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AVORTEMENT CLANDESTIN Une tragédie silencieuse

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Hémorragie sévère, perforation utérine, infections diverses, stérilité, pertes en vies humaines, etc. La clandestinité de l’avortement entraîne un drame social effroyable qui se déroule en silence. Avec la pénalisation de l’avortement, c’est la vie des femmes qui est livrée à la cupidité des charlatans.

L’avortement provoqué est illégal au Sénégal. Il y est aussi socialement proscrit. Le Code pénal en son article 305 stipule : « Sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 20 000 à 100 000 francs, la femme qui se sera procurée l’avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet ». Cependant, l’interruption volontaire de grossesse (Igv) se pratique couramment dans les chaumières. De manière clandestine avec des conséquences sanitaires parfois dramatiques. Le nombre incessant de grossesses non désirées pousse souvent des femmes à cette extrémité. Certains agents de santé trouvent dans le désarroi des femmes, un créneau lucratif pour arrondir les fins du mois corsées. A Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise, une sage-femme a bâti une réputation dans le cercle des jeunes femmes en situation de grossesse inopportune. Son numéro de téléphone et son adresse s’échangent sous le manteau. De courte taille, un teint basané qui contraste avec ses lèvres vermeilles, A. est une « avorteuse » chevronnée qui sait cornaquer les « patientes » les plus craintives. En tenue sobre, elle a une démarche chaloupée du dandy et le regard aux aguets. Sa rencontre est assez facile. Elle parle avec un aplomb fascinant. D’attaque elle refuse de parler de prix. Mais devant nos questions insistante, elle consent finalement à lâcher qu’elle peut faire l’intervention à 20. 000 FCFA. Interrogée sur le mode d’intervention, la dame, très rassurante, explique : « Je place une sonde dans l’appareil génital de la femme et, au bout de quelques jours, elle aura des pertes de sang qui attestent de la destruction du fœtus ». Cette réalité infecte ne semble plus la déranger, à force de récurrence de la pratique. Concernant les conséquences sur la future maternité de la femme, elle rassure : « Il n’y a aucun risque pour la femme. Elle peut avoir un enfant quand elle le désire ». Au détour de la discussion, elle confie avoir fait avorté une femme au cinquième mois de gestation.

Horreur ! Ce type d’ intervention acceptée dans des conditions rigoureusement encadrées par la loi est trop délicate, car nécessitant une solide connaissance médicale. « A partir de 8 à 12 semaines, le placenta commence à se mettre en place et il est difficile d’aller le chercher. Même dans les pays où l’avortement est légalisé tous les médecins ne sont pas qualifiés pour faire cette intervention », explique Cheikh Atab Badji, gynécologue-accoucheur. Mais, la sage-femme garde un mystère sur les conditions sanitaires de ses interventions. Dans cet ilot de misère qu’est la banlieue dakaroise, les jeunes filles en détresse s’attachent les services de cette dame ou d’autres charlatans n’ayant aucune qualification requise. Des méthodes plus suicidaires sont utilisées par des femmes pour interrompre leur grossesse. Elles avalent des médicaments comme le Cytotec. Ce remède pour le traitement de l’ulcère gastrique est utilisé par ces femmes pour ses effets secondaires favorisant l’avortement. Quand certaines d’entre elles s’abreuvent de décoctions, d’autres, par contre, choisissent de se faire piétiner le vendre par leur compagnon afin de stopper le processus normal de la grossesse. L’horreur n’a pas de limite pour celles qui désirent coûte que coûte se débarrasser de leur grossesse. Quant aux femmes fortunées, elles s’orientent facilement vers « les cliniques où les tarifs varient 80. 000 à 300 000 FCFA », signale un interlocuteur.

EPOUVANTE

En raison de la clandestinité de l’avortement au Sénégal, le drame social silencieux est effroyable. Mais, il est caché sous les oripeaux d’une dignité familiale. Tout le monde connaît ce phénomène ou une victime, mais personne ne veut en parler de peur de froisser les croyances sociales préétablies. Devant cette omerta, l’avortement clandestin continue de faire des ravages en silence. Une bonne partie des femmes qui ont subi l’interruption volontaire de grossesse n’en sortent pas indemnes. Les conséquences sanitaires sont hallucinantes. « Des cas de perforation utérine, de stérilité, d’infection, de synéchie, d’anémie aigüe ou de décès, suite à un avortement sont fréquents », souffle, le Dr Cheikh Badji. Certaines associations de défense des droits de la femme abattent un travail important dans l’assistance des personnes victimes de ces séquelles.

En revanche, compte tenu du caractère délictuel de l’avortement, ce travail se fait dans la discrétion. Selon le rapport 2006 de l’Organisation mondiale de la Santé : « 4,2 millions d’avortements à risque se produisent tous les ans en Afrique, entraînant près de 300 000 décès. Au niveau mondial, 44 % des femmes qui meurent suite à des complications dues à un avortement non médicalisé sont africaines ». Le rapport ajoute qu’en Afrique, 25% des avortements à risque sont pratiqués sur des adolescentes. « A cause de leur organisme plus fragile, elle sont davantage sujettes aux complications ». Le phénomène est plus accentué en Afrique en raison de la pénalisation de l’avortement. L’Afrique du Sud, la Tunisie et le Cap-Vert sont les seuls pays du continent qui autorisent l’Ivg. « Au Sénégal, les grossesses arrêtées représentent en moyenne 50% des motifs d’admission en urgence dans les maternités de référence. Les complications en rapport avec ces grossesses arrêtées, notamment les avortements incomplets, sont responsables de 8% des décès maternels enregistrés », révèle une étude réalisée à l’hôpital Fann de Dakar et publiée en 2007 dans la revue Médecine tropicale. De part son statut de première maternité de référence, cet établissement sanitaire représente la structure qui prend en charge le plus grand nombre d’avortements au Sénégal.

Avortement excusable

Aujourd’hui, l’avortement est strictement accepté au Sénégal dans les cas de grossesse où la vie de la femme est directement menacée. D’ailleurs, pour bénéficier de cette exception, il est nécessaire de se procurer l’avis favorable de trois médecins différents. Concernant les femmes victimes de viol, une disposition complémentaire a été proposée par le comité de réflexion sur les violences faites aux femmes et aux enfants. Dans ce sens, un aliéna doit être ajouté en complément à l’article 305 du Code pénal. Il dit : « Toutefois, constitue un fait justificatif, l’avortement médicalisé s’il est intervenu à la suite d’une agression sexuelle, d’un viol, d’inceste ou lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de celle-ci ou du fœtus ».

Fatou Kiné Camara, professeur de Droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pousse le bouchon plus loin en demandant la dépénalisation pure et simple de l’avortement. Elle estime que « la pénalisation de l’avortement porte atteinte, non seulement à la Constitution, mais aussi à un droit fondamental de la femme. Pis, c’est une disposition criminelle ». Selon elle, les droits humains sont consignés dans la Constitution ainsi que dans différents instruments juridiques internationaux et régionaux signés, ratifiés et publiés par l’Etat du Sénégal. C’est pourquoi, estime-t-elle, l’Etat doit « assurer le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive ». Elle ajoute que ces droits comprennent ceux d’exercer un contrôle sur leur fécondité et de décider de leur maternité.

D’après les informations de la Division de la Santé de la reproduction, des discussions sont en train d’être menées avec les acteurs sociaux pour changer la loi. Entre temps, le rouleau compresseur macabre continue d’exposer la vie des femmes et de broyer celle des bébés non désirés. Les femmes de conditions modestes font face à la justice alors que celles plus nanties peuvent avorter dans de bonnes conditions sanitaires. Par contre, les hommes « engrosseurs » impénitents se prélassent impunément, à la recherche d’une autre proie.

Des cas d’école

Tunisie : L’Ivg est autorisée en Tunisie depuis 1973 (loi n°73-2 du 26 septembre 1973). La Tunisie est d’ailleurs un des rares pays qui n’impose aucune condition légale à l’avortement durant la période légale (hormis le délai et l’encadrement médical), ce qui fait de ce pays une des exceptions du continent africain.

Espagne : La loi espagnole autorise l’avortement jusqu’à 12 semaines en cas de viol, 22 semaines en cas de malformation et sans aucun délai en cas de danger grave pour la santé mentale et physique de la mère. Une loi de 2000 en Grèce autorise l’Ivg. Le délai légal de 12 semaines peut être prolongé en cas de viol ou sur indication médicale. L’avortement est légal en Italie jusqu’à la dixième semaine de grossesse. De même qu’au Pakistan

Baye Makébé SARR

lagazette.sn

 

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