Bocoum, vétéran de la guerre en Casamance, a choisi le vendredi, jour du seigneur chez les musulmans, pour mettre fin à ses jours. Devant les grilles du palais, il s’est aspergé d’essence et a mis le feu. Tout le pays est secoué par cette mort tragique. Le suicide est spectaculaire, l’identité du supplicié symbolique. Certes, ce n’est pas la première fois. Avant lui, Kéba Diop et Penda Kébé avaient, par le feu, crié leur désespoirs et leurs désapprobations. Le pouvoir du Sopi est poursuivi par un fantôme ou une grave malédiction. Son règne coïncide avec une montée en flèche des tendances suicidaires. Car voila un pays ou les jeunes semblent n’avoir que le choix de leurs sépultures :l’eau ou le feu, Barça ou Barsax, les dents de la mer ou la langue des flammes. Il faut avoir une oreille au cœur pour entendre certains cris. Le Sénégal regorge de milliers de Omar Bocoum. Tous ces jeunes embarqués dans des pirogues de fortune pour aller forcer les portes de l’Espagne ont le même slogan. « Liguey Mbaa Dée » et « Barça ou Barsax », c’est la même chose. La forme change, mais le fond reste le même. Avant l’ancien militaire, d’autres avaient lancé le même cri, mais c’est à peine s’ils avaient été entendus. Certains avaient même réussi à rejoindre l’Espagne, mais ils avaient été rapatriés. Au terme d’une honteuse négociation, leurs rapatriements avaient été échangés contre des euros. Le plan Rêva, censé leur trouver des emplois, était une chimère et un simple stratagème. Il faut beaucoup craindre du désespoir incendiaire des jeunes. Car même l’eau de l’océan Atlantique ne pourra éteindre le feu qui couve dans les poitrines. « Liguey Mbaa Déé, le travail ou la mort »est le slogan d’une nouvelle escalade de la violence verbale. Sa récupération et son recyclage par les jeunes pourraient avoir des conséquences incalculables sur la stabilité de notre nation et de notre jeune démocratie. Omar Bocoum peut voir agi dans un état d’extra lucidité rare. Son message anticipe et reprend d’autres messages. Des faits à la fois troublants er révélateurs attestent du caractère profond et autodestructeur du mal vivre des jeunes Sénégalais. Dans un quartier pauvre de la banlieue de Dakar, un rappeur célèbre se fait appeler Neew-Bi ou le cadavre. Le gars monte sur scène avec son cercueil et dans son linceul. Partout, il crie sa condition de mort-vivant. Récemment, il a sorti un opus au vitriol sur la campagne de lutte contre l’émigration clandestine. Son message avait été clair et sans équivoque. Ils ne peuvent pas mourir de faim comme des animaux. Les autorités locales n’ont pas de solution à leurs problèmes, ils vont chercher des solutions ailleurs, au risque de leur vie. « Les morts-vivants n’ont pas peur de la mort »,dit-il. Bien sur, ce n’était qu’une chanson ou tout au plus une incantation. Il faut, cependant, redouter l’action. Elle peut venir sans prévenir. Au plus haut sommet de l’Etat, le suicide de Bocoum est entouré d’un silence gêné .Son slogan est destructeur et sa méthode d’action intimidante. Après avoir promis de l’emploi et le graal aux jeunes, le président Wade ne pouvait avoir une réponse plus tranchée de la frange la plus importante du pays. Le désespoir de cet ancien militaire est un bilan éloquent. Son état mental est celui de tous ces jeunes qui ont tenté l’aventure européenne à travers les pirogues, ils sont reconnus coupables d’une certaines folie. Mais qui est fou ? Celui qui allume ou celui qui attise le feu ?
lobs.
Barça ou Barsax, liguey mbaa déé Par Aliou Ndiaye
Date: