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Cheikh Ahmadou Bamba ou la puissance de la foi (Par Alassane Kitane)

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Il est des êtres dont la vie et l’œuvre constituent non seulement un patrimoine pour les autres, mais aussi un inépuisable gisement de bénédictions et de valeurs. La foi, qu’elle soit séculière ou religieuse, est le moteur de toutes les grandes œuvres. Quand on a la foi (qui n’est pas de la simple croyance, mais une confiance accompagnée de conviction) on est capable de transformer ce que l’adversaire nous prédestine comme destin en œuvre ; l’adversité en moyen ; les contraintes en ustensiles. S’il m’était demandé de tirer quelques leçons cardinales de la vie du saint homme capables de booster toute une nation voire l’humanité, j’en proposerais quatre.

La première, c’est la vertu de la patience et de l’abnégation dans les épreuves de la vie. Dans l’épigraphe du clip de son tube « Storm is over » R. Kelly, propose une sagesse d’inspiration biblique : « En chacun de nous il y a une tempête. Certains pensent que cela ne finira jamais. Mais celui qui a foi dans les cieux résistera à toute tempête ». Si je fais référence à cet exergue, ce n’est pas seulement pour sa beauté, mais pour inviter les jeunes à méditer aussi la dimension profane de la grande odyssée de Serigne Touba Xadimu Rasuul. Il a résisté à toutes sortes de tempête parce qu’il avait une foi inébranlable.

L’aspect ésotérique et mystique peut échapper au laïc, mais ce dernier peut et doit faire l’effort de décrypter le message qui lui est envoyé par la dimension profane des évènements vécus par Bamba. La dimension mystique est importante, mais elle n’est pas accessible à tous et, de toute façon, l’ascension mystique relève davantage de la volonté divine que du mérite personnel. Nous ne pouvons être que des aspirants, mais « Dieu guide à sa lumière qui il veut ». L’essentiel pour le fidèle, c’est de se montrer digne d’élévation par Dieu. Justement, c’est dans cette dignité que réside le combat de la jeunesse qui doit s’inspirer des anciens.

Les adversaires ont cru l’humilier, le faire souffrir en le déportant loin des siens ; ils croyaient pouvoir le briser ou le faire fléchir, ils n’ont réussi qu’à faire d’une étincelle un feu qui brillera jusqu’à la fin des temps. Quelle leçon devrais-je en tirer en tant que jeune ? La fidélité. Fidélité à quoi ? La fidélité d’abord à Dieu, ensuite à ses principes, enfin à son combat. Quand on est engagé dans un combat, quel qu’il soit, il faut avoir la foi que si on l’a choisi comme défi, c’est parce qu’on peut le relever. Rien n’est impossible à celui qui a la foi. Pensons à tous ces cheikhs, à ses premiers talibés qui, malgré l’hostilité de leur univers, malgré les brimades et les trahisons, sont restés fidèles à leur guide. Quand on se réclame d’un leader et qu’à la moindre adversité on l’abandonne, c’est qu’on ne mérite pas le titre de fidèle.

Des jeunes et des vieillards, au péril de leur vie, ont défié les dangers rien que pour le retrouver dans les différents lieux où il était en résidence surveillée. Ça c’est de la fidélité, c’est du « Ngor » et, sa valeur jumelle, du « Jom ». Si le modèle qu’est Bamba est au-dessus de tes forces, médite au moins le sacrifice de ces hommes qui ont entretenu la flamme malgré la distance qui les séparait de leur guide. C’est vrai qu’en méditant sur les épreuves qu’on leur a fait subir, deux sentiments peuvent t’habiter, à savoir la tristesse et la colère. Mais ils t’ont montré la voie : les montagnes qu’ils ont vues ne les ont pas découragés, ils les ont escaladées et c’est ainsi qu’ils ont vu le soleil. Ce soleil qui illumina leur vie et qui illumine la nôtre ne peut être occulté par aucune montagne, sauf pour ceux qui ont la foi chancelante et faible. Pour voir le « paradis », il faut accepter de transcender l’enfer que sont les tentations, les craintes mesquines de cette vie…

La deuxième leçon que tout jeune aspirant devrait tirer de la vie de Bamba, c’est la foi en soi-même, l’encrage indéfectible et indéboulonnable dans sa culture. L’esthétique mouride suffirait à illustrer la richesse du patrimoine culturel que Cheikh Ahmadou Bamba nous a légué. D’abord ces merveilleux sons que sont les déclamations en chœur (Kurel) ou en solo (Rajass) des Xassayides : c’est une identité que rien ne peut effacer ni parasiter. Bien que les paroles et le sens ésotérique de ces poèmes panégyriques à la gloire du Prophète (PSL) soient inconnus de la majorité, l’extase qu’on en tire en les écoutant illustre la différence entre la beauté sensible et le sublime. Le beau sensible console, apaise, nourrit et agrée les sens, tandis que le sublime élève vers la morale et le suprasensible. Il y a de la musique pour les sens et une autre pour l’âme.

Ensuite le code vestimentaire mouride qui a, entre autres fonctions, celle de décomplexer le fidèle et, par ricochet, de faire la promotion du consommer local. Turki Njareem, Baay lahat, Njaxas, etc. Le mouride a les moyens de se payer des babouches importées, mais il préfère celles produites par l’artisanat local dont il fait la promotion. La mode baay fall dans l’habillement des jeunes filles et garçons n’est, sous ce rapport, pas à blâmer ; c’est à notre avis, un chaînon dans le processus de renaissance ou de reconstruction d’une identité africaine. C’est une niche de créativité pour les artisans, mais aussi un bouclier contre l’aliénation culturelle. Les jeunes filles, quel que soit leur teint, sont étincelantes dans ces couleurs. Les garçons sont robustes et fiers en portant ces vêtements. Ceux qui trouvent ces habits lourds à porter relativement au climat devraient plutôt s’alarmer de voir des sénégalais porter des costumes cravate toute l’année !

La troisième leçon que j’aurais proposée aux jeunes de tirer du patrimoine du mouridisme est d’ordre moral : la solidarité. Toute œuvre humaine solide est bâtie sur la solidarité ; et la Khidma le prouve à suffisance. « Je suis parce que les autres sont » est profondément mouride. On définit approximativement la Khidma comme travail, mais en réalité c’en est juste une manifestation. L’effort pour la communauté a une double vocation : l’ascétisme du fidèle et la fortification (dans tous les sens de ce terme) de la communauté.  Le travail peut être une voie efficace vers le puritanisme (au sens propre) car en s’oubliant dans le travail, on vit la transcendance de Dieu, on voit son œuvre comme une Providence divine dans laquelle on prend sa part d’humain, « on cultive son jardin ». S’épuiser dans le travail non pour le gain personnel, mais pour la gloire de la communauté, c’est apprendre à avoir une relation ascétique avec le capital. La Khidma, c’est le bénévolat au profit de la communauté qui montre au fidèle que l’intérêt de la communauté doit l’emporter sur ceux individuels. Un bon mouride devrait préférer mourir que de voler ou de faire dans la concussion, car le capital n’a de sens et de valeur que par le service rendu à la communauté religieuse, donc à Dieu.

Les sociologues et économistes pourront un jour proposer une modélisation ou une étude scientifique du mode de production et de consommation mouride, mais on peut d’ores et déjà affirmer que l’économie mouride est d’une fécondité à découvrir encore. Dans la communauté mouride le capital est socialisé ou, plus exactement, communautarisé ; d’où la propédeutique au respect du bien commun qu’il secrète. Servir Dieu dans le service rendu à la communauté et au-delà, à toute l’humanité : telle est la voie de l’ascétisme mouride. La vie et l’œuvre des différents khalifes de Bamba, principalement celles de Serigne Abdou Lahad et de Serigne Saliou (pour ne citer que les dernies fils) illustrent le sens et la portée de la Khidma.

La quatrième leçon est relative à la nécessité de la transcendance dont le lien nodal est ici le Ndigël. Ordre d’inspiration religieuse, le Ndigël est la traduction, non d’un pouvoir, mais d’une autorité que les fidèles réclament volontiers comme lumière, c’est-à-dire à la fois boussole et norme de leurs actions. Sans attache, l’homme est sujet à la perdition. L’État et les normes sociales issues de la tradition ou de la raison sont destinées à cela, mais il leur arrive de manquer de transcendance, d’être sujettes à contestations. Les hommes croient en Dieu, mais ils ont besoin de voir quelqu’un le leur rappeler : telle est notre nature, nous sommes pressés et oublieux. Les sociétés qui se sont laïcisées à outrance sont traversées par des crises de valeur, par des impasses morales. La société iranienne a montré qu’il y a d’autres voies possibles… Ce que la raison peut fonder, la raison peut bien l’ébranler, ce qui se traduit par des antinomies éthiques : la famille ou l’individu ? Le couple ou les concubins ?  Le capital ou l’homme ? Le genre ou le sexe ?…

L’homme a perdu sa part de divinité dans son commerce avec les frivolités mondaines. Tel une mouche qui succombe à sa boulimie en se noyant dans une coupe de lait alors qu’elle voulait simplement s’en abreuver, l’homme semble parfois oublier sa vocation au monde. Pris dans le tourbillon des délices et d’artificielles gloires, il lui arrive d’oublier qu’il a en charge la destinée à la fois séculière et spirituelle de la terre. L’instance de diffusion du Ndigël rappelle à l’homme qu’il y a quelque chose qui le dépasse et auquel il doit le sens de son existence. Cette instance peut certes se tromper pour les autres, mais pas pour le fidèle, car il a déjà implicitement dit à son guide que ta volonté sera la mienne parce que je suis persuadé que tu es ma voie vers le divin. Est-ce une forme d’exaltation du fanatisme ? C’est possible, mais pour le fidèle, ce type de fanatisme prémunit de l’anarchie qui pourrait s’emparer des âmes en l’absence d’une autorité transcendante protectrice.

Alassane K. KITANE

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