Quand une carrière de sable gâche la vie à une communauté éducative
Quelle conception nos autorités ont-elles de l’éducation ? Une réflexion sur la situation précaire, ou du moins précarisée, du Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès permet d’avoir une piste de réponse à cette question. Ceux qui ont mis les pieds dans ce lieu constatent unanimement l’effort que l’administration et la famille éducative locale font pour rendre leur milieu agréable. Ce Lycée fait partie des écoles les plus verts du Sénégal. Beaucoup d’arbres et de fleurs agrémentent les différentes allées qui semblent être pensées pour accueillir et rassurer les nouveaux venus. On semble l’ignorer, mais le milieu, l’architecture, la décoration ; bref, l’environnement de l’école fait partie des intrants pédagogiques. L’apprenant doit se sentir libéré et épanouis dans son milieu d’étude. C’est ce qui fait dans certains pays de l’Europe du nord le type d’édifice qui doit abriter l’école est toujours fonction des réalités (culturelles) locales. Psychologiquement, l’apprenant doit sentir qu’on a prévu l’expression des données affectives, émotionnelles, qui structurent son statut d’apprenant dans la configuration de son milieu d’étude. C’est dire qu’on ne construit pas une école comme on veut, ni là où on veut.
Situé à la sortie Est de Thiès LANS est bordé au sud (qui se trouve être la l’esplanade sur laquelle s’ouvre la porte de l’école) par la route nationale qui va vers Diourbel. Sa configuration est telle qu’il est malaisé d’ouvrir une deuxième porte qui ne donne pas directement sur la route. Confiné entre un terrain ancien dépotoir d’ordures (originellement prévu pour son extension), le quartier populeux et non loti appelé Chine populaire et une ravine au nord-Est, le Lycée étouffe depuis quelques années à cause d’une décision inopportune, suicidaire et presque irrationnelle.
En effet, les autorités locales n’ont pas trouvé mieux à faire que d’autoriser l’ouverture à l’ouest du Lycée (en amont) un dépôt de sable, de béton et de foin sur un terrain clôt et qui l’asphyxiait déjà avant d’être mis en valeur. Ce terrain qui réduit déjà l’esplanade du Lycée est, parait-il, une propriété privée, mais son impact sur la sécurité de l’école est absolument négatif. Pour un Lycée qui accueille plusieurs milliers d’élèves, une si petite esplanade est sans aucun doute une source de périls. S’y ajoute que le sentier sinueux qui vient du quartier Chine populaire jouxte dangereusement le mur du Lycée et débouche directement sur la route nationale. Les charrettes qui passent par cette route menacent chaque jour de culbuter les élèves et membres du personnel qui entrent et sortent de l’école. C’est extrêmement dangereux car il n’y a aucun espace entre cette ruelle et la porte du Lycée.
La scène de prison que donne le Lycée aux heures de pointe est illustratif de sa situation précaire. Les cars de ramassage des élèves, pris dans la passion de la rivalité se bousculent devant la porte et viennent boucher carrément la sortie de l’école ; et malheur aux automobilistes qui veulent sortir du Lycée pour rentrer chez eux. On est parfois obligé de négocier pour avoir un trou de souris par lequel se sauver. Et quand les Jakarta s’en mêlent, le scandale devient une potentielle tragédie : cet espace est trop exigu pour être le théâtre d’une telle anarchie.
Mais le pire c’est l’impact du dépôt criminel de sable à quelques mètres du Lycée. En plus de la poussière qui s’échappe de ce milieu agité, il y a des sorties de camions qui bloquent constamment la route d’accès au Lycée. Tandis qu’ailleurs les élèves bénéficient de l’escorte de la police pour ne pas pâtir des embouteillages, ici c’est l’inverse. Les deux portes du dépôt sont le spectacle d’un va-et-vient incessant de camions qui viennent enlever ou déposer sable, béton, foin, etc. Et pour enfoncer le clou du spectacle, on a créé une gare spontanée pour calandos entre les deux portes dudit dépôt.
Voilà donc la conception que nos autorités ont de l’école. Les échappées de poussières et de fumée envahissent chaque jour le Lycée et constituent un problème de santé pour les membres de la communauté éducative. Pire, l’étroitesse de la route nationale et le flux incessant de véhicules qui l’arpentent constituent un grave problème de sécurité pour les élèves et le personnel du Lycée. On ne peut pas, sous prétexte de tirer un profit des taxes générées par ce dépôt, mettre en péril la vie et les études de tout ce beau monde. Un camion de sable qui barre la route à des élèves est une image révélatrice de la morale et de la vision des décideurs dans ce pays. L’école qui doit produire les futurs ingénieurs constructeurs de ces engins doit donc attendre le temps que le camion passe parce qu’il doit livrer rapidement le sable ! Sable contre école. Béton contre études. Foin contre la santé des élèves et enseignants.
L’administration du Lycée, appuyée par l’APE, avait pourtant pris les devants et avait entrepris des démarches pour amener les autorités locales à revenir sur cette décision inopportune de mise en service d’une carrière sur cet espace vital pour le lycée. Les élèves du lycée ont eu à observer un mouvement d’humeur pour préserver l’intégrité de leur lieu d’études. C’est ainsi que le préfet avait convoqué la Police, les promoteurs et le maire pour délocaliser cette carrière. Il leur avait été même accordé un délai de deux ans pour délocaliser la carrière : c’était en 2017. Mais jusqu’ici rien n’a été fait malgré les engagements fermes du secrétaire général de la mairie. Pire, il y a un projet de construction d’une station à essence tout juste derrière le lycée ! Le plus scandaleux est que les 20 m de réserve jadis octroyés au lycée dans cette zone sont aujourd’hui la proie de prédateurs fonciers : il n’en reste plus que 8 m ! Est-ce vraiment le sort qu’une communauté humaine doit réserver à une école ?
Le ministre de l’éducation, les parents d’élèves et la société civile sont interpellés : une telle situation ne peut pas continuer. Ce n’est ni plus ni moins qu’une agression de l’espace qui revient de droit à l’école. Cette situation est révélatrice de l’état d’esprit de nos gouvernants et de nos concitoyens : la morale de la promiscuité (Boroxlu en wolof) mène à l’impasse ou à l’entropie sociale.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès