En retrait du débat public depuis bien longtemps, le professeur Ismaila Madior Fall reprend à nouveau la parole ‘’pour apporter de la valeur ajoutée’’ aux sujets brûlants définis d’un commun accord avec ‘’EnQuête’’. Élaguant, d’emblée, de la discussion les sujets tournant autour de la gouvernance de la justice, balayant d’un revers de main l’épineuse question du 3e mandat, le ministre d’Etat, Professeur titulaire de droit et de sciences politiques, décline son avis sur des thématiques non moins importantes telles : les Locales, leur couplage avec les Législatives, le remaniement, sa ‘’promotion’’, sa candidature à la mairie de Rufisque, entre autres.
Depuis votre départ du gouvernement, vos prises de parole sont devenues rares. Pourquoi ce retrait du débat public ?
Je ne veux pas m’exprimer simplement pour apparaître dans les médias. Lorsque je m’exprime, c’est pour espérer apporter une valeur ajoutée intellectuelle à ce qui se discute. Si ce n’est pas le cas, je préfère me taire. Mon souhait est d’apporter des éclairages et non de susciter la polémique. En outre, ma posture institutionnelle, conseiller du président de la République avec le titre de ministre d’Etat, m’incite à ne pas trop communiquer, pour éviter les télescopages avec les membres du gouvernement chargés de mettre en œuvre et de défendre les politiques publiques définies par le président. J’évite aussi de me prononcer sur certaines questions, notamment celles liées à la justice. Il est vrai aussi que je suis devenu plus politique et plus prudent dans ma prise de parole publique, mais je reste attaché au débat intellectuel.
A propos de ce débat intellectuel, il y a la controverse autour du troisième mandat sur laquelle vous êtes beaucoup attendu. Quel est votre avis sur la question ?
Pour en avoir beaucoup parlé, je n’en parle plus.
Est-ce que vous ne donnez pas raison à ceux qui pensaient que c’est à cause de votre réponse sur cette question que vous avez été démis de vos fonctions dans le gouvernement ?
Si je suis victime par une promotion comme ministre d’Etat, c’est pas mal.
Justement, pouvez-vous revenir sur vos fonctions en tant que ministre d’Etat ? D’aucuns estiment que c’est juste un titre.
C’est un titre éminent et une posture de faveur. L’éminence du titre est qu’il s’agit d’une distinction protocolaire qui vous place, quand même, devant les membres du gouvernement et immédiatement après les présidents d’institution. La posture de faveur, c’est de bénéficier de la confiance du président de la République qui vous confie certaines missions particulières.
On ne connait toujours pas la date des élections locales. Est-ce normal, dans une démocratie, qu’il y ait autant d’incertitudes sur la date de la tenue d’élections aussi importantes ?
Le président Sall est respectueux du calendrier républicain. Il n’a jamais reporté de Présidentielles ou de Législatives comme cela se faisait par le passé. D’ailleurs, il est le premier à avoir organisé à date échue (avec un léger décalage) les Locales de 2014. Le report de ces Locales, tout le monde le sait, est lié au dialogue national dont la mise en œuvre de certaines conclusions comme l’audit du fichier et l’évaluation du processus électoral, conditionne leur tenue. Les raisons du report sont donc essentiellement techniques. Et celui-ci a été décidé par le dialogue national. L’essentiel est de ne pas sortir de l’année 2021.
Certains craignent un autre report, en vue d’un couplage avec les Législatives qui doivent se tenir en 2022. Quelle est la meilleure option, selon vous, pour un calendrier électoral rationnel ?
Y a-t-il vraiment un calendrier électoral idéal ? Il y a plusieurs schémas possibles et chacun avec ses avantages et ses inconvénients. Premier schéma : on laisse les choses se dérouler comme prévu par le calendrier actuel, en tenant les Locales en 2021, les Législatives en 2022 et la Présidentielle en 2024. L’avantage, c’est le respect scrupuleux du calendrier républicain. L’inconvénient est que la proximité des échéances électorales ne laisse pas au pays de répit politique pour le travail développemental.
Deuxième schéma : on couple les Locales et les Législatives en 2022. L’avantage est qu’on rationalise le système électoral et mutualise les ressources. L’inconvénient est qu’on tienne les Législatives à deux ans de la Présidentielle, dans le cadre d’un régime politique où l’élection présidentielle doit conditionner et conditionne les résultats des autres élections, notamment des Législatives. Car une discordance entre majorité parlementaire et majorité présidentielle peut être préjudiciable à la stabilité politique, même si l’Assemblée ne peut plus renverser le gouvernement et le président de la République ne peut plus dissoudre l’Assemblée.
Troisième schéma : on tient les Locales en 2021 et les Législatives juste après la Présidentielle de 2024, comme cela s’est fait en 2012. Ce schéma a l’avantage de garantir la confluence entre majorités parlementaire et Présidentielle, mais a l’inconvénient de nécessiter une prorogation du mandat des députés qui nécessitera, alors, l’intervention d’une loi constitutionnelle.
Dans tous les cas, quel que soit le schéma retenu, deux ans après la Présidentielle 2019, il est important de permettre au système politique de respirer et de tenir des élections, notamment les Locales en 2021, pour entendre la voix des citoyens et avoir de la visibilité politique pour l’avenir.
Vous êtes très actif sur le terrain politique à Rufisque. Avez-vous finalement pris la décision de présenter votre candidature à la ville de Rufisque ?
Je suis en concertation avec les forces vives, les populations dans les quartiers, les notables de la ville, les responsables de l’APR et d’autres partis, et des candidats à la candidature. Au final, je serai candidat, s’il se dégage de ces concertations une masse critique d’acteurs politiques et sociaux qui soutiennent cette candidature.
Le gouvernement a été, récemment, remanié. Que pensez-vous des changements intervenus ?
D’abord, il faut se féliciter, depuis le lancement du dialogue national, des initiatives du président Macky Sall allant dans le sens de la concertation entre les forces vives en général et les forces politiques en particulier, pour une concorde nationale autour de l’impératif du développement dans la sécurité. A cet égard, le président Macky Sall s’inscrit dans la tradition d’ouverture et de dialogue politique avec l’opposition pratiquée par ses prédécesseurs. Avec cependant une originalité. Les initiatives d’ouverture de ses prédécesseurs se faisaient sous la contrainte de crises politiques et de pressions sur le régime, notamment au lendemain d’élections aux résultats contestés. Celle du président Macky Sall s’effectue en dehors de toute contrainte. Le président dispose de tous les leviers (majorité parlementaire et des collectivités territoriales) pour gouverner à l’aise. Mais il a compris que la culture politique sénégalaise est pour le dialogue et l’inclusion. Il faut saluer son option d’une gouvernance inclusive, l’encourager et le soutenir sur cette dynamique de concorde nationale.
Le dialogue lancé par Macky Sall l’a aussi été après des élections contestées, dans un contexte où les acteurs remettaient en cause le fichier et le processus électoral…
Parlant de contestation, c’est la seule élection (Présidentielle de 2019) de l’histoire du Sénégal qui s’est dénouée au premier tour sans contestation devant le juge électoral. Quant à la contestation du fichier électoral, c’est une sorte d’arlésienne toujours, vice toujours évoqué, mais jamais prouvé. Non franchement, la Présidentielle de 2019 est l’élection la plus propre de l’histoire électorale de notre pays. Je répète que le président n’était sous aucune contrainte politique dirimante pour initier l’ouverture. Il a privilégié l’intérêt supérieur de la nation.
Vous saluez l’ouverture du gouvernement à certains leaders de l’opposition. Cela ne comporte-t-il pas des risques pour Macky Sall et son parti ?
Une opération zéro risque n’existe pas dans l’absolu, surtout en politique. Mais qui connaît vraiment l’homme politique Macky Sall, sait que cette opération politique est sous contrôle. Il a décidé du moment, des modalités et dispose des leviers normatifs pour en réguler le fonctionnement global.
Vous êtes un spécialiste des sciences politiques. Quels sont les avantages et inconvénients d’une telle opération, décriée au sein de l’APR et de la majorité ?
Comme dans toute opération politique, il y a, bien entendu, des avantages et des inconvénients. Comme avantages, il y a l’image du président qui est bien perçue par l’opinion qui apprécie l’apaisement et la concorde pour le bien du pays. L’idée d’associer aussi des Sénégalais qui n’appartiennent pas à son parti à l’exercice du pouvoir, est un signe de tolérance et d’ouverture. En revanche, certains vont y voir un deal politique. D’autres, notamment certains de nos camarades de l’APR, peuvent y voir une perte de positions au profit de l’opposition et au détriment des cadres de la majorité. Mais je suis, pour ma part, convaincu qu’au total, la somme des avantages est supérieure à la somme des inconvénients. A cet égard, il y a lieu de rassurer nos camarades de l’APR.
Vous avez été laissé en rade, alors que certains attendaient votre retour. D’autres disent tout simplement que le président vous a écarté, après vous avoir utilisé. Quel est votre commentaire ?
Il y a des gens qui croient qu’on ne peut jouer un rôle important qu’en étant au gouvernement. L’Etat, c’est plusieurs missions qui concourent à son fonctionnement. Le président choisit, en fonction des circonstances du moment, celle qui veut bien vous confier. J’ai une conception missionnaire de la vie qui m’amène à accepter toute mission conforme à mes convictions et qui me permet d’être utile. Pour moi, en dehors de celle de président de la République, il n’y a pas, dans l’Etat, une mission plus importante qu’une autre.
Selon vous, est-ce qu’il est interdit à un magistrat de commenter une décision de justice revêtue de la chose jugée ?
Ma conviction est qu’au-delà des textes, un magistrat est dépositaire d’un statut spécial et d’une mission noble qui l’obligent à s’abstenir d’avoir ouvertement un comportement ou de tenir des propos pouvant avoir des incidences politiques manifestes.
Dans un contexte où l’émigration clandestine a de nouveaux adhérents qui sont des diplômés, que préconisez-vous pour la prise en charge de cette question du chômage au niveau des sortants de la faculté des Sciences juridiques et politiques, considérée comme une des fabriques de chômeurs ?
Je suis toujours professeur titulaire des universités de droit et de sciences politiques. J’encadre des thèses de doctorat et suis membre des jurys du Cames. Je suis donc soucieux du devenir des sortants de l’université. Je pense qu’il faut, en concertation avec les intéressés et toutes les structures pouvant les accueillir, un programme spécial d’insertion des jeunes diplômés de tous les secteurs.
L’ouverture des professions libérales n’est-elle pas devenue un impératif pour les sortants de la FSJP ?
C’est effectivement une des solutions à mettre en œuvre pour prendre en charge cette problématique.
PAR MOR AMAR
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