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Sénégal : « Inch’Allah », mot-balise (Par Ousseynou Nar Gueye)

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Adosser la concrétisation de tout projet à la volonté divine apparaît plus que naturel aux Sénégalais, qui n’y voient là aucun fatalisme. Pour les étrangers avec qui ils interagissent, en revanche, c’est souvent une autre histoire.

« S’il plaît à Dieu ». Inch’Allah, donc. Dans le texte. Les Sénégalais, tous autant qu’ils sont, les musulmans (naturellement), les chrétiens, et même les animistes au nombre anecdotique sont toujours prompts à utiliser cette locution presque machinalement. Pour commencer ou clore toutes leurs phrases exprimant des décisions, des projets, des souhaits ou des intentions. Ceci n’est-il pas normal dans un pays qui se définit comme d’abord « croyant » ?

Adosser la concrétisation de tout projet à la volonté divine apparaît plus que naturel aux Sénégalais, qui n’y voient là aucun fatalisme. Mais uniquement l’expression de leur foi, en ce que même si la foi peut déplacer des montagnes, c’est toujours Dieu, en fin de compte, qui dispose sur ce que l’homme propose. On ne passera donc pas une journée à Dakar ou ailleurs dans le pays sans entendre quatre ou cinq fois « Inch’ Allah » dans la bouche des locaux.À LIRE Sénégal : petit précis de vocabulaire arabo-wolofrançais

Mais dans leurs relations avec les non-Sénégalais, notamment non-musulmans, c’est une autre paire de manches : cet « Inch’ Allah » apparaît aux visiteurs du pays et « hôtes étrangers vivant parmi nous » (phrase consacrée des discours présidentiels à la nation), comme une épée de Damoclès concernant les accords passés avec les natifs. Inch’Allah ? Y compris pour les intentions les plus simples ? Inch’Allah, même si la survenance de la chose est prévue dans l’heure qui suit ?

Effet Larsen

Le doute a vite fait de naître devant cette expression peu cartésienne. Les étrangers prennent cette habitude des Sénégalais à tout remettre (nonchalamment ou avec enthousiasme) à la volonté divine comme une manière pour eux de se délier par avance de leurs promesses et engagements sans encourir de conséquences, au cas où celles-ci ne seraient pas tenues. Et même pire, comme une antiphrase signifiant exactement le contraire de ce qu’on vient de leur affirmer. Effet Larsen garanti.

Aussi, les Sénégalais éduqués à l’école occidentale ou ceux habitués à voyager ont appris à éviter l’emploi trop fréquent de cet « Inch’Allah » avec des personnes dont ils savent qu’elles ne sont pas de leur sphère culturelle ou cultuelle, mais aussi dans le cadre de transactions formelles.

Deux anecdotes à cet égard. Celle, d’abord, d’un Sénégalais cherchant à louer un appartement auprès d’une agence immobilière tenue par une Toubab et ayant conclu son souhait de prendre le bien locatif par « Je vous remettrais la caution dans deux jours. Inch’ Allah ». Son épouse lui a aussitôt dit qu’il n’aurait jamais dû prononcer cette invocation avec une interlocutrice européenne.

Et ça n’a pas loupé : quand, 48 h plus tard, le Sénégalais a rappelé l’agence, le bien avait été loué à quelqu’un d’autre. Il y a aussi cet ami homme d’affaires qui m’a récemment confié que dans son mail à un fournisseur étranger, il s’est engagé à « passer commande du produit concerné dans la première quinzaine de janvier, Inch’Allah ». Avant de se raviser et d’effacer cette locution encore plus encombrante et évocatrice d’incertitudes lorsqu’elle est écrite noir sur blanc.

Pour reprendre le rappeur MC Solaar qui a écrit un titre intitulé « Inch’Allah » : « en jean, en short, ou en djellaba », on ne peut pas dire à tous « Inch’Allah », foi du charbonnier pour certains ; oxymore lourd de menaces de rétractation pour d’autres.

« Inch’ Allah », un mot-balise pour tous les Sénégalais. Mais un mot qui fait « baliser » beaucoup d’étrangers dans leurs interactions avec les Sénégalais. À cet égard, le signe le plus éloquent de l’intégration réussie d’un étranger vivant au Sénégal, c’est quand il se met lui aussi à prononcer régulièrement, et pas ironiquement, « Inch Allah ». À l’année prochaine, pour un an 2021 qui sera (sans doute ?) meilleur. Inch’Allah !

Ousseynou Nar Gueye

Avec Jeune Afrique

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