion des finances publiques (budget programme)…Autant il faut saluer et se solidariser avec le plan de relance économique, autant il faudra se poser toutes les bonnes questions et voir, par rapport à l’orientation stratégique de l’économie nationale, si tous les paramètres inhérents aux nouvelles donnes précitées ont été pris en compte.
La nécessité d’une réforme structurelle plus qu’une réforme conjoncturelle
Plus le Sénégal souhaiterait aller vite dans l’exploitation pétrolière et gazière, plus il sera urgent d’opérer des réformes structurelles au niveau de son économie. Même si ce sont les réformes conjoncturelles qui auront un impact à court terme sur l’économie (pour corriger les anomalies causées par le Covid), il importe de préciser que ce sont les réformes structurelles qui permettront au pays de s’inscrire dans une dynamique de croissance durable. L’idée étant d’aller vers une politique de transformation profonde des structures de l’économie pour les rendre plus adaptées aux évolutions du monde (économie post-covid) à la nouvelle configuration économique éventuelles du pays… L’Etat devra s’appuyer sur trois instruments : une nouvelle politique de réglementation de l’écosystème en agissant directement sur les prix, le droit, le marché, les banques…, une nouvelle dynamique industrielle (refonte ou accélération de la politique industrielle, restructuration de l’appareil productif national) et en troisième point réfléchir à une politique sociale qui vise à garantir une protection sociale et réduire les inégalités (de nouvelles formes de solidarité). Par ailleurs, les ajustements conjoncturels (à mener avec prudence) permettent, quant à eux, de maintenir le déficit du Sénégal aux alentours de 6 % du PIB comme prévu dans la loi de finances rectificative 2020. Mais le vrai challenge à ce niveau est de revenir à un déficit budgétaire de 3 % du PIB d’ici 2022, conformément au critère de convergence de l’UEMOA. Et ce, pourvu que la situation se normalise. L’Etat devra aussi trouver un moyen de stimuler l’investissement public, assurer le renforcement de l’emploi, le soutien du financement, ainsi que sur l’élaboration de stratégies sectorielles dédiées aux secteurs à la fois stratégiques et les plus touchés.La question est, pour résumer ce chapitre, de savoir comment combiner la relance économique et les réformes structurelles de sorte à rester dans le bon tempo et sur les mêmes objectifs et projections économiques durables.
La maîtrise des finances publiques
A l’image de la plupart des pays du monde, la crise du Covid a fortement dégradé le budget public du Sénégal (et chaque nouvelle mesure de résilience entraîne un dérèglement financier supplémentaire qu’il va falloir juguler après). La récession a affaibli les finances publiques de la plupart des pays de l’OCDE. Les plans de relance, la contraction des rentrées fiscales, un chômage élevé : tels sont quelques-uns des facteurs qui ont abouti à des niveaux historiquement élevés de déficit et d’endettement des administrations publiques.Avec un solde budgétaire estimé en déficit à 741,2 milliards de FCFA (1,111 milliard d’euros), à fin juin 2020 contre un déficit de 469,1 milliards de FCFA (703,650 millions d’euros) à la même période de l’année 2019, selon les données établies par la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE), le Sénégal reste un pays à la merci de de la non maîtrise de ses finances. Endetté à hauteur de 9.563 milliards FCFA en décembre 2019 (devenu le seuil est fixé par le Fonds monétaire international), l’Etat devra devra s’atteler à un assainissement budgétaire et commencer par contracter les charges de la compensation qui constituaient une des grandes sources des déficits élevés des années précédentes. D’autant plus que la situation du Covid-19 avait tronqué les prémices des résultats de l’adoption du budget programme (à l’issue de l’an 1).L’Etat devra aussi opérer une politique d’austérité (qui ne dit pas son nom) en soustrayant de ses dépenses classiques certains budgets que l’on pourrait qualifier de « luxueux ». La mise en pratique stricte du budget-programme pourrait aider car elle sous-tend (en l’état des contraintes qui viennent des critères de convergence de l’UEMOA) des règles d’or que l’Etat du Sénégal se serait fixés : ne point avoir le droit d’un déficit structurel supérieur à 3% du PIB national. Pour ce faire, il faudra une trajectoire des soldes structurels qui encadre les règles de dépenses pour l’ensemble des administrations publiques.
En ré-installant le pays dans les meilleures prédispositions par la réussite de ces trois défis majeurs, et en prenant en compte l’état d’esprit et l’approche post-covid des références économiques (bailleurs, grandes puissances et partenaires financiers et commerciaux), le Sénégal pourra se targuer de la réussite d’un des virages économiques les plus importants de son histoire. Si le Président Léopold Sédar Senghor faisait référence dans le « rendez-vous du donner et du recevoir » aux aspects socioculturels, force est de noter qu’il s’agit aujourd’hui avant tout d’aspect économique. Effectivement, le seul rendez-vous qui vaille est celui économique. Mais ce rendez-vous est d’abord avec le Sénégal lui-même, qui par les réformes structurelles, se taille une économie à la hauteur de ses ambitions et de sa nouvelle dimension (énergétique) avant d’être un rendez-vous avec les autres. Naturellement, l’effacement de la dette tout comme la rigueur budgétaire y joueront un rôle d’allégement sans commune mesure.
Cheikh Mbacké Sène